Sotigui Kouyaté, fils de l’Afrique et citoyen du monde

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« Si on me demande de me définir, je dis : Je suis fils de l’Afrique et citoyen du monde », déclarait Sotigui Kouyaté lors de sa décoration au pavillon des cinémas du monde du festival de Cannes en mai 2009. Tout a déjà été écrit à l’occasion du décès de Sotigui le 17 avril 2010, à l’âge de 73 ans des suites d’une maladie pulmonaire qui lui faisait traîner un bidon d’oxygène dans ses dernières années. Nous ne voudrions ici qu’y ajouter un court hommage autour de cette idée simple qu’il ne se lassait pas de répéter : que toute rencontre entre les cultures est à encourager.

Bien sûr, ce qui frappait était sa modestie, qui apparaît si fort dans le portrait que lui a consacré le réalisateur tchadien Mahamat-Saleh Haroun : Sotigui Kouyaté, un griot moderne (1996). « J’ai eu le privilège d’être apprécié par des amis et frères africains comme le cinéaste Mustapha Alassane qui m’a donné mes premiers rôles dans des longs métrages et m’a permis d’en faire la musique », me disait-il lors de notre entretien de juin 1997 ([ entretien n°2472 ]).
Effectivement, c’est avec les pionniers des cinémas d’Afrique que Sotigui Kouyaté a démarré au cinéma, dans des films comme FVVA : Femme, villa, voiture, argent et Toula ou le génie des eaux (Mustapha Alassane, 1972 et 1973) et Le Médecin de Gafiré (Mustapha Diop, 1983). Cela venait après un parcours étonnant. Né de parents guinéens le 19 juillet 1936 à Bamako, il a vécu au Burkina Faso et a exercé une multitude de métiers : enseignant, menuisier, secrétaire à la Banque d’Afrique occidentale, animateur de radio, footballeur… Il avait été joueur professionnel et capitaine de l’équipe du Burkina Faso, ce dont il était très fier.
Ce n’est qu’en 1966 qu’il se lance dans le théâtre sur la demande de son ami Boubacar Dicko. Cela lui plaît : il crée une compagnie et tâte de la mise en scène.
« En tant qu’Africain, je crois que théâtre et cinéma peuvent permettre à l’Afrique de sortir de la méconnaissance », me disait-il encore. Cela voulait dire pour lui prendre le risque d’aller à rebrousse-poil : son rôle dans Ie Courage des autres du Français Christian Richard (1982) qui enseignait à l’INAFEC, légendaire école de cinéma de Ouagadougou, ne lui valut pas que des éloges. Le film décrivait le rôle des Africains dans la traite négrière, à la solde des esclavagistes à qui ils livraient les butins de leurs razzias. Il fut dénoncé comme déresponsabilisant les Blancs.
Cette histoire africaine fut déterminante pour Sotigui : Peter Brook, qui cherchait des comédiens pour son Mahabharata, visionne le film au montage et lui propose le rôle de Bhishma. C’est le début d’une relation qui ne s’interrompra pas. Après la tournée mondiale et l’énorme succès du Mahabharata, Brook le reprend pour La Tempête de Shakespeare en 1990. Sotigui s’impose comme un arbre et c’est bien cette figure qu’il aura encore dans son dernier film ou il incarne un garde forestier à la recherche de son fils, London River de Rachid Bouchareb, un rôle pour lequel il obtient le prix d’interprétation à la Berlinale de février 2009.
Après L’Homme qui (1993) et Hamlet (1995), Peter Brook met à nouveau en scène Sotigui en 1999 dans Le Costume, extraordinaire pièce du Sud-africain Can Themba. C’est également lui qui portera le rôle-titre de Tierno Bokar d’Amadou Hampâté Bâ en 2004.
En parallèle, Sotigui joue au cinéma : Black mic-mac (Thomas Gilou, 1987), Y’a bon les Blancs (Marco Ferreri, 1988), Un thé au Sahara (Bernardo Bertolucci, 1989), IP5 (Jean-Jacques Beineix, 1990), Golem, l’esprit de l’ exil (Amos Gitai, 1992), Wendemi (Pierre Yaméogo, 1993), Tombés du ciel (Philippe Loiret, 1993), Keïta, l’héritage du griot (son fils Dani Kouyaté, 1995), Le Maître des éléphants (Patrick Grandperret, 1995), Saraka-bô (Denis Amar, 1996), Le Genèse (Cheick Oumar Sissoko, 1999), Little Senegal (Rachid Bouchareb, 2001), Sia – Le rêve du python (Dani Kouyaté, 2002), Dirty Pretty Things (Stephen Frears, 2003), Génésis (Marie Perennou et Claude Nuridsany, 2004), L’Annulaire (Diane Bertrand, 2005).
Pour mener à bien une telle carrière, Sotigui s’était installé en France. « Je ne parlerai jamais le français comme un Français mais de l’autre côté, il n’y a pas un effort clair pour comprendre l’Autre : le courant ne va pas dans les deux sens », me disait-il. Est-ce pourquoi il a créé avec Habib Dembélé, Alioune Ifra Ndiaye et Jean-Louis Sagot-Duvauroux le Mandeka Théâtre à Bamako ? « Les acteurs africains n’ont pas encore leur place, ni à l’étranger, ni auprès de nos frères », me disait-il encore. Cette compagnie se voulait « ouverte sur le monde, désireuse d’impulser une dynamique artistique de la confrontation culturelle et esthétique » écrira Sylvie Chalaye dans son article sur leur première création, une adaptation d’Antigone de Sophocle tournant autour de « l’antagonisme universel »([ critique n°746 ]). Sotigui interprétait Créon et signait une mise en scène très chorégraphique. La pièce tourna avec un grand succès en France avec une cinquantaine de représentations.
Le Mandeka Théâtre deviendra Blonba sous la houlette d’Alioune Ifra Ndiaye et Sotigui continuera son chemin de griot : « Les griots croient que les êtres humains sont faits pour se rencontrer, et qu’aucune barrière ne les sépare : les différences ne sont que complémentaires. » Ses enfants, le réalisateur Dani Kouyaté et le conteur Hassane Kassi Kouyaté, suivent le même chemin : « Les morts ne sont pas morts ».

///Article N° : 9449

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