Petite histoire du Koteba d’Abidjan, résolument ancré dans le devenir de la ville, et portrait de son directeur Souleymane Koly.
Le Koteba est résolument urbain. Ses acteurs et ses créations se nourrissent du bouillonnement de la capitale économique de Côte d’Ivoire, ville africaine comme il en explose partout dans l’hémisphère sud. Non, pas l’une de ces villes que présentent les publireportages où les magazines pour consommateurs d’exotisme. Plutôt celles des entrailles, là où se trouve les « organes vitaux » de toute Médina.
En novembre 1971, quand Souleymane Koly, sa femme et leur premier fils s’installent dans l’un des plus gros port d’Afrique occidentale, le sociologue sent des pulsions, qui ressemblent à quelque chose d’explosif, d’implosif, ce quelque chose qu’on sent dans toute cité, quand on découvre et écoute les endroits où le tempo présente non pas des images artificiellement préfabriquées mais celles du vécu quotidien.
La « Perle des Lagune », appellation vulgarisée par les dépliants touristiques, Abidjan, exemple singulier de « La Métropole » africaine, brille de mille feux en cette décennie de grâce de l’ère Houphouët-Boigny, « père fondateur » d’une République-vitrine de la France. Ça bouge de partout. Il arrive du monde de tous les côtés d’Afrique. La ville enfle à vue d’il. Tout pousse. Des palais, des tours, des usines, des villas cossues, des blocs entiers de logements économiques, des bidonvilles, des H.L.M , des débuts de lieux de la création et de la diffusion artistique, des salles de danse à ciel ouvert. Une tempête d’urbanité. Comme dans la forêt, tout s’enchevêtre et se tient à des niveaux pas forcément visibles à la surface.
Dans les cours communes, on retrouve pêle-mêle, Bété, Haoussa, Dioula, Baoulé, Senoufo, Ouolof, Mossi, Gouro, Soussou, Yacouba , les ethnies ivoiriennes s’accouplent avec le reste de l’Afrique. Le métissage galope au rythme de l’exode rural et de l’immigration, aussi coloré que l’arc- en- ciel. Les générations produites par ce mixage présentent des croisements du genre Sénégalo-Ivoiro-Burkinabé, Ivoiro-Sénégalo-Malien, Burkinabè-Ivoiro-Malien, Ivoiro-Guinéen-Togolais etc. Avec leur camarades d’âge, les Ivoiriens pur sang vocabulaire d’ivoirité – vont dans les mêmes écoles, jouent sur les mêmes terrains, fréquentent les mêmes bars, draguent les mêmes filles, vivent les mêmes galères, usent des mêmes codes, réinventent un parler et une esthétique communs. Cette jeunesse, comme toutes les autres d’ailleurs, toujours au centre des « préoccupations » des discoureurs, parle un langage dont l’écho semble emporté par le vent à l’orée des palais des décideurs. Et pourtant, leur bourdonnement s’entend et leur spectre s’affiche, en gros plan pour quiconque sait écouter et regarder. On nous l’a toujours dit : « Qui a des yeux pour voir, voit, des oreilles pour entendre entend ». Cette jeunesse-là sculpte son monde avec les outils que le système daigne lui concéder. C’est-à-dire son imaginaire et ses ongles.
Ces vagues successives arrivent insidieusement sur la place, collectent leurs héros dans les péplums italiens et les méga productions américaines ; leurs idoles circulent entre Londres, Paris, New York, Tokyo, Kingstone, Abidjan, Dakar ou Libreville.
Cette jeunesse-là connaît et aime les marques « up to date », Nike, Levis Straus, ou
Pathé’O. Elle écoute Gainsbourg et Vanessa Paradis, danse sur James Brown et Montel Jordan, drague avec Edith Lefel ou Kassav, collectionne les vinyles de Fela Anikulapo Kuti et grave Bob Marley, Alpha Blondy ou Positive Black Soul.
Cette même jeunesse accompagne papa et maman au village pour les funérailles, pour la Fête des ignames ou pour la Sortie de Bois Sacré. Gavée de hamburgers comme de foutou sauce graine, elle coure allègrement sur tous les territoires du monde contemporain.
