Test ADN ou le gène de vérité

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Après mille détours, le Sénat français vient d’autoriser, dans la nuit du 3 au 4 octobre, les tests ADN pour le regroupement familial. Dans cette nouvelle version du texte, on rechercherait, désormais, les liens avec la mère. On se demande ce qui se passe. Je ne dirai pas :  » c’est l’air du temps !  » Je dirai plutôt que l’idée de la chasse à l’intrus, mais aussi celle de la défense d’un territoire propre et net, ordonné, prennent, ici et maintenant, des proportions inquiétantes.
Les non-dits dont cette loi est porteuse peuvent être nombreux. Il y a d’abord l’idée que l’on a affaire à des gens qui ne disent jamais la vérité, rien que la vérité. Est-ce un hasard si cette loi ne s’applique pas à tous les étrangers ? Elle est faite pour ces êtres fourbes, imagine-t-on, souvent polygames, capables de faire venir de nombreux enfants, qui ne sont peut-être pas les leurs, afin de pouvoir bénéficier, par exemple, d’allocations familiales et de soins de santé. Ensuite, combien de fois n’avons-nous pas entendu, çà et là :  » La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde  » ? Enfin, il faut limiter l’envahissement du territoire. La peur de perdre le contrôle de la frontière mène à tout. Ces dernières semaines, on a voulu donner du poids au texte de loi en rappelant que onze autres pays de l’Europe pratiquent déjà ce test. L’argument de la quantité et du grand nombre. Comme pour dire :  » on peut bien faire comme tout le monde  » !
Il y avait le détecteur de mensonge, maintenant on découvre le gène de vérité. Un pas vient d’être franchi. La génétique vient, officiellement, prêter main-forte à l’ordre sécuritaire qui trie les bons citoyens des mauvais comme les SDF que l’on peut s’autoriser à chasser à l’aide de produits malodorants, comme à Argenteuil l’été dernier, comme si c’étaient des rats ou des insectes et non pas des humains. C’est ce même ordre qui renforce les barrières à toutes les frontières ; qui érige l’idée de frontière en paradigme dans la mesure où il n’y a ni nuance, ni demi-mesure : on est du bon ou du mauvais côté de la barrière.
Certes, les tests ADN étaient déjà utilisés dans d’autres domaines : pour démêler le vrai du faux, par exemple en histoire. La police l’utilisait aussi pour prouver l’innocence ou la culpabilité de suspects, pour résoudre une énigme. Des personnes avaient recours à ce test pour prouver un lien de parenté, dans cette culture qui est celle de l’aveu, comme dit Foucault, qui est celle où, en principe, on doit tout dire et où, parfois, les choses du sexe restent cachées. Le test, dans un tel contexte, vient avouer ce qui ne l’a pas été.
Mais quand la loi utilise la génétique est-elle encore la Loi ? Ou est-ce parce qu’elle est la Loi qu’elle doit tout régenter y compris le domaine privé des gens qui n’ont commis d’autre délit que de vouloir vivre en famille ? Ici, elle entend être appliquée pour faire place nette, pour jeter ce qui est jetable, pour repousser ce qui ne mérite pas d’être accepté.
En touchant à la biologie et à la génétique en particulier, la loi sait bien qu’elle ouvre la boîte de Pandore, celle de tous les maux. Et les hommes le savent si bien. L’amendement intervenu d’une semaine à l’autre pourrait faire sourire. Mais, à mon avis, il est tout aussi gravissime. Je serai tentée de dire que non seulement un rempart tombe, celui de l’éthique qui dit la norme, par exemple des relations humaines, trop humaines, sans distinction de sexe, de culture, de statut social, de langue, de religion, mais aussi que la domination masculine se protège, par-delà toutes les frontières et protège ses acquis et se donne encore, aujourd’hui et demain, tous les droits. Pourquoi donc rechercherait-on uniquement la filiation par la mère ? De quoi a-t-on peur ici ? Dans tous les cas de figure, c’est la notion de famille, qui n’est pas la même d’une culture à l’autre, qui est mise à l’épreuve par un test disant la vérité d’une filiation…
Pendant longtemps, les scientifiques faisaient leur travail de recherche avec passion, habités par la joie souveraine de découvrir, de connaître, d’aider l’humanité à lutter contre une maladie, faire reculer, aussi, les limites de l’ignorance. Ce travail, comme bien d’autres, était noble et certains y ont consacré toute leur vie : chercher c’était leur raison de vivre. C’est toujours la raison de vivre, aujourd’hui et demain, de beaucoup de scientifiques faisant leur travail parfois au prix de mille souffrances, portés par un idéal, non négociable, auquel ils croient.
Mais que fait-on, aujourd’hui, des résultats des découvertes scientifiques ? Toute la question est là. La science, quelle qu’elle soit, est en train d’être assujettie, malgré les comités de bioéthique qui ont sans doute envie de mettre le holà à quelques utilisations scandaleuses de résultats scientifiques. Scandaleuses, comme des pierres contre lesquelles la conscience de chacune et de chacun vient buter au beau milieu de l’espace public dit démocratique. Scandaleuse, comme cette loi qui conforte des frontières étatiques et brise quelques normes éthiques en touchant au respect et à l’intégrité de la famille.

///Article N° : 6963

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