Terra incognita : la traversée vers la terre inconnue

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Claudia Navas-Courbon présente le parcours sensoriel Terra Incognita : Traversée vers une Terre Inconnue qui a reçu le « Quality Label » du Fonds internationalpour la Promotion de la Culture de l’Unesco en 2005. Elle traite du déracinementde la diaspora africaine de manière globale.

Les esclaves africains (provenant principalement de l’Angola et du Cap-Vert et d’origine Bantu), ont été transportés en Colombie, dans le secteur hostile et humide de forêt tropicale de la région Pacifique de Cauca pour exploiter des minerais aurifères, de platine, ainsi que pour déboiser cette région alluviale. (Friedemann, 1993) « Les parties hautes de presque toutes les voies navigables de la cordillère occidentale des Andes contiennent de l’or. Les zones les plus riches sont là où se trouvent les graviers les plus anciens. La plupart de ces graviers ayant été déposés à la fin du Pliocène ou pendant le Pléistocène par des courants de flots qui avaient auparavant traversé la zone aurifère de la cordillère occidentale. Ils s’étendent le long d’une ceinture qui fait la longueur de la cordillère, de la rivière Atrato Supérieure à la frontière colombo-équatorienne. » (Friedemann, 1998 : 184) L’oppression des communautés noires a continué même après l’abolition de l’esclavage en Colombie en 1851 et durant le XXe siècle.
Par exemple, entre les deux Guerres mondiales, une société franco-anglaise s’est installée à Santa María de Timbiquí et y a introduit les connaissances nécessaires pour construire des galeries minières dans toute la région du Cauca. Dans les années 1990, une société Colombo Russe s’est installée dans ce même village et y a développé un nouveau mode d’extraction avec l’aide de lourdes machineries qui creusaient de larges fosses de plusieurs hectares très néfastes pour l’écosystème. Ces deux entreprises ont imposé leurs règles dans le village et ont utilisé la main-d’œuvre de la communauté (incluant des enfants) sans aucune rémunération raisonnable. Depuis les années 1980, d’autres entreprises étrangères et multinationales se sont installées et ont exploité les forêts locales, la terre et le sous-sol pour l’extraction massive de produits naturels tels que : la production de crevette, des noix de coco, des cœurs de palmiers et la mangrove, d’habitude extraits par des femmes (Machado 1999). Légalement, les communautés noires vivant le long des rivières de la plaine du Pacifique pendant plus de 200 ans, avaient le statut « de squatters » (Friedemann, 1998 : 187), puisque cette région appartient à l’état et qu’aucun titre ne leur a été attribué avant la Réforme Constitutionnelle de 1991. Les droits des minorités n’étaient initialement pas prévus aux débats de l’Assemblée constituante (Wade 1998 : 317-18), mais, des groupes Amérindiens (dit, Indígenas en Colombie) se sont mobilisés pour réclamer leur terre et leur héritage. Les Indígenas avaient déjà un statut et étaient perçus comme un groupe minoritaire. Ils étaient les premiers habitants des Amériques et possédaient ces terrains avant l’arrivée des Européens. Ils vivaient dans les bassins du Pacifique puis se sont lentement déplacés sur les hauteurs des Andes après l’arrivée des Espagnols et de leurs esclaves d’Afrique. En revanche, les Noirs n’ont jamais été acceptés en tant que groupe culturel et ont été écartés de toute réforme constitutionnelle. Cependant, et grâce au plaidoyer des leaders de communautés noirs et des intellectuels comme Nina S. de Friedemann (décédée en 1998) et Jaime Arocha, un article transitoire (l’Article 55) a été publié dans la nouvelle Constitution de 1991. Cet article exige « la promulgation d’une loi [avant 1993]… Qui, conformément aux pratiques de production traditionnelles et dans des secteurs devant être délimités selon la même loi, reconnaît des droits de propriété collectifs pour les communautés noires qui ont occupé des terrains vacants dans les zones riveraines du Bassin du Pacifique. La loi doit aussi établir des mécanismes pour protéger l’identité culturelle et les droits de ces communautés ainsi que pour la promotion de leur développement économique et social. » (Wade, 1998 : 323) En 1993, le Président Gaviria a ratifié la Loi 70 après des négociations avec des délégués Noirs et le gouvernement. « La loi reconnaît les communautés noires comme un groupe ethnique (…) Et se concentre sur la définition du titre de droits de terre collectifs aux communautés noires entières sur les rivières indiquées du secteur défini comme « le bassin du Pacifique ». (…) En termes de contenu, la loi accorde les droits de propriété aux communautés Noires, mais ne leur confère pas le contrôle des ressources naturelles, des sous-sols, des secteurs de Parc nationaux, des zones d’importance militaire, ou des zones urbaines ; il prescrit l’utilisation écologique. des ressources par les communautés (bien que l’utilisation de ces mêmes ressources par d’autres ne soit directement mentionnée à cet égard). » (Wade, 1998 : 323)
Terra incognita : la traversée vers une terre inconnue
Contexte du projet