Ce produit de la brousse et de la foret, du béton et du verre, de la technologie et de la science qui surfe aujourd’hui sur le net, ne peut – ne doit ? que conjuguer l’Afrique au futur. On doit l’expression au Koteba.
C’est sur cette Afrique et ses mutants que Souleymane Koly fonde son projet artistique et crée l’Ensemble Koteba d’Abidjan en 1974 après avoir occupé la fonction de Directeur du Département des Arts et Traditions Populaires de 1971 à 1973, à l’école des Beaux Arts d’Abidjan.
Souleymane Koly: »
A l’intérieur de cette structure j’ai tenté de faire passer les idées qui allaient constituer plus tard les bases conceptuelles de l’Ensemble Koteba d’Abidjan. Le Département ne devait pas se contenter d’être un lieu de collecte et d’archivage des traditions populaires. Il devait apporter aux autres départements des Beaux Arts les éléments de patrimoine qui devaient les conduire à « ivoiriser leur enseignement et leur création ». Pour se faire, j’ai crée 3 unités :
– une cellule de recherches et créations musicales,
– une autre pour les arts plastique,
– et la troisième pour les Arts de la scène
animées par des collègues cooptés au sein des départements de la musique, du théâtre, et des beaux arts.
Malheureusement, l’Administration n’était pas prête à recevoir ces idées. Je suis donc parti de l’Institut National des Arts en 1973 pour intégrer en juillet de la même année, le ministère du Plan, en qualité de sociologue. J’y suis resté jusqu’en 1984 « .
Adolescent, Souleymane Koly coursait pendant les vacances les représentations théâtrales des grands frères de la Guinée révolutionnaire de Sékou Touré. A Paris, où il étudie la sociologie et acquiert le diplôme du Centre d’Etudes Littéraire et Sciences Appliquées, il monte avec des amis, l’Ensemble Kaloum Tam Tam.
Quand le jeune cadre regagne l’Afrique, il définit et structure le Groupe de recherche et créations sur les arts du spectacle à l’Institut National des Arts d’Abidjan, écrit « Tam Tam, Voix et Corps », qu’interpréteront des sociétaires de la maison comme Bitty Moro, Bienvenu Néba, ou Sidiki Bakaba, premier jet d’une volumineuse production.
L’administration publique n’adhérant pas à sa vision de la création contemporaine africaine, il ne s’arrêtera pas pour autant en si bon chemin. Il plonge dans les quartiers populaires, sonde les scènes d’une société en pleine mutation et s’entoure de femmes et d’hommes de ville qui camperont des personnages caustiques d’un théâtre d’inspiration traditionnel.
» Le Koteba est d’origine Bamana du Mali qui désigne une forme de spectacle traditionnel mêlant à la fois théâtre, musique et danse. C’est un genre comique porté sur la critique des travers sociaux. « Kotè-ba » veut dire grand escargot, faisant ainsi allusion aux spirales de la coquille d’escargot, ou à la procession- mise en condition qui précède chaque représentation et qui elle aussi se développe en spirale sans fin ; et là se trouverait peut-être le sens profond du « kotè-ban », littéralement : « rien ne finit jamais ». Autrement dit : on arrive jamais au terme du savoir.
Nous, nous sommes d’emblée explicitement inscrit dans la problématique de la ville africaine avec sa nouvelle culture en émergence. Les thèmes étaient et continuent d’être puisés dans le quotidien des quartiers populaires, même si quelques fois nous avons fait des escapades dans d’autres univers avec Waramba, Opéra mandingue, Funérailles tropicales, ou avec des commandes comme Navetanes ou Dozo, la colère de la brousse.
Nous développons un style propre à nous que tout le monde reconnaît :
– nous parlons au présent,
– nous parlons de la ville,
– nous parlons dans les langues africaines et en français populaire,
– nous empruntons à tous les arts de la scène : théâtre, danse, musique, chant, mime, etc.
Toutes ces composantes s’expriment en live, ce qui donne des spectacles à effectif important.
