Sant

De Youssou N'Dour

Un hommage au soufisme
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Disponible à Dakar depuis décembre 2003 (sortie mondiale avril 2004) cet album sublime suscite au Sénégal bien des palabres, déconcertant jusqu’aux fans les plus inconditionnels de « You »…

En effet, il s’éloigne autant du mbalax originel que de la pop occidentale où le chanteur s’était aventuré (et parfois fourvoyé) ces dernières années.
On le sait, Youssou a été très affecté par le  » syndrome du 11 septembre  » et ses conséquences catastrophiques – il a même annulé l’an dernier, à la dernière minute, une tournée américaine prévue de longue date, pour protester contre l’invasion de l’Irak. Sant n’est pourtant pas un disque  » réactif « , mais l’aboutissement d’un projet très ancien, dont il m’avait parlé il y a déjà une dizaine d’années.
Parenthèse amusante : j’assistais alors en sa compagnie aux célébrations de la fin du Ramadan à Dakar. Youssou devait animer la grande soirée (dansante) pour la levée du jeûne, à la caserne de la gendarmerie. Or les deux principales confréries musulmanes sénégalaises (les Mourides dont il fait partie et les Tidjanes) se trouvèrent en désaccord sur la date choisie – qui dépend d’une observation subjective de la lune. Aussitôt, Youssou décida pour réconcilier tout le monde de chanter deux nuits (blanches) d’affilée…et ce furent les plus beaux concerts de lui auxquels j’ai assisté jusqu’ici !
Sant est une œuvre sacrée : une sorte d’oratorio, hommage à tous les grands missionnaires soufî qui ont converti le Sénégal à l’islam : Cheick Amadou Bamba Mbacké (fondateur de sa confrérie mouride) mais aussi le khadre Abdoul Jilani, le layène Mahdiyu Laye ou les tidjanes Malick Sy et Baye Niasse.
Enregistré au Caire et mixé à Paris (par l’excellent Philippe Brun), Sant est tout simplement le meilleur album de Youssou depuis l’inoubliable Immigrés (1985). C’est aussi à ce jour l’une des plus belles rencontres musicales entre l’Afrique de l’Ouest et le monde arabe.
On a souvent dit que la musique sénégalaise est  » autosuffisante « . Cela ne l’a jamais empêchée d’être comme toute la culture de ce pays exceptionnellement ouverte aux échanges. Les musiciens sénégalais sont ici très présents : le grand maître du sabar Mbaye Faye (compagnon de Youssou depuis plus de vingt ans), l’ensemble de percussion Beugue Fallou, Alseyni Camara (balafon), Babou Laye (kora), les chanteurs Kabou, Mama & Souka Gueye… Tous se fondent parfaitement dans les orchestrations somptueuses de l’orchestre égyptien de Fathy Salama, où violons et altos voisinent avec les instruments traditionnels : flûte ney, luth oud, vièle rababa, hautbois kawala, magruna et mizmar, tambours doholla et tabla, cymbales sagat.
Cette instrumentation est celle qui accompagnait habituellement la grande Oum Kalsoum, dont la voix émerveilla Youssou N’Dour dès l’enfance, et dont on retrouvera ici l’influence. Jamais le chant de Youssou n’a été aussi  » long « , aussi souple et alangui, très  » oriental « , tout en conservant sa proverbiale précision rythmique.
Sant débute sur fond de kora et de ney par une célébration à la fois sereine et passionnée de Allah. Et se conclut par une visite très peu touristique à Touba – la cité sainte des Mourides. Malgré l’absence d’artifices électroniques, l’ensemble, par son côté fiévreusement dansant, fait beaucoup penser aux derniers enregistrements du génial et regretté Nusrat Fateh Ali Khan, comme un trait d’union entre tous les soufis, du Pakistan au Sénégal. Est-il besoin de rappeler que le soufisme, à rebours de tous les discours imbéciles et ignorants à la mode sur l’islam, a toujours magnifié le chant et la musique, l’art et la danse, l’amour et la poésie, la paix et la tolérance comme les voies privilégiées, infiniment diverses mais universelles d’une foi qui respecte toute l’humanité ?
Ce chef-d’œuvre absolu en est un parfait témoignage.

Sant, de Youssou N’Dour (Xippi / Nonesuch – Warner Music)///Article N° : 3309

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