Son premier long-métrage, Good Luck Algeria, comédie sociale inspirée de la participation de son frère aux Jeux Olympiques d’hiver pour l’Algérie, avait marqué (cf. critique 13493). Sami Bouajila y interprétait déjà le rôle principal. Après avoir obtenu le label de la sélection officielle Cannes 2020, Rouge a été présenté en avant-première durant le festival 2021 avec le soutien de Visions sociales (CCAS). Un film puissant et actuel qui sort en salles en France le 11 août 2021.
« Le chien ne mord pas la main qui le nourrit » dit Slimane (Sami Bouajila), délégué syndical et pilier de l’usine à sa fille Nour (Zita Hanrot), qui vient d’être embauchée comme infirmière alors que l’entreprise est en plein contrôle sanitaire. Se taire ou trahir son père ? Il y aurait pourtant de quoi mordre : rejets polluants, dossiers médicaux trafiqués, accidents dissimulés… « Inspiré de faits réels », Rouge fait référence au scandale des boues rouges de l’usine d’alumine de Gardanne en 2015 qui rejetait, avec l’autorisation de l’Etat, ses déchets toxiques dans la Méditerranée. Il y avait 450 emplois directs à la clef, défendus par le premier ministre Manuel Vals, tandis que la ministre de l’Environnement Ségolène Royal voulait retirer cette autorisation.
Là aussi, Farid Bentoumi est sensibilisé par son vécu familial. Il sait de quoi il parle : son père était syndicalement engagé, avec des réunions politiques à la maison et des piquets de grève à tenir, et a fait grève pour que son usine ne ferme pas malgré son impact environnemental. C’est ainsi la mécanique du syndicaliste pris au piège de la défense des emplois qui l’intéresse, une situation qui n’est pas en noir et blanc et ne se règle pas en un jour sur des slogans. Il cadre de près ses acteurs pour ouvrir à leur intimité. La fiction familiale lui permet d’en rendre compte de façon très humaine mais aussi en mettant en place une tension croissante avec un rythme qui s’accélère et la musique de Pierre Desprats plus présente.
Pour lui, les héros modernes sont les lanceurs l’alerte, comme Alain Bompard dans les années 60 pour les boues rouges. Une solution écologique a maintenant été trouvée pour arrêter cette pollution : qui cherche trouve, mais encore faut-il chercher, ce que n’a pas fait l’industrie durant des décennies, préférant le chantage à l’emploi.
Mais un lanceur d’alerte prend des risques : la direction de l’usine, les collègues, la journaliste qui fait son job et les écologistes qui poussent… Un engrenage se met en place qui met Nour en danger. Zita Hanrot l’interprète avec intensité et justesse, face à un Sami Bouajila toujours aussi convaincant. Il fallait la qualité de ces acteurs pour saisir la finesse de ce qui se joue entre les générations. Nour mesure les contradictions de son père, et celui-ci comprend qu’après une épreuve dans sa responsabilité d’infirmière à l’hôpital, elle n’est plus la jeune fille qu’elle était. La vie les forge, encore faut-il être cohérent avec soi-même, et c’est là que l’écart se creuse. Une génération pousse l’autre à faire les choix de notre temps, d’autant plus que Nour est une femme qui ne se cantonne pas de suivre.
La question de l’origine n’est pas un sujet, mais il est clair que Slimane a dû s’imposer alors qu’il n’était qu’ouvrier et un Maghrébin dont on a toujours attendu qu’il la ferme. Il porte une Histoire dont il se revendique. Il sait ce qu’il a dû endurer. Il est autodidacte et le moment où il lit à Nour son discours pour le mariage de sa sœur Sofia est très émouvant. La famille est structurante : Nour devra faire cavalier seul mais elle sera essentielle pour faire avancer Slimane dans ce délicat débat, chaque jour plus prégnant, que des hommes politiques ont un peu vite résumé dans un choix « entre fin de mois et fin du monde ».