Fiche Spectacle
Théâtre
THéâTRE
Quatre Heures à Chatila, de Jean Genet
Jean Genet
Contributeur(s) : Mahmoud Saïd

Français

Quatre heures à Chatila est un récit d’une vingtaine de pages, écrit par J Genet aux début des années 80 du siècle dernier suite à un massacre des civils palestinien au Liban Avec ce texte Jean Genet demeure l’un des derniers poètes du vingtième siècle, qui ait reçu la plus grande grâce. Car il a exprimé l’amour et il a exprimé la haine, sans crainte, sans intérêt moral ou politique. Il a chanté la beauté et il a chanté la laideur. Dans un monde où dire et écrire ce qu’on pense, n’est jamais chose évidente; Jean Genet de ce côté-là avait installé la confiance entre les mots et les choses. Quand je lis ou je relis du Genet, j’ai l’impression que je ne suis pas loin de quelques vérités. Faut-il que je pose la question: pourquoi je m’identifie à cet auteur? La réponse risque d’être narcissique. Il ne s’agit pas seulement de la séduction ou de la stratégie littéraire de Genet, mais de la fascination qu’exercent ses personnages -espèces rares prenant les places des dieux et des demi-dieux-.. Dans ses oeuvres où le désacralisé devient sacré, et l’impossible possible, tous ceux sur qui la société avait fixé et fixe encore le mal, apparaissent vraiment les plus beaux et les plus héroïques. Grâce à la magie de Genet, ils seront ainsi dans le réel et malgré nous ils se réhabilitent dans la cité.

L’Amour et La Mort
Dans Quatre heures à Chatila il n’y a place ni pour la lamentation, ni pour la démonstration idéologique. Ni chagrin, ni deuil, et pourtant il y a la mort, une mort qui ne règne pas seulement sur le camp de Chatila avec ses cadavres, mais sur toute une région déchiquetée par la haine, par toutes sortes de guerre. Au coeur de Beyrouth, Genêt se trouve assiégé comme tout le reste de la population. Il se met en scène en s’offrant un grand plan pour se situer parmi les cadavres de Chatila. Ce risque ne se manifeste pas chez lui comme une aventure pour la célébrité, ni comme une chasse au scoop journalistique, mais comme une mise à l’épreuve d’un poète fragile, courageux et mystique. Il aime entrer dans le monde de ceux qui le fascinent, il est à la quête des émotions les plus troublantes chez l’espèce humaine (tuer et mourir). Effrayé et tendre à la fois, Genet apparaît familier aux cadavres gonflés des palestiniens de Chatila, à leur passé (d’ailleurs, au milieu des cadavres, se profilent des ombres d’un autre temps dont Genêt suivait les traces depuis des années) II semble saisi par un enchantement chaotique au milieu d’un monde mort où la mouche règne comme force ironique, où « l’odeur de la mort, est blanche et épaisse. » Il semble également à la recherche d’un mystère, compter les cadavres, les vérifier, peut-être identifier un proche (reconnaîtra-t-il son ami Hamza, ce jeune combattant palestinien qu’il avait rencontré en Jordanie ?). Cette quête apparaît comme un jeu de visite d’un théâtre impossible. Le théâtre doit-il se faire avec les morts pour le célébrer en toute vérité ?… Ces morts, où sont-ils ?… Qui sont-ils ? D’où viennent-ils ? Le corps, cette masse intelligente, pourquoi dès lors qu’il est cadavre dans « le spectacle de la mort », cesse-t-il de raconter sa mort ? Le théâtre, lieu d’illusion, nous avait exhibé tous les sentiments possibles vécus par l’Homme/l’acteur ; sauf la mort, la vraie. Car le mort ne peut pas raconter sa mort. Et la mort dans le théâtre vient toujours nous soulager et nous rassurer de l’absence de notre mort. Mais Genet dans Quatre heures à Chatila semble signer un pacte avec la mort (celle des Palestiniens) dans une intimité absolue. Une sorte de grâce traversant le récit nous laisse dire que les morts de Chatila avaient délégué le droit de raconter leur mort uniquement à J. Genet. Voilà ce qui a donné naissance à une tablette de l’histoire humaine, car ce texte est à la fois une déposition, un reportage, un journal, un conte…

