Fiche Spectacle
THéâTRE
Ils habitent la Goutte d’Or
Contributeur(s) : Martine Maximin, Laurence Février

Français

Le spectacle
Sur scène, trois destins, trois récits de vie : une femme politique, une Africaine, un marchand de journaux, trois personnes vivant à la Goutte d’Or, interprétées par des acteurs.
La femme politique, née dans le 18e arrondissement, issue d’un milieu modeste, entre en politique pour « être au service des habitants », la politique pour elle, est une vocation. Sa vie propre, son histoire l’ont amenée à s’engager par conviction, au « service de la cité ». Son discours privé, intime, fait entendre de façon sensible ce désir impérieux « du politique », cette aspiration à vouloir favoriser l’échange et l’organisation entre les citoyens : « ici, il y a une espèce d’urgence, on se dit : c’est pas possible ! c’est pas possible ! ».
L’Africaine, réfugiée politique, souhaite retourner vivre dans son pays. Accusée d’espionnage par la femme jalouse du ministre chez qui elle travaillait, elle trouve refuge en France, où elle réside depuis douze ans avec ses enfants. Ses papiers sont en règle, mais elle vit dans un foyer, elle oscille entre le désespoir, le rejet : « mon assistante sociale, elle est raciste », et une combativité joyeuse qui l’amène à manifester avec ses « copines » pour le droit au logement.
Le libraire marchand de journaux s’installe à la Goutte d’Or après une vie aventureuse en Afrique où il a fait du commerce. Il n’est pas dépaysé par ce quartier où vivent « un tiers d’Arabes, un tiers de Noirs et un tiers de vieux parisiens », il observe les gens avec l’oeil d’un écrivain. Il raconte sa vie à Djibouti, son autruche et son bébé guépard qui aimait la vitesse, et puis son retour, avec cette réadaptation « dont on ne parle jamais », nécessaire après une longue vie à l’étranger.
Dire sur la scène du théâtre, le récit de vie de ces personnes réelles, c’est donner à entendre les habitants de la Goutte d’Or comme un microcosme révélateur des contradictions, des violences, mais aussi des bonheurs et des charmes de la France d’aujourd’hui. Un quartier où les gens vivent côte à côte sans se rencontrer, où « ils mènent des vies parallèles, des existences parallèles » dans des mondes étanches et cloisonnés. Ils fréquentent les mêmes endroits, ils rencontrent parfois les mêmes personnes, ils circulent pourtant dans des univers clos. Une mosaïque de points de vue qui interrogent l’histoire singulière de nos contemporains, de nos voisins, de nos semblables.
Ces textes, issus d’entretiens que j’ai menés avec des personnes qui ont bien voulu se confier à moi, sont la restitution exacte des paroles dites lors de ces entretiens. Elles sont incarnées par les comédiens dans un face à face avec le public, dans la nudité d’un « espace vide », cette nudité du plateau étant comme la forme symbolique de la nudité de l’aveu, de l’intimité profonde de chacune de ces personnes qui, parce que leurs propos sont représentés par des acteurs, deviennent ici des personnages. Un espace théâtral où l’être humain tient le premier rôle.

Pour que ces paroles existent au théâtre…..
Tout en gardant intact mon intérêt pour les textes classiques et contemporains, je découvre dans la parole des gens, une richesse et une urgence qui expriment mon désir de parler d’aujourd’hui au théâtre.
Je cherche à confronter l’écriture dramatique avec l’oralité, pour fonder un théâtre documentaire où l’écriture scénique émerge de la parole vivante.
Mettre en scène et dire ces paroles pour qu’elles existent au théâtre, c’est développer la constitution d’un patrimoine artistique oral de nos contemporains, commencé avec Quartiers.
Il s’agit d’écrire une langue théâtrale puisée dans la réalité, de faire un théâtre où l’innovation formelle et technique soit secondaire, au profit d’une représentation des gens d’aujourd’hui, un théâtre comme représentation de la langue parlée, ce langage qui révèle tout de la personne qui s’exprime, un théâtre qui ne propose pas une fiction, mais une vision du réel.
Il s’agit de développer cet aspect du théâtre que je nomme théâtre-documentaire, qui plonge ses racines dans la réalité de ce que les gens vivent, de ce qu’ils pensent.
Une façon de proposer une médiation « vivante » de la parole dite, puisque l’acteur revit le texte du témoignage et l’incarne sous nos yeux, une façon de proposer un partage de cette parole, quand elle est dite chaque soir à un public rassemblé, au moment de la représentation, dans une communauté renouvelée.

Laurence Février
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