Fondé par Malick N’Diaye, le label Think Zik ! compte les noms d’Ayo, d’Imany, de Grace et de Faada Freddy, parmi ses plus belles réussites en musique. Artistes afro occupant une belle place dans les charts, ils sont tous en route pour un succès planétaire, à la fois populaire et singulier. Think Zik ! est une démarche, elle-même singulière en matière de production, située à contre-courant des logiques économiques classiquement adoptées dans l’industrie du disque.
En tête du classement des ventes de disque ces 10 dernières années, trois voix soul qui se détachent, réussissant le défi d’un succès durable et international. Ayo, Imany et Faada Freddy. Ayo, dont le premier album Joyful se vend à 150 000 exemplaires en trois mois. Avec un premier tube, « Down on my knees » (2006), et un deuxième, Gravity At Last, en tête de charts, deux ans plus tard. Imany, elle, reçoit, avec The Shape of a Broken Heart, des disques de platine en France, en Pologne, en Italie et en Grèce, ainsi qu’un disque d’or en Turquie, assurant une tournée de plus de 300 dates, en deux ans. Faada Freddy, quant à lui, obtient l’étoile du meilleur album international pour Le Parisien, avec Gospel Journey, son album vocal. 25 000 ventes en 2015.
Leur point commun ? Un timbre, soul, singulier, une racine ou un ancrage sur le continent africain, des talents de composition et d’écriture, un potentiel public urbain évident, hors format, parés pour durer. Ils ont surtout un label qui porte vers le succès : Think Zik ! de Malick N’Diaye.
Ce producteur, franco-sénégalais, neveu de Wasis Diop, s’active depuis 10 ans dans une fabrique de carrières promises au long terme, grâce à deux atouts. Des talents rares et une démarche sans rapport avec les logiques économiques classiques d’une industrie du disque en crise : « La musique doit être un vecteur pour arriver à un équilibre, voire un bénéfice financier. Or, aujourd’hui, le produit musique disparait derrière l’objectif premier de résultat économique. Il n’y a plus de processus de développement ». Ainsi, lorsque le modèle économique convenu produit sa dizaine d’artistes pour une seule réussite en bout de course, Think Zik !, lui, promeut un seul album par an sur le marché. Le dispositif repose sur une économie au millimètre, permettant de réinvestir chaque euro de bénéfice obtenu au service d’un artiste. « On se serre la ceinture, et lorsqu’on a besoin de trésorerie pour un nouveau projet, on sollicite un sous-éditeur pour une avance de 100 000, 200 000 euros, en lui donnant telle part. On hypothèque, d’une certaine manière, en perdant un pourcentage, mais c’est ce qui nous permet de tenir, en attendant de grossir le catalogue ».
Un jonglage financier en équilibriste, facilité par la capacité du label à exporter ses artistes à l’international. Le single « You Will Never Know » d’Imany, sorti en 2011 en France, s’est ainsi maintenu en tête des hits (n°1) dans plusieurs pays, jusqu’en 2014. « Quand on signe un projet, on travaille à ce qu’il puisse être exporté, potentiellement, partout. Les majors ont des contraintes. Elles doivent signer avec leurs partenaires, mais elles sortent aussi du contrat cadre pour aller vers des projets qui les intéressent. Et ça coûte moins cher à Universal Allemagne de faire un deal avec nous qu’avec Universal France ». Les premiers contrats signés avec les chanteuses Ayo et Grace ont en effet été revendus à Universal, autorisant des intéressements sur l’exploitation de leurs albums, durant une période donnée.
La démarche Think Zik ! se forge par ailleurs dans un lien entre l’artiste et son public, auquel Malick N’Diaye tient fermement. En amont de la formation du label en 2006, le producteur, en bon artisan du réseautage, organisait déjà des soirées Soul Sister et des brunchs musicaux avec ses artistes au programme. On y a vu passer la toute jeune Ayo. Aujourd’hui, les soirées Big Bang Gang prennent le relais, chaque deuxième vendredi du mois à la Bellevilloise, orchestrées par la sur de Malick. L’occasion pour les artistes en développement pour le label de se confronter à un petit monde d’initiés, annonciateur du grand public à conquérir. « On essaye de former pour chaque nouvel artiste une base de public, qui grandit petit à petit, mais sur des bases saines, insérées dans la société. C’est un truc archaïque, le bluesman qui jouait devant le pas de sa porte, puis se trouve invité dans le bar d’à côté. La musique a toujours fonctionné ainsi » lance un Malick passionné, à la manière d’une évidence trop vite oubliée par l’industrie du disque.
Nostalgique des années 1950 où défricher de nouveaux talents pour un label exigeait d’avoir du talent soi-même, Malick le producteur s’interroge sur la prise de risque nécessaire au buzz. Une qualité à laquelle de nombreux acteurs du milieu semblent avoir renoncé : « Nous sommes dans une spirale où plus personne, à aucun niveau, ne prend de risques. Les directeurs de festivals regardent les nombres de ventes pour remplir leurs salles, les programmateurs radios, eux qui font vendre des disques, regardent un environnement de tubes sur internet, plutôt que de dénicher un potentiel succès. Et tout le monde suit cette démarche. Selon moi, c’est pour cette raison que les chiffres de vente du disque se sont effondrés. Mais l’industrie du disque est incapable de se remettre en cause, fustigeant le téléchargement gratuit ».
L’entrepreneur ne fait pas les choses à moitié. Au Sénégal, où il est né, il s’est offert, avec son autre sur, un studio d’enregistrement, dirigé dans une perspective d’émulation artistique transcontinentale. « Je voulais que ce studio soit un outil pour les artistes locaux, les amenant à découvrir des techniques d’enregistrement et des instruments différents. Car la musique sénégalaise est très sclérosée. Un lieu de rencontre où se projeter musicalement, en confrontation avec d’autres artistes, en dehors d’une logique coloniale ». A dire vrai, beaucoup reste encore à faire pour atteindre ces objectifs. Faute de moyens, sans ingénieur du son dédié, le studio de Dakar reste fermé aux artistes sénégalais, lorsqu’il n’est pas utilisé par l’équipe du label pour un enregistrement. L’album de Faada Freddy y a d’ailleurs été façonné, Malick distillant l’idée qu’un tel concept musical, simple dans l’esprit, tissé d’une rythmique corporelle, est un champ des possibles.
Veillant à toujours glisser un sourire amical dans ses paroles, Malick Ndiaye, dont le portrait court sur plusieurs médias depuis un an, rit de chaque question plus personnelle. Think Zik !, une histoire de famille ? Oui, sans doute, mais quoi de plus naturel, dans ce milieu de rapports humains privilégiés ? Malick, musicien lui-même ? « Tout le monde fait de la musique », dit-il en détournant la réponse, évoquant les gestes du quotidien qui seraient autant de rythmiques et de percussions. Mais l’artisan du concept vocal de Gospel Journey, s’il ne se dit musicien qu’à ses heures perdues, est arrangeur et réalisateur artistique de plusieurs projets produits par son label. De nouveaux artistes en vue ? On le devine, oui, à un autre sourire, mais l’heure n’est pas encore venue au producteur de les dévoiler.
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