Tarzan, de David Yates

Prouesses techniques et ancrage du mythe

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Le roi de la jungle revient dans le contexte de l’histoire du Congo sous l’ère coloniale avec le nouveau blockbuster de l’été, en sortie le 6 juillet 2016 sur les écrans français. Ruptures et continuité du mythe au royaume de l’ethnocentrisme.

Voici donc à nouveau l’increvable Tarzan, cette fois sur le mode « le retour ». Lord John Greystoke, qui avait grandi dans la jungle africaine, s’est en effet retiré dans son magnifique château pour une vie de famille tranquille avec Jane, engoncé dans ses habits d’aristocrate. Mais voilà qu’un soldat aventurier, George Washington Williams (Samuel L. Jackson), évoque les sévices coloniaux que subissent les Congolais et qu’avec sa femme Jane très déterminée, ils le convainquent d’accepter d’être émissaire du Commerce, poste que lui propose le roi belge Léopold II. Sur place, il n’en aura pas le temps car après les scènes de retrouvailles avec les animaux sauvages et la tribu africaine, le tout étant grosso modo traité au même niveau et dans la même dominante chromatique ocre-savane, le piège se referme. Très vite en effet, le danger se précise car Léon Rom (Christoph Waltz), un infâme Belge qui n’a lui non plus peur de rien, veut se servir de Tarzan pour mettre la main sur les diamants d’un chef africain aux allures de léopard (Djimon Hounsou) qui n’hésite pas à passer un pacte avec ce diable… (1)
Confié à David Yates (qui a réalisé quatre épisodes de la saga Harry Potter), le film en 3D recrée la jungle et la totalité des animaux en effets spéciaux dernier cri : le film a été tourné à six caméras dans de gigantesques décors aux studios Warner de Leavesden au nord de Londres, ainsi qu’en milieu naturel au Royaume-Uni, tout en utilisant des plans reconstitués à partir d’images ramenées de la forêt gabonaise ou des Dolomites, au nord de l’Italie. Il multiplie les combats avec les animaux et les poursuites vertigineuses de liane en liane, alterne des souvenirs de l’enfance parmi les gorilles et de la rencontre avec Jane avec le cheminement catastrophe de nos héros qui frisent sans arrêt la défaite et la mort avant le happy end final qui ne manque pas de panache : le très musclé Tarzan, qui a retrouvé sa position de roi de la jungle, mobilise la nature animale tout entière pour éradiquer le danger. Mission accomplie mais pas la commande : les commerçants rebroussent chemin pour mieux revenir plus tard…
La confrontation du sauvage et du civilisé puisant dans le mythe de l’enfant sauvage associé à celui de l’Afrique (la force animale et l’acuité des sens) est ainsi revue et corrigée par la férocité et l’avidité coloniales. Les encarts en début de film précisent le contexte : la folie meurtrière du roi Léopold II dans son exploitation esclavagiste des richesses du Congo. Le personnage de Léon Rom aura pour charge de l’incarner, mais seulement sous sa forme corrompue, le film n’ayant aucune visée historique, ce qui limite considérablement sa portée critique. Christoph Waltz est comme toujours parfait dans ce rôle, de même que Djimon Hounsou joue comme il convient des muscles et du regard. La scénographie des bons et des méchants est en place, mais la ligne de partage n’est plus entre Blancs et Noirs. Tarzan et Jane s’associent à leur mentor politique George Washington Williams (et aux animaux de la jungle) contre Léon Rom et ses sbires, appuyés par les effrayants traitres africains menés par le Chef Mbonga, leur roi sanguinaire.
Il est cependant édifiant de voir l’évolution de la construction des personnages dans cette version « moderne » de Tarzan. George Washington Williams est un Africain-Américain qui n’a jamais mis les pieds en Afrique et s’efforce de suivre Tarzan dans ses péripéties. Il n’est pas neutre que l’aristocrate roi de la jungle initie ainsi l’Africain de la diaspora, confortant la supériorité de la race blanche lorsqu’elle puise sa force dans l’expérience du sauvage. Son retour aux sources est d’ailleurs pour Tarzan l’occasion d’une interrogation sur son origine, qu’il avait mise de côté, redoutant ce qu’il était. En dehors des « méchants », les Africains, notamment le fils du vieux chef ami de Tarzan, ont dans le film une grande dignité et vivent la solidarité. Jane communique avec lui dans un anachronique lingala et le soutient dans les épreuves. Sous l’égide de la sauvegarde de la nature et de la défense des valeurs, une alliance s’établit ainsi entre les « bons », non sans perpétuer la hiérarchie raciale où les héros hollywoodiens blancs au grand cœur sont prêts à se sacrifier pour sauver leurs protégés noirs (de Cry Freedom à Blood Diamond). L’idéal colonial, bien qu’écorné par la référence historique à la cruauté, continue ainsi de s’ancrer dans les jeunes têtes qui verront dans ce blockbuster de vacances la reproduction de l’aventure épique du super-héros déclinée en de multiples romans, films, séries et bandes dessinées.
Car, depuis Tarzan, seigneur de la jungle, le premier roman publié en 1912 par Edgar Rice Burroughs, un Américain de Chicago n’ayant jamais mis les pieds en Afrique, le mythe de Tarzan reste celui du porte-parole d’un monde sauvage encore incapable de la prendre. Il a mystérieusement, contrairement aux Africains dont c’est pourtant le lieu de vie, la force physique des grands singes qui l’ont élevé et maîtrise le langage des animaux. Dès la première adaptation en 1918 et surtout lorsque la sensualité virile de Johnny Weissmuller donne son corps à Tarzan dans les douze épisodes de la saga tournée entre 1932 et 1948 avant que Lex Barker lui succède, sa supériorité ne fait aucun doute dans son rôle de maintien de l’ordre du monde. Son idylle avec Jane confirme la phobie du métissage qui marque le cinéma colonial (2), confortée par le code Hays qui interdisait la représentation de rapports interraciaux dans le cinéma américain de 1934 à 1966. Mais ces rapports sont perpétués par la suite, notamment dans le célèbre Greystoke, la légende de Tarzan (Hugh Hudson, 1984) avec Christophe Lambert. Quant aux trémolos de l’animation Tarzan produit par les studios Disney (Kevin Lima, Chris Buck, 1999), ils éliminent simplement la présence des Africains pour ne plus garder que les animaux.
Cette déshumanisation de l’Africain reste dans la lignée de l’idéologie de Burroughs, inspirée des dangereuses thèses du Darwinisme social qui préconisait la sélection naturelle et la levée de la protection sociale pour l’élimination des moins aptes. Son Tarzan est un surhomme qui maîtrise aussi bien les bêtes que les Africains, ambassadeur de l’Europe en terres sauvages. Si le Tarzan de Yates n’est plus ce concentré de racisme eugéniste et d’impérialisme, il reste une projection des fantasmes occidentaux, incarnant la victoire sur la nature et la domination du monde.

1. Le Chef Mbonga veut venger son fils qui devait pour son initiation tuer un des grands singes que protégeait Tarzan et qui y perdit la vie : les coutumes africaines sont présentées comme dangereuses pour la nature sauvage.
2. Cf. Olivier Barlet, De la phobie du métissage à l’ambivalence au cinéma,
[article n°56].
///Article N° : 13692

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