Jusqu’au 22 décembre, la Compagnie R.I.P.O.S.TE présente Silenciô, l’Enfant sans Nom au Théâtre d’Ivry Antoine Vitez. Ce spectacle jeune public, écrit par D’ de Kabal, retrace le combat intérieur d’un jeune garçon maltraité et placé en foyer. À travers la danse, la musique et le chant, Silenciô cherchera à s’émanciper de douleurs et de peurs qu’il n’arrive pas à exprimer. Le spectacle tourne ensuite du 17 au 21 mars 2014 au Théâtre de Nîmes.
Dans mes écrits, au fil de l’évolution de mon travail, je me suis beaucoup attaché à décrire les douleurs et les peurs de l’homme. J’ai souvent tenté de lire dans ses blessures. C’est là, je pense, que se trouve un bon nombre de pistes permettant de saisir le sens de l’âme humaine. Et c’est en allant chercher au fond de mes traumas et de ceux de mes semblables que finissent par se dégager des pistes permettant une analyse de la société dans laquelle l’homme se sent encastré. En ce sens, le travail autour de l’enfance m’a toujours semblé être un chemin particulièrement intéressant. « Les adultes d’aujourd’hui sont les enfants d’hier » ainsi, c’est en interrogeant l’enfance qu’on peut aussi dégager des pistes permettant de comprendre le monde adulte.
D’ de Kabal, Silenciô, l’Enfant sans Nom, note d’intention.
Silenciô, l’Enfant sans Nom, spectacle qui allie théâtre, danse, musique et rap, retrace l’épreuve initiatique d’un jeune garçon découvrant la dualité de la mémoire et luttant contre ses démons intérieurs dans l’espoir de se construire un avenir moins sombre. À travers des éléments symboliques le spectacle ouvre à de multiples interprétations et laisse à chacun un espace de projection personnelle. Dans l’atmosphère noire et enfumée, le public devine petit à petit le dispositif scénique conçu par D’ de Kabal qui interprète Écorche, et Farid Ounchiouene, qui prête son corps aux maux de Silenciô, afin de nous plonger au cur d’une nuit cauchemardesque sous le regard intriguant de l’éducateur. L’histoire nous racontera pourquoi, Silenciô, ironiquement surnommé ainsi à cause de son trop-plein de parole, se découvre une tâche qui grandit sur son ventre au fur et à mesure que son anxiété s’accroît. À côté du héros éponyme, se tient Écorche, dont le patronyme nous plonge dans le souvenir d’Écorce de peines, un conte imaginé par D’ de Kabal en 2011 et qui abordait frontalement la question de l’esclavage. Ici Écorche, qui avale tout sur son passage, est un adolescent boulimique. Entre duo et duel, les deux personnages se retrouvent autour de bribes de souvenirs et apprennent à se connaître.
Au fil de leurs danses, de leurs chants et de leurs échanges ils se racontent et tentent de se comprendre. Ils reviennent sur leurs parcours, ce qui les a conduits à être placé dans le foyer d’où ils parlent cette nuit-là sous la surveillance inquiétante du guetteur. Enfermé derrière une sorte de miroir sans tain, Franco Mannara est à nouveau le complice de D’ de Kabal, il manipule ici à vue son orchestre technologique. En résulte un corps de voix et de sons inouïs qui sont à l’origine de la richesse d’un spectacle s’articulant à la source d’une musicalité dramatique étant le medium par lequel la fable se livre à nous.
Comme pris au piège d’une activité nocturne qui le dépasse, Silenciô danse les images qui le hantent, celles d’un ogre qui n’est pas celui qu’on croit. En effet, l’ogre n’est-il pas une allégorie percutante du prédateur ? La figure de ce qui nous poursuit et nous ronge de l’intérieur ? Le jeune garçon semble ici chercher en son camarade factice une sorte d’alter ego qui endosse finalement le masque d’une mémoire destructrice. La construction mentale dont est victime Silenciô est aussi ce qui va lui permettre de donner voix à la peur pour dépasser son mal-être.
Derrière le recours aux codes du conte se situe l’épineuse question de la maltraitance et des multiples raisons qui poussent certains enfants à se retrouver en foyer. À travers un dispositif fonctionnant comme un écran de projection, qui étrique les corps des danseurs-comédiens-rappeurs (un carré tracé au sol face à la cabane du guetteur et quelques espaces géométriques signifiants des territoires à traverser) la place est laissée aux gestes, aux voix et aux sons. Les situations que parcourent Silenciô et Écorche sont mimées ou chantées : la course, le doute, les mouvements des plafonds et la respiration de l’ogre Dans un rythme de plus en plus rapide le duo se transforme en duel et l’on perçoit le sentiment de persécution dont est victime Silenciô. Un sentiment qui explique l’hyperactivité d’une parole vaine qui coule pour ne pas affronter l’essentiel. La réminiscence du trauma permettra peut-être à Silenciô d’être au plus près de lui-même et de comprendre enfin l’objet de son mal-être.
Huis clos que l’auteur a voulu angoissant, Silenciô, l’Enfant sans Nom s’adresse à nos sens et travaille nos peurs pour mieux les faire ressortir. C’est la parole qui est au cur de ce spectacle pensé comme un long rap syncopé. Le texte est une partition jouée tant par les multiples voix des deux comédiens que par la musique qui se fait-elle même personnage. D’ de Kabal fait un choix délicat en abordant le difficile sujet de la maltraitance. Mais il va bien au-delà en touchant les points sensibles de nos traumas individuels et collectifs. C’est par la dynamique de ce spectacle fort mais tout en maîtrise, qu’est interrogé notre rapport aux douleurs et aux peurs qui nous traversent depuis toujours. Comprendre et dire pourquoi on souffre est la pierre angulaire de ce spectacle qui aide petits et grands à ne plus se penser en victime. Silenciô, l’Enfant sans Nom se propose au jeune public sans aucune infantilisation de la forme ni du ton ce qui accentue la pertinence du propos et nous interpelle plus que jamais tout en faisant résonner irrémédiablement la nécessité de communiquer avec des moyens que nous sommes libres d’inventer.
Silenciô, l’Enfant sans Nom
Texte de D’ de Kabal – Cie R.I.P.O.S.T.E
Danse, rap, musique – Durée : 55 minutes
Création tout public de 10 à 110 ans
Mise en scène : D’ de Kabal et Farid Ounchiouene
Chorégraphie : Farid Ounchiouene
Musique : Franco Mannara
Design d’interactivité : Janken Pop
Régisseur son : Thierry Cohen
Création lumière : Romain Ratsimba (Théâtre d’Ivry)
Avec : D’ de Kabal, Franco Mannara, Farid Ounchiouene
Coproduction : Théâtre d’Ivry-Antoine Vitez, Cie R.I.PO.S.T.E
Avec l’aide à la création et à l’innovation musicale et l’aide à la production dramatique du Ministère de la Culture-Drac Ile-de-France.
Avec l’aide à la création chorégraphique du Conseil général du Val-de-Marne.
R.I.P.O.S.T.E est subventionnée par le Conseil général de la Seine-Saint-Denis et la Région Ile-de-France.///Article N° : 11938