Sello Duiker, un auteur est né

Extrait de La violence tranquille des rêves, Kwela Books, 2001

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Sello Duiker, 26 ans, réside à Johannesburg, où il vit de son métier de créatif pour la publicité. Son premier roman, Thirteen Cents, a été récompensé par un prix du Commonwealth. Son second roman, The quiet violence of dreams (La violence tranquille des rêves), raconte à travers les voix de plusieurs personnages les tribulations du jeune Tshepo, en proie à un traumatisme pris par les médecins pour une psychose liée à l’usage du cannabis. La prose de Sello Duiker, directe, ne s’encombre d’aucun tabou, d’aucun complexe. Elle ne se réduit ni à son identité d’homme noir, ni à son homosexualité revendiquée. Un auteur est né.

Sello Duiker : un auteur est né
Ja, les Cape Flats. Ils sont comme un système de tissage compliqué et souterrain. Tous ceux que je connais là voudraient bien vivre ailleurs, mais ils font semblant de prendre du bon temps. Voilà pourquoi les gens font tant de bruit, pourquoi ils rient si fort et crient. Ils le font parce que dans leur intimité, il retiennent des larmes qui étouffent ce qu’il reste d’eux. Ils sont rongés par la jalousie et l’envie et la colère pour ce que untel et untel leur ont fait. Vous cessez d’être une personne si vous passez votre vie entière dans les Cape Flats, si vous ne sortez pas pour un temps, même une journée. Les morts, les viols, les cambriolages, les dépressions, ils deviennent un style de vie, des nombres stupides qui s’élèvent à rien et que les gens oublient vite. Personne ne se souvient que Mme Paulse était en fait une dame décente avant qu’ils ne tuent son fils. Personne ne se souvient qu’avant de devenir froide et de ne plus saluer les gens et de commencer à verser de l’eau chaude sur les enfants du quartier qui jouaient bruyamment à sa porte, elle souriait. Personne ne se souvient qu’elle était belle, avant de devenir un sac décharné avec trop de haine. Les gens vous prennent pour argent comptant parce qu’ils n’ont rien à offrir. Ils ont si peu eux-mêmes, si peu de fierté, si peu de respect et de sens de ce qui compte. Ils ont leur propre histoire à raconter et elle parle rarement d’école, de bonnes manières et de valeurs familiales. Il s’agit plutôt d’une vie de bandits, vendredi soir au bistrot de Bennie où vous pouvez avoir de l’alcool frelaté pour rien, rouler des joints d’herbe et vous faire sucer par quelque prostituée séropositive et bon marché que vous avez payée pour vous et vos amis. Il s’agit de marcher dans les rues en se demandant d’où viendra votre prochain repas, qui voler pour l’avoir, où aller pour acheter un pistolet pas cher. Il s’agit de barons de la drogue qui règnent sur les rues et des rues qui les mènent en prison et à plus d’ennuis. Parce que les Vingt-Huit n’aiment pas les Vingt-Six et votre connexion devient votre ennemi. C’est la maison de la misère, faite pour prendre, prendre et prendre jusqu’à ce que ça saigne. Prendre jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien, jusqu’à ce qu’il y ait un trou en terre.

///Article N° : 1876

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