Après l’abolition de l’esclavage en 1851 en Colombie, plusieurs compagnies minières européennes s’installèrent dans le vaste territoire dont faisait alors partie la Colombie – le Vice royaume de la Nouvelle Grenade. J’ai tourné un documentaire sur l’héritage afro-colombien dans la communauté de Santa Maria de Timbiqui, qui fut régie par une compagnie Franco-Anglaise, The New Timbiqui Gold Mines Limited, de la fin du XIXe siècle jusqu’au milieu du XXe. Ce projet qui se basait sur la rencontre et l’écoute de l’Autre non seulement me permit d’accroître ma propre connaissance sur mon identité nationale, mais, aussi de faire connaître auprès d’une communauté internationale, la richesse des apports africains à l’identité colombienne, que ce fut dans les domaines historique, culturel, comme dans le domaine de la récupération des savoirs traditionnels pour la récupération d’une économie locale et d’autosuffisance alimentaire. J’ai été invitée par la Délégation Permanente de la Colombie à l’Unesco pour présenter la présence de la Diaspora africaine dans le bassin du Pacifique. Suite à cette présentation qui eut lieu en mars 2006 devant le Comité International Scientifique du Programme La Route de l’esclave de l’Unesco, les communautés afro-colombiennes habitant dans le littoral pacifique ont été reconnues comme étant en danger et que leur sauvegarde ainsi que celle des peuples Afro du littoral pacifique américain devait être un des objectifs pour les dix ans à venir. Le 28 février 2011, se tint en Colombie la réunion du Comité Scientifique et International du Programme de La Route de l’Esclave. L’installation multimédia que j’ai conçue pour un grand espace accessible à un large public, traite du déracinement de la Diaspora Africaine d’une façon universelle. Ce fait historique est transcrit dans un parcours de son et d’image.
Le concept
Terra Incognita : La traversée vers une terre inconnue est une installation multimédiaqui invite à la découverte d’un fait historique (l’esclavage en Colombie)à travers un parcours sensoriel. Je meservirai des rushes du tournage de mondocumentaire Mazamorreo : In Search of Memory, filmé dans la région du pacifiquecolombien entre 1998 et 2000pour les différents écrans ainsi que pour la réalisation des nouvelles créationspour les nouveaux montages. Des piècessonores qui capteront la réalité deslieux ainsi que les états sensoriels desvécus dans chacune des phases seront réalisées, aussi. Chaque phase aura une physionomie différente, pour définir chaque étape de la traversée.
Propos de l’artiste
En 1998 et 1999, j’ai reçu des subventions de la Ville de Chicago et de l’état de l’Illinois The Artist International Program et The Illinos Major Media Grant et The National Endowment for the Humanities pour aller filmer et découvrir une partie de ma propre culture qui m’était méconnue : l’héritage afro-colombien. J’avais pris connaissance de l’histoire de l’esclavage en Colombie en lisant un auteur colombien, Tomás Carrasquilla. Son roman La marquesa de Yolombó me dévoila un nouveau monde, une terre inconnue, celle que je découvris, par la suite, en filmant mon projet audiovisuel, Mazamorreo: In Search of Memory en 2000. En vous proposant un parcours multimédia de la traversée transatlantique imposée aux esclaves Africains, je voudrais vous faire découvrir, aussi, ces terres lointaines, belles et douloureuses qui font parties de l’histoire de mon pays natal, la Colombie. L’installation se lit en deux temps : la traversée vers un lieu inconnu et la découverte de cet endroit.
La traversée
Terra Incognita : La traversée vers une terre inconnue est conçue comme un parcours multimédia qui est censé être suivi en continu afin de vivre le trajet imposé aux esclaves africains, de l’Afrique à l’Amérique, dans des conditions dictées par le code esclavagiste.
Ce parcours a trois significations :
1- La mutation d’une ethnie par un événement historique (l’esclavage) dans une chronologie temporelle (du XVIe siècle jusqu’à nos jours) ;
2- Ma propre transformation artistique par le travail vidéo réalisé autour de ce sujet – l’audiovisuel étant la partie vivante de ce parcours ;
3- Et, l’expérience que chaque spectateur ressentira à son tour, à travers l’œuvre proposée.
La découverte de cette « Terra Incognita » :
1- La terre inconnue qui devint le foyer en Colombie de la Diaspora Africaine durant l’époque coloniale ;
2- La terre inconnue que je découvris lors du tournage de mon documentaire, Mazamorreo: In Search of Memory ;
3- Et, la terre méconnue que les spectateurs auront l’occasion de découvrir à travers l’expérience multimédia que je leur propose.
Description
Le spectateur commencera son trajet au XVIIe siècle, à partir d’un port d’Afrique sur l’océan Atlantique pour l’achever en Amérique du Sud, au XXIe siècle dans un village d’origine africain de la côte Pacifique colombienne, Santa María de Timbiquí. Terra Incognita : La traversée sera divisée en trois phases ou passages. Le visiteur entreprendra « une traversée » qui sera divisée en trois phases récréant une ambiance précise selon la scénographie choisie pour l’espace d’exposition déterminé.

///Article N° : 11557

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