Fiche Spectacle
Théâtre
THéâTRE
El Lithem (Le Voile)
Abdelkader Alloula
Contributeur(s) : Kheïreddine Lardjam
Date : 27 Mars 2003

Français

compagnie El Ajouad/Oran
Fondation Abdelkader Alloula

Avec
Nabila Guermesli : Goual, infirmière, visiteur, M’selket Liam
Djamila Semmoud : Chérifa
Rihab Alloula : Goual, visiteur, El Haddi –
Kheïreddine Lardjam : Barhoum
Jamil Benhamamouch : Goual, Si Khélifa, prisonnier
Fethi Guellil : Goual, Laâredj, policier 2, gardien de prison
Abdelkader Maghraoui : Goual, El Fillali, prisonnier, l’inspecteur, Kassed El Kheïr
Azzeddine Hakka : Goual, médecin, prisonnier
Habib Lardjam : Goual, policier 1, Bekkouche, visiteur

Décor : Djillali Mouffok
Musique : Jamil Benhamamouch, Habib Lardjam
Eclairages et son : Abdellah Benzouak
Lumières : Chaker Mahjoub

Spectacle en version bilingue, adaptation avec Arnaud Meunier et Eddy Pallaro

Mise en scène, Kheïreddine Lardjam (d’après la mise en scène originale)
Le mot el lithem signifie symboliquement le musellement, l’interdiction de s’exprimer.
Les jeunes de la troupe El Ajouad, en décidant de reprendre El Lithem, revisitent Alloula avec leur regard et leur détermination à prendre la parole, dans leur pays ensanglanté.
Ils ont voulu être, en 2002, Barhoum, fils d’Ayoub l’Intransigeant, ouvrier qualifié, employé dans une usine de fabrication de papier où la grande chaudière de l’usine, qui lave et pétrit l’alfa, est en panne. Encouragé par Chérifa, son épouse, et « Si Khélifa l’Indochine », Barhoum répond à l’appel de ses collègues syndicalistes et entreprend de la réparer.
En la remettant en marche, Barhoum réalise qu’il ne s’agit pas d’une panne technique, mais d’un sabotage économique, destiné à justifier des licenciements collectifs.
Après avoir réparé clandestinement la chaudière, Barhoum est roué de coups et se retrouve hospitalisé avec le nez incisé. Sa vie en est complètement bouleversée…

La réalisation d’El Lithem par la troupe El Ajouad s’inspire de la mise en scène originale réalisée par Abdelkader Alloula. Les jeunes comédiens – tout en gardant la ligne directrice de Alloula – apportent collectivement leur touche personnelle à l’oeuvre, sur la base d’un travail sur l’intelligence du texte et de leurs potentialités créatrices.
L’interprétation réintroduit les formes d’expression populaire du Meddah ou Goual (troubadour ou conteur) :  » Le jeu est soumis au texte, un texte qui fonctionne comme une partition fondamentale à plusieurs symphonies. Il y a dans et par le texte un investissement maximum sur le choix des mots, de l’agencement des phrases, des couleurs vocales et intonations, de gestes et de postures etc. Tout cela afin que le texte soit  » porteur de théâtralité  » aussi bien sur scène que dans la tête du spectateur.  » (Abdelkader Alloula in interview avec Djellid).


Exposé de la mise en scène
La réalisation de cette pièce s’inspire de la mise en scène d’Abdelkader Alloula .
La pièce est présentée sous forme d’épopée populaire, racontée par des Gouals, (qui sont au nombre de huit sur scène). Les comédiens célèbrent l’histoire de Barhoum.
Un grand travail a été élaboré sur l’intelligence du texte pour permettre aux comédiens de décoder les non-dits et déchiffrer les éléments, les préceptes qui leur permettront de déceler les aspects de jeu et de véhiculer une histoire, un message. Dans ce travail, la narration ne prend pas la place de la gestuelle, elle l’interpelle, elle la théâtralise.
Dans l’interprétation et le jeu du goual sur scène, le geste entretient une relation dialectique et dynamique avec la narration. Il n’y a pas de division entre le texte dit et l’interprétation gestuelle, mais un système complexe et dynamique. La narration ne rejette pas le geste mais elle est orientée dans le sens où elle implique le geste comme élément de théâtralisation et élément constitutif du dire.
L’interprétation est simplifiée au maximum, car les comédiens suggèrent des situations. Mais il y a théâtre, il y interprétation corporelle, gestuelle et cette dernière est par moment extrêmement intense. La grande différence est que le jeu est soumis au texte, un texte qui fonctionne comme une partition à plusieurs symphonies. Il y a dans et par le texte un investissement maximum sur le choix de l’agencement de la diction, des couleurs vocales, intonations, silences ainsi que du gestus et des postures. Tout cela afin que le texte soit « porteur de théâtralité » aussi bien sur scène que dans la tête du spectateur.

