« Si tu ne connais aucun proverbe, c’est que tu n’as pas écouté la parole d’un ancien ». Mais comment une réalisatrice congolaise grandie en Belgique peut-elle retrouver le sens de sa propre culture ? Après la mort de son père, Monique Phoba, installée au Bénin, opère un retour à ses origines congolaises, à travers un vieux compagnon de son père, Mbata Nkolo Npanzu Muanda, juge coutumier de 19 villages mais vivant à Kinshasa, qui partage avec lui une même histoire « arrimée au passé et ouverte au futur », ancrée dans la tradition et influencée par l’Occident. Le film se fera ainsi constant va et vient entre le désir de comprendre de la réalisatrice et des comportements locaux emprunts de croyances qui lui apparaissent très décalées. Très vite, la place de l’irrationnel s’avère centrale et la sorcellerie le noeud.
Monique cherche, lit, visionne, regarde des photos. Elle va à la bibliothèque du musée d’Afrique centrale de Tervuren, prend des notes, fouine. Elle interroge son frère sur l’utilité de sa démarche de cinéma et se cadre volontiers dans l’image en plan moyen, à égalité avec ses interlocuteurs avant de leur laisser le champ : le sujet est ce qu’elle ressent au plus profond d’elle-même, cette double appartenance à des cultures que tout sépare, et notamment ces croyances qu’un esprit occidental ne peut accepter. Elle n’est pas la seule et s’en assure : Sidonie, professeur de danse à Bruxelles, et ses élèves congolaises parlent tout de suite de sorcellerie et de danger en parlant de leurs origines.
Le vieux Mbata a étudié pour jouer un rôle « d’abord pour sa lignée, ensuite pour son clan, enfin pour son pays » (une hiérarchie très parlante pour l’Afrique), mais étudier chez les Blancs, c’est devenir sorcier comme eux
Les choses sont ainsi plus complexes qu’une seule diabolisation de l’Africain : c’est l’altérité qui est en cause, dans les deux sens, avec la force du rapport imaginaire.
On connaît les féticheurs et les devins, mais pas les sorciers : ils ne se déclarent pas. A qui a-t-on à faire ? Le danger guette et les projections sont faciles dans des sociétés où l’irrationnel prend une grande place dans l’identification des causes. Mbata est accusé d’avoir sacrifié une fille et son enfant pour avoir son poste de chef coutumier, alors qu’elles n’étaient que renversées par une voiture. Des pratiques cruelles sont évoquées : des enfants meurent d’avoir été ligotés sans boire ni manger ou sont forcés de boire de l’huile pour les exorciser. La police ne sait comment prévenir les choses.
C’est sur ce trouble que se clôt le film : la quête des origines débouche sur un décalage qui n’est pas seulement celui de la réalisatrice mais à la source du malentendu culturel africain : « Diabolisés à nos propres yeux, nous nous éloignons sur les chemins du monde sans guide et sans repère ».
Le constat est amer mais il est dynamique. La sorcellerie n’est pas vue ici d’un point de vue ethnographique et on apprendra pas grand chose sur elle si ce n’est que la cosmogonie africaine suit d’autres logiques qui nous resteront étranges. Le film se cherche, un peu touffu, et aligne les pistes comme une enquête. Mais c’est justement parce qu’il ne cherche pas à imposer une réponse qu’il réussit à inverser les visions réductrices qui hantent les têtes encore coloniales. Car ce regard très personnel nous emmène dans une quête où l’étrangeté se révèle être une complexité plutôt qu’un retard ou un sous-développement. C’est la clef de la compréhension et c’est sans doute ce que le film cherche à être : l’ouverture à une vision où l’Autre cesse d’être un diable mais est lui aussi à la recherche, à sa façon, de ce qui fait la vie.
www.karabaprod.com///Article N° : 3950