Smarty : Afrikan Kouleurs ou le renouveau en solo

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Sorti en novembre dernier, l’album Afrikan Kouleurs de Smarty, rappeur du groupe Yeleen, fait son petit bonhomme de chemin. Après le sacre du meilleur clip vidéo avec le titre Le chapeau du chef aux Kundé 2013, l’artiste vise à présent le Prix Découvertes RFI 2013.

De Yeleen à Smarty
C’est en 2000 que le groupe de rap Yeleen, qui signifie « lumière » en bambara, apparaît sur la scène musicale burkinabè. Il compte deux membres : Louis Salif Kikieta alias Smarty du Burkina Faso et Célestin Mawndoé du Tchad. Leur premier album, Juste 1 peu 2 lumière, sorti en 2001, fait découvrir une musique urbaine d’un style nouveau. Le succès ne se fait pas attendre. Dès 2002, le groupe est nominé aux Kora Music Awards en Afrique du Sud dans la catégorie du meilleur groupe africain. Outre de relever le défi d’organiser pour la première fois en 2004 un concert au Stade Municipal de Ouagadougou devant 20 000 spectateurs, Yeleen reçoit en 2007 le Kundé d’or. Avec cinq albums à son actif, le groupe est devenu, en une décennie, une figure de proue du rap au Burkina Faso, et plus largement sur le continent africain.
Mais la machine va se gripper un jour de juillet 2011 où Smarty publie sur sa page Facebook qu’il met un terme à sa collaboration avec le groupe. Pourquoi ? « Un coup de tête », expliquera-t-il plus tard. L’indignation des fans est grande et ils la clament haut et fort sur tous les canaux. Smarty reviendra sur sa décision une semaine après et présentera ses excuses à ses fans. Rien n’y fit. Et la sortie de l’album solo de Mawndoé, Daari, en décembre 2011, n’est pas pour arranger les choses. Dans un single publié sur Youtube en août 2011, intitulé Smarty parle à ses fans, l’artiste annonce qu’il quitte la scène musicale. Visiblement, Smarty traverse une crise profonde.
Un retour triomphal
On comprend donc l’émoi de ses fans lors de sa brève apparition à Saga Musik, salon de la musique, en janvier 2012 à Ouagadougou. S’en suit alors une résidence de création avec des musiciens réunis sous le sceau de « Bolo Bein Roots » qui aboutit en novembre 2012 à un album de 14 titres, baptisé Afrikan Kouleurs. Produite par Umané Culture et éditée par Sawat, l’œuvre a été annoncée à grands renforts de campagne médiatique : site Internet flambant neuf (1), teasers, diffusion des clips sur des chaînes de télévision européennes, vente de l’album en ligne, etc.
Coup d’essai, coup de maître
Pour l’artiste, cette aventure en solo constitue une double gageure. D’entrée de jeu, se départir du rap qui lui colle à la peau pour s’essayer au chant. Dans Stop pas la musique, il questionne sa capacité à changer de registre. « Smarty, ça, c’est quoi ça encore ? Tu n’as pas dit tu es rappeur seulement ? », se demande-t-il, mais finit par se convaincre de sa prouesse en concluant la chanson par une autre interrogation : « Qui a dit c’est rap seulement on peut faire ? ». Même s’il reconnaît qu’il n’est qu’à ses débuts en tant que chanteur, il n’en demeure pas moins que Smarty démontre une fois de plus qu’il a du talent. Mais pas seulement. Il peut tout aussi bien briser ses propres limites pour explorer d’autres horizons stylistiques.
D’autre part, l’artiste réussit à imprimer une coloration résolument africaine à sa musique à travers un compagnonnage plaisant entre tradition et modernité. Il s’agit non pas de marquer la présence des instruments traditionnels dans ses compositions, mais bien au contraire de les mettre en avant. Omniprésents dans les différents titres qui composent l’album, les kundé (2) (basse et solo), accompagnés d’une batterie et d’une guitare acoustique, distillent des sonorités modernes (reggae, slam, techno, rap, dance hall, etc.). C’est là tout le sens de l’album comme l’explique Smarty :
« Afrikan Kouleurs parce que le projet a été bâti à 70 % avec des instruments traditionnels africains. […] Pour nous, le défi était de joindre ces instruments traditionnels au côté urbain de ma musique, afin de lui donner une identité, tant par la couleur du son que par les thèmes qui y sont abordés. « (3).