L’aventure

Mon histoire avec « Quatre Heures à Chatila », a commencé à l’automne de l’année 1983 quand ce texte a été publié dans la Revue d’Etudes Palestiniennes. Etant alors étudiant, j’avais formé un cercle d’élèves comédiens pour monter le texte en question. Nous avions entamé des démarches pour contacter J.Genet de son vivant. Hélas la mort de ce dernier, les objectifs qui changent et le manque des moyens n’ont laissé qu’un sentiment.

La gravité de ce texte se manifeste non seulement contre l’oubli pour rappeler à l’Homme ses crimes (ceci est le travail des lobbies, de la morale des manipulateurs et des historiens.) mais aussi pour blâmer les pouvoirs de l’information unique et des faux experts, parce que c’est un texte qui, en pleine révolution de l’image et en pleine croissance du pouvoir médiatique, rétablit la grandeur de la plume en matière de témoignage réfléchi après l’évènement. Aujourd’hui, la barre est très haute devant tous ceux qui veulent écrire sur les actualités horribles de notre présent barbare. D’ailleurs nous avons bien remarqué la paralysie et le ridicule de toutes sortes de commentateurs durant les évènements de la Roumanie, la guerre du Golfe, la Somalie, l’Ex-Yougsalvie, le Rwanda, l’Irak etc.. » C’est l’écriture même de l’histoire et ce qu’on appelle la réalité, qui se trouvent questionnées, notamment par ce terrible récit intitulé : Quatre heures à Chatila, retraçant ce que J Genet put voir le 19 septembre 1982 dans un camp de palestiniens où fut commis un massacre d’au moins 15000 personnes »
Quatre heures à chatila, n’est pas certes, une pièce de théâtre ayant une construction dramaturgique comme on l’entend. Mais, c’est un texte qui une fois intégré au théâtre, sauve ce dernier face à son impuissance devant l’histoire contemporaine, face à sa volonté systématique d’actualiser les classiques. Ce texte peut être le monologue d’un prince ou un demi-dieu solitaire, comme il peut faire partie de l’autobiographie d’un dramaturge qui se contente de se situer dans une grande didascalie. Ainsi avec Genet, le théâtre est partout et tout devient théâtre, une sorte de démystification qui, paradoxalement, renforce ce dernier sans vouloir le ranger sous aucune doctrine. D’ailleurs, Genet s’est toujours situé délibérément aux marges du théâtre comme pour mieux le mettre en question.
Une fois de plus avec ce récit, on peut retrouver les figures du théâtre de Genet, qui font jaillir une beauté extrême de leur malheur et de leur misère. Avec grâce, l’auteur avait toujours su arracher le sublime du cœur du désastre et la beauté du fond de la laideur….

La mise en scène
L’amour au pays des morts
Deux comédiens une femme et un homme sont sur un plateau nu, ils nous parlent. Par le verbe, la voix et le souffle, ils nous font découvrir une sorte de déposition d’un témoin particulier. La gravité d’un testament guerrier peut y être, le souvenir d’un aventurier peut y être, l’amour d’un voyageur peut y être, la poussière d’un messager tragique peut y être.. La multitude de facettes du texte sera révélée par la charge juste que les comédiens donneront aux mots.
L’homme et la femme partageront la parole dans un mouvement de va-et-vient entre le silence et le regard. Ils ne sont que l’unité masculine et féminine de l’être humain revenant du pays des morts. Ainsi le récit n’a plus son origine individuelle, il devient collectif et universel et la transmission de cette parole devient inévitable.
La seule action dramatique des acteurs / conteurs, est justement de faire « renaître » le verbe.. Les mots sont offerts aux spectateurs comme des offrandes dans un rite d’hospitalité, avec générosité, délicatesse et simplicité…
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