Le but est de rendre notre théâtre « populaire » en ce sens qu’il demeure accessible à tous aussi bien en tant que spectateur, mais également, éventuellement, en tant qu’acteur « .
De L’Appel du tamtam en 1974 à « La Cour » en 2002, Koly passe au crible les intrigues les plus alarmantes (Commandant Jupiter & ses Blacks Nouchis) , révèle les passions les plus violentes (Eh, Didi Yako), met en garde contre les illusions les plus aveuglantes (Adama Champion), épingle les pouvoirs les plus mégalos (Funérailles Tropicales),évoque les légendes séculaires (Waramba, Opéra mandingue), donne à lire ses carnet de route (Navetanes), renvoie aux valeurs traditionnelles (Dozo, la colère de la brousse). Des créations riches et variées qui parcourront les pistes et les routes d’Afrique, d’Alger à Harare et de Dakar à N’Djamena. Au-delà du continent, l’Ensemble Koteba effectuera sa première sortie européenne au Festival de Nancy à Fouard en 1980, pour ensuite donnera une série de représentations à Beaubourg en 82. Depuis, il tourne en Amérique du Nord, dans l’Océan Pacifique et partout en Europe.
C’est certainement l’une des rares sinon la seule Compagnie ivoirienne à effectuer des résidences longues à l’étranger comme celles de Nouméa en Nouvelle Calédonie ou d’Uzès : » Après nous avoir invités en tournée en 1987, l’A.T.P. (Association pour le Théâtre Populaire) d’Uzès s’est engagée dans le projet ambitieux de nous accueillir pendant la saison 88-89 en résidence de cinq mois. Il s’agissait pour nous d’assurer des animations dans les milieux les plus divers pour sensibiliser la population de la région à une meilleure connaissance de la culture africaine. En retour l’A.T.P. nous hébergeait, achetait un certain nombre de nos spectacles et nous confiait l’organisation d’un événement africain, Impression d’Afrique, pour clôturer notre séjour. Nous avons débarqué en septembre 88 avec un effectif de 30 personnes et au lieu de cinq mois nous sommes restés un an ! Avec le recul, je me rends compte que c’était dingue. Le bilan satisfait globalement toutes les parties mais que de petits et gros bobos
C’est cela aussi le métier ! »
Souleymane Koly, éleveur d’artistes devant l’éternel, collecte ses acteurs dans la pépinière sociale. La plupart de ses collaborateurs n’ont jamais mis les pieds dans un institut d’art, certains n’ont même pas fréquenté l’école primaire. Son don d’observateur et son imaginaire les façonne pour produire des comédiens comme Gondo (surnommé à la une de Libé en 82, » le De Funès africain « ), le mari, petit, trapu, grincheux et son épouse, Mamie Foutou, grande, élégante, ou encore, Ancien (l’ancien tirailleur), jamais à court d’anecdotes, faussement lettré, toujours fauché, parasite invétéré.
L’évolution de l’entreprise Koteba développera deux nouveaux modules autonomes à l’intérieure de la structure. « Les Go », le trio féminin de variété musical qui compte trois albums, le dernier étant distribué aux U.S.A. Elles chantent et dansent comme des déesses.
Et « Le Jeune Ballet d’Afrique Noire » (J.B.A.N), formation de danse contemporaine, dirigée par Rokya Koné, depuis toujours l’assistante chorégraphe de Hombre, surnom amical du directeur de l’Ensemble.
On peut voir le gros de ce beau monde sur un même et unique plateau dans La Vie Platinée, un film long métrage de Claude Cadiou tourné en 1987. S. Koly est auteur de l’idée originale du scénario, tirée de Didi par-ci, Didi par là, tandis que les musiques originales, les chorégraphies et le plus gros du financement étaient fournis par le Kotéba avec l’aide de l’Etat ivoirien et de TF1. Mais on constate à l’arrivée que la rumeur et même le générique leur attribuent à peine l’idée originale.
» C’est le lieu de conseiller à toutes et à tous, de ne jamais agir en dehors de tout contexte administratif et juridique clair. Il appartient aussi à nos pouvoirs de créer l’environnement législatif qui permettrait à nos opérateurs culturels de contracter en toute sérénité « .
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