Le choix de Smarty d’enregistrer l’album entre le Burkina et le Mali, n’abordant les questions techniques (mixage et mastering) qu’en France, n’est pas fortuit. Cette démarche sert une volonté manifeste de préserver l’authenticité de sa musique en gardant un lien avec l’Afrique, sa source d’inspiration. Le contraire aurait été inconcevable comme il se plaît à le souligner :
« Vous imaginez Afrikan Kouleurs entièrement enregistré en Europe ? Ça sonnerait faux. » (4)
En outre, ses duos chantés avec de grands noms comme Tiken Jah Fakoly, Soprano ou encore son ami Dudn’J agrémentent davantage l’album tant du point de vue de la stature des collaborateurs que de la richesse musicale qu’ils apportent.
Qu’il chante en mooré, jula, français et anglais, Smarty reste fidèle à lui-même. La rime à fleur de peau, la plume alerte, le verbe acéré, il aborde des thématiques transversales, mais qui laissent transparaître une certaine récurrence. L’artiste voue un amour inconditionnel à sa mère à travers Everything et à sa dulcinée dans le titre M’dolé et milite, avec Soprano dans M’térichê, pour une valeur qui lui est chère, l’amitié. Dans un monde trouble où les hommes sont « Yelle » (dangereux en mooré), l’espoir est permis comme il l’évoque si bien dans Au royaume de mes espérances. Mieux, il se fait le loisir d’inventer un monde fantasmatique débarrassé de toutes les turpitudes de la vie et d’en écrire de nouvelles pages, vierges de toutes les tares de la société. Se faisant le défenseur des couches défavorisées de tous les continents, Smarty pousse la naïveté jusqu’à l’extrême car, espère-t-il, « grâce à la Chine, Yopougon fera incliner Las Vegas ». Avec tact, il s’aventure aussi sur le terrain glissant de la politique. Le Chapeau du chef trouve étrangement une résonance dans la situation politique actuelle au Burkina Faso. La question fait florès dans les débats politiques et les médias : le président actuel se succédera-t-il à lui-même ou, dans l’éventualité d’une alternance, qui sera le prochain chef du Palais de Kosyam en 2015 ? Deux camps se font front : alors que les caciques du pouvoir font des pieds et des mains pour faire sauter le verrou de l’article 37 limitant le nombre de mandats présidentiels, l’opposition y soupçonne des manœuvres iniques de patrimonialisation du pouvoir.
Des habitudes à la peau dure
L’unanimité est de mise, Afrikan Kouleurs est une œuvre de belle facture. Cependant, même si Smarty et Mawndoé soutiennent le contraire, il est une réalité que les mélomanes ont du mal à accepter : Yeleen n’existe plus de fait. Ceux-ci relèvent d’ailleurs un goût d’inachevé dans l’album solo de Smarty, marqué par l’absence de l’irrésistible voix de Mawndoé. S’enfermant dans des comparatismes étriqués, exacerbés par une envie folle d’une reconstitution du groupe, ils perdent ainsi de vue les critères objectifs d’appréciation de l’album en lui-même.
Quoi qu’il en soit, l’album Afrikan Kouleurs fait tout doucement ses preuves sur le terrain. Au mois d’avril dernier, Le chapeau du chef remportait le prix du meilleur clip vidéo aux Kundé 2013, cérémonie annuelle de récompense des meilleurs artistes au Burkina. En lice avec onze autres artistes africains, sélectionnés parmi des centaines de candidats, Smarty espère remporter au mois d’octobre le Prix Découvertes RFI 2013. Mais en attendant, il n’est pas osé de poser le postulat que l’artiste a bien franchi un cap, celui de s’essayer avec succès à la chanson et de mêler avec bonheur mélopées traditionnelles et modernes. Une renaissance qui lui vaudra certainement bien des lauriers.

1.  [www.smartyofficiel.com]
2. Instrument à cordes africain aussi appelé N’goni.
3. Interview de Smarty publiée sur son site internet le 7 novembre 2012, à moins de deux semaines de la sortie officielle de son album.
4. Ibid.
///Article N° : 11828

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