Le comédien n’a plus à « donner l’illusion » d’être un personnage, il n’a plus à s’exciter à propos des passions et des états d’âme du personnage ou à aliéner sa personnalité à ce dernier. Il a à dessiner avec le corps, la voix et sa pensée les contours d’un personnage. Il a à montrer pendant toute la durée de sa prestation qu’il est et demeure un comédien, un comédien se livrant à une performance artistique, une performance qu’il donne comme jouissance fondamentale au public.
Un des objectifs au niveau esthétique est de donner à voir un mouvement chorégraphique d’ensemble, des fresques dessinées par l’ensemble des comédiens, où le corps devient l’instrument principal suggestif des situations narrées.
Par ailleurs, tout au long de la représentation, une canne (un bâton qui fait partie de notre patrimoine) circulera entre les gouals. Une sorte de passerelle qui permettra aux narrateurs de se passer le dire.
En ce qui concerne les costumes, nous avons repris la même tenue de goual, conçue par Alloula.
Pour les décors, il n’est plus question d’illustrer des lieux dans la mesure où nous cherchons surtout à les créer dans l’imaginaire du spectateur, non sur scène. La fonction vivante et évolutive du décor sera donc de suggérer à peine sans perturber l’imagination, sans capter ou emprisonner de façon hypnotique l’attention et la créativité du spectateur.
Le décor, dans la dynamique théâtrale, tendra à créer un lieu visuel entre les moments de la pièce et en même temps à s’autonomiser, se présenter comme un des aspects visuels de la situation narrée.


Kheïreddine Lardjam


Spectacle en version bilingue
adaptation avec Arnaud Meunier et Eddy Pallaro

À la demande de la Fondation Abdelkader Alloula et de la troupe « El Ajouad », nous avons travaillé sur une possible version bilingue de la pièce « El Lithem ».
Travailler sur l’union de deux langues est toujours un travail difficile et dans ce cas présent : c’était presque une gageure !
En effet, Alloula a pensé et écrit son théâtre dans un arabe dialectal qui cherchait à renouer avec les formes traditionnelles et populaires de la Halqua1 et des Gouals2, tout en rompant avec la conception européenne (et notamment celle de la France coloniale) de type aristotélicienne.
Son « théâtre du dire » est donc dénué d’action représentée, toute sa puissance est ici portée par les mots et c’est à l’imaginaire du spectateur qu’il fait appel pour figurer le déroulement de l’histoire.
Comme Pier Paolo Pasolini, Abdelkader Alloula a donc rêvé un Théâtre de poésie qui pourrait s’adresser au plus grand nombre et notamment aux classes populaires.
Alloula menait une expérience qui puisait ses sources dans des formes anciennes qu’il voulait réinterroger et adapter au théâtre contemporain. Il se voulait par conséquent en rupture avec un théâtre de divertissement bourgeois.
Introduire l’ancienne langue coloniale dans son œuvre nous semblait donc extrêmement délicat.
C’est cette citation de Kateb Yacine qui nous a, alors, guidé dans notre travail : « la langue française est un butin de guerre. »
Et par là même, nous avons cherché à faire dialoguer les deux langues, à les entrelacer, à les rendre indispensables l’une de l’autre et à porter ainsi sur scène une des réalités linguistiques de l’Algérie actuelle.
Nous ne voulions pas dénaturer l’œuvre, ni le travail existant de cette jeune Compagnie. Nous avons donc sciemment laissé des passages entiers en arabe. Nous souhaiterions que le spectateur devienne curieux et actif pour ces représentations ; et puisque Alloula voulait faire appel à l’imaginaire, quel plus beau procédé utiliser que d’entendre une langue que l’on ne comprend pas ?
« El Lithem » raconte l’histoire d’un ouvrier que l’on a mutilé (en lui tranchant son nez) parce qu’il avait mis à jour un complot contre son usine. On pourrait donc traduire son titre par « le bâillon ».
De nombreuses allusions seront faites à propos du nez de Berhoum. Il est important de savoir que le nez est synonyme d’honneur pour les algériens (d’où le symbole).
Avec cette pièce, Alloula entendait donc dénoncer la situation politique et sociale algérienne et notamment l’injustice qui y est malheureusement encore omniprésente. Les connaisseurs reconnaîtront sûrement le clin d’œil à Gogol et à sa pièce Le Révizor dans la scène des policiers ; et pour cause…
Nous espérons que cette version bilingue constituera un pont entre nos deux cultures si intimement et passionnellement liées et permettra au public français de découvrir cet immense dramaturge algérien.
Affirmer la langue arabe sur nos scènes de théâtre est pour nous un acte de résistance à l’ignorance, la bêtise et au mensonge.
C’est à votre curiosité et à votre ouverture d’esprit que nous faisons appel aujourd’hui.
Arnaud Meunier
1 Forme de théâtre traditionnel où les spectateurs sont assis en cercle autour des comédiens et qui se joue généralement sur des places publiques.
2 Conteurs traditionnels.
Partager :