Tarfaya (Bab Labhar)

De Daoud Aoulad Syad

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Tarfaya est le film d’un instant. Le temps s’est arrêté à Tarfaya, ce village entre sable et mer avec pour seul horizon Fuerteventura, les Canaries, cette Europe dont les lumières de fêtes narguent ceux d’ici. Car ici, tout le monde attend de partir et ceux qui restent vivent de cette attente. La dureté est de mise : on ne peut faire confiance à personne, pas même au gentil Hassan ou au chef de la police. Surtout si l’on est une femme et qu’on s’appelle Miriam. Rien ni personne n’est sûr. Les passeurs détroussent les brûleurs avant de les dénoncer ou de les jeter à la mer. Tarfaya est un trou du monde sans pitié. Miriam elle-même est ambiguë : « j’aime raconter des histoires, ça m’aide à vivre ». Son entre-deux imaginaire est une soif d’ailleurs dans ce monde de cupidité. Elle est comme les oiseaux que lui offre Hassan : leur cage concurrence leur beauté. Pour s’envoler, il faudrait que les hommes soient autres et donc la société. Chaque fois qu’elle transgresse la frontière des sexes, femme seule se risquant dans les cafés, les hôtels ou les bateaux de pêche, elle paye cher sa liberté. Les hommes ne la voient que par son corps. Mais le sable alourdit son pas, l’enfermement la guette. Qui sait où l’emmènera la barque où elle se réfugie ?
Comme dans ses précédents films, Adieu forain et Le Cheval de vent, ce qui intéresse Daoud Aoulad Syad n’est pas de construire une dramaturgie mais de figurer cet instant où les corps flottent dans l’attente ou la quête, cet instant qui dure car elles ne débouchent pas. Il en explore les tensions en poète et c’est ce qui rend son film passionnant de bout en bout, cette entrée dans la subtilité de la mémoire des corps qui portent leur passé sans qu’il leur ouvre un avenir. En photographe, et contrairement à tant de cinéastes maghrébins, Daoud Aoulad Syad ne met pas l’enfermement en scène dans un espace clos : il préfère l’instantané du chant des grillons dans le désert, la fixité des maisons délabrées dans une mer de sable, l’horizon des vagues omniprésentes. En s’attachant à cet entre-deux circulaire des êtres et des lieux, il nous entraîne à méditer sur l’état de ce monde clivé dont une partie ne rêve que de rejoindre le mirage de l’autre alors que, comme voudrait le dire le gosse à son père émigré, « c’est bien ici aussi ».
Le film est éclairé par la frêle figure de Miriam, admirablement interprétée en corps et en voix par Touria Alaoui, qui a reçu pour ce rôle le prix de la meilleure actrice aux Journées cinématographiques de Carthage en novembre 2006. La belle musique de Mohamed Guerrab, elle-même récompensée au festival national du film marocain de 2005, et le montage en douceur d’Andrée Davanture contribuent à ancrer les lumineuses images de Tarfayat dans nos mémoires. Evitant toute redondance et bien loin de toute sociologie, Daoud Aoulad Syad y traite moins du thème de l’émigration que de son obsession en chacun, expression tragique d’une soif de liberté. Il le fait avec une telle finesse qu’il est difficile de ne pas en être secoué.

///Article N° : 4689

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