Blancs et Noirs, les revenants d’Afrique sont venus hanter les vieilles pierres de la cité des papes en ce dernier Festival du millénaire. Les uns revenaient de voyage, les autres de l’enfer.
Le Festival a invité en Avignon l’Afrique lumière et l’Afrique obscure, le rêve et le cauchemar, le gentil livre d’images et la descente brutale aux enfers. Après l’Afrique fantasmée en plein jour et en place publique du Royal de Luxe qui avait fait l’ouverture du Festival, la réalité insoutenable dans l’ombre du gymnase Aubanel et trois soirées lourdes d’épouvantes revécues avec le spectacle encore en cours d’élaboration proposé par Jacques Delcuvellerie et Marie-France Collard. Fantasmes puis fantômes, bel équilibre consensuel, ou plaisir et légèreté, puis sérieux et bonne conscience ?
Grâce à l’équipe de Jean-Luc Courcoult de retour d’un long périple au Cameroun et sa magie des images, Avignon s’est offert l’Afrique à domicile, l’Afrique dans la rue avec ses tombereaux de latérite, ses taules ondulées, son bric-à-brac de récupérations, le bidonville aux pieds des Doms, sur la place du Palais des papes, le bidonville royal, le bidonville de luxe : le rêve du petit Européen qui cache sous sont lit l’avion de bois qui le fera décoller vers des contrées lointaines, ouvrant en plein air sous le soleil ardent un monumental livre d’images à la Jules Vernes, où se bousculent dans le désordre tous les fantasmes et les clichés qui construisent l’Afrique dans l’imaginaire occidental. Neuf Petits contes nègres pour Européens en manque de cartes postales et de souvenirs coloniaux. Afrique aux pieds des Doms, mais Afrique toujours aussi lointaine, Afrique terre lunaire où, à ce que dit déjà sa légende médiatique, le Royal de luxe est allé poser ses pas de pionnier du théâtre, à l’image de son petit cosmonaute.
Une fois les » rêves-calebasses » déterrés à coup de dynamite et de pétards mouillés, histoire de soulever la poussière et de convier la foule à une rencontre bien sentie avec cette Afrique » étrange, captivante, brutale et généreuse » disait le programme, ce fut les 21, 24 et 26 juillet l’Afrique sombre, celle des fantômes, celle des morts du Rwanda, celle du génocide, dont les cadavres ne sont pas en paix, puisque justice n’est pas faite, puisque le mensonge rôde encore. Le travail de Jacques Delcuvellerie est bien moins un spectacle qu’une tentative de partage émotif et réflexif autour du génocide, une communion pour déjouer l’indifférence, pour apprendre à regarder ensemble, en face, l’horreur et les responsabilités qui sont les nôtres.
Programmation curieuse, comme si l’Afrique ne devait être que rêve ou cauchemar. Institutionnellement l’Afrique reste un objet, un thème, un fétiche peut-être même, que l’on brandit selon tel ou tel éclairage. Lune ou enfer. Mais est-on à l’écoute de l’Afrique moderne et de ses artistes ? Est-on à l’écoute de ses questionnements ?
Eglises, chapelles, collèges… et autres vieilles voûtes avignonnaises ont résonné pourtant au rythme du monde noir d’Afrique et de la Caraïbe. Le spectacle vivant a fait entendre ses voix nègres, mais ce n’était pas sur les tréteaux officiels du » in « . L’Afrique des Africains, c’est dans le » off » qu’il fallait la chercher : auteurs, metteurs en scène, chorégraphes, danseurs, et bien sûr comédiens venus coûte que coûte défendre leurs spectacles dans un festival promesses de lendemain. A La Chapelle du Verbe Incarné d’abord avec, pour la deuxième année grâce à la détermination passionnée de Marie-Pierre Bousquet et Greg Germain, une programmation remarquable, allant d’un petit spectacle de clowns de la Guadeloupe à la mise en scène d’un texte de Genet selon un éclairage vaudou d’une grande force : Le Balcon, en passant par des textes de Confiant et de Chamoiseau, sans oublier la danse avec notamment une pièce chorégraphique de la guyanaise Norma Claire : Vie d’Ebène, ni le conte avec Gilbert Laumord et le Makibefo d’Alexandre Abela. Au Théâtre du Chêne noir avec l’Ubu déchaîné de Richard Demarcy et Vincent Mambachaka, mais aussi l’excellent spectacle du Kôzô zô théâtre de Bangui : Moi pas Tintin… Toi pas Kongo. Ce fut encore le Théâtre des Halles où Bakary Sangaré fit entendre James Baldwin, le Théâtre du Big-Bang avec la prestation exceptionnelle du ballet zimbabwéen Tumbuka, le collège de La Salle où l’on pouvait entendre Les Négropolitains chanter Boby Lapointe avec Ferdinand Batsimba et Basile Siékoua et qui pour la troisième année consécutive faisaient encore salle comble. Sur les remparts, le Théâtre de l’Alizé programmait également deux textes de Mercédès Fouda, une toute jeune artiste camerounaise, mises en scène par l’Atelier Assimba : A la tête du client et Les dessous de plats. N’oublions pas la Maison du off qui a accueilli une lecture d’une nouvelle pièce de Caya Makhélé et même un débat organisé par les éditions Acoria autour de la création africaine, et surtout le Mambo Café, rue de la Bonneterie, coeur afro-antillais du Festival, devenu le Q.G. des artistes noirs et des copains venus les soutenir et où brûlaient discussions enflammées et ti-punch jusque tard dans la nuit. Guyane, Guadeloupe, Martinique, Madagascar, Congo, Centrafrique, Gabon, Zimbabwe, Cameroun mais aussi… Paris, Harlem, et même Pézenas, les Afriques du monde ont fait entendre leur théâtre jusqu’en Avignon, n’en déplaise à ceux qui croient qu’il n’y a pas de théâtre en Afrique parce qu’ils n’ont pas été à sa rencontre.
Avignon africaine 99, ce fut la Maison du off et les Editions Acoria qui organisèrent un débat autour de la création contemporaine africaine avec Vincent Mambachaka, Kangni Alemdjorodo, Rassidi Zacharia, Ferdinand Batsimba, ainsi qu’une lecture de La veille des mondes, un texte de Caya Makhélé, mis en voix par Zazie Delem, Céline Brunelle, Nicole Charpail, Eve Rouvière, Ferdinand Batsimba et Basile Siékoua.///Article N° : 952