TOMA 2001 : Avignon, une consécration pour la Chapelle du Verbe Incarné

"haut lieu des expressions artistiques d'ici et d'Outre-mer en Avignon"

Print Friendly, PDF & Email

 » C’est nous pourtant qui là.
Nous qui sommes ainsi, comme ça, tant souvent à plat et à vide, aussi bien que mal.
Nous qui, pourtant, à prendre ou à laisser, mais ici-da assurément.
Nous qui allons de sol gravieux à terre pavonnée, si tant va-nu-pieds que rien dedans poche, rien dedans sac, mais tellement dans fond d’yeux. « 
Jean-Claude Ismar

La moisson théâtrale d’Outre-mer et d’Afrique aurait été bien maigre en cette édition 2001 du Festival d’Avignon s’il n’y avait eu la programmation du T.O.M.A. à la Chapelle du Verbe Incarné. Et on ne parle pas du festival « in » avec à peine une simple lecture par Catherine Hiégel et Sylvie Testud d’un texte du dramaturge originaire du Bénin José Pliya, grâce à Jean-Michel Ribes et à l’opération « textes nus » de la S.A.C.D. Quant au fameux spectacle annoncé comme le spectacle des îles et d’Afrique, le spectacle d’un « aventurier des mers du sud » selon Fabienne Pascaud (Télérama), Les Mariés de la Tour Eiffel d’après Jean Cocteau, ne saurait être représentatif d’une expression artistique africaine tant les danseurs sont mis au service d’une simple entreprise d’exhumation des Folies nègres des années 20. Heureusement que la danse contemporaine rattrapait un peu le coup avec Bernardo Montet et la Bérénice de Fisbach, Fatou Traoré aux Célestins ou Bill T. Jones dans la Cour d’honneur. Mais on le sait la danse ne connaît pas les mêmes ostracismes.
On a vite fait le tour du festival « off » : Tumbuka dance au Big Bang, Les Négropolitains chantent Brassens au Collège de la Salle, un spectacle de contes par la Compagnie Tellem Chao au Rouge Gorge, L’épopée Mandingue par Racines Mandinga au Théâtre des Roues, Flash-Black à la Maison du théâtre pour enfant avec Denis Mpunga et un texte d’Idris Youssouf Elmi, auteur djiboutien, monté par Yves Sauton au Théâtre de la Principale. Programmation par ailleurs sans surprise. Le Big-Bang avait déjà programmé l’excellente Compagnie du Zimbabwe en 1999, Les Négropolitains étaient présents au Collège de la Salle en 1999 et 2000, comme Histoires d’Ivoire de la Compagnie Tellem Chao. Seule Fine Membrane d’Idris Youssouf Elmi représente une prise de risque et un engagement du côté des écritures contemporaines et du théâtre.
Sans rien enlever à la qualité de ces spectacles, force est de constater qu’en dehors du texte d’Idris Youssouf Elmi monté par Yves Sauton, ces spectacles s’inscrivent tous à la frange du théâtre : danse contemporaine avec Hoche-Koche de Tumbuka, music-hall avec Gare au Gorille des Négropolitains, contes et musique avec Tellem Chao ou Racine Mandinga, théâtre jeune public avec Flash-Black.
Aussi le T.O.M.A. à la Chapelle du Verbe Incarné finit-il pas s’affirmer aujourd’hui comme l’espace de la différence et des expressions dramatiques d’Outre-mer et d’Afrique, festival dans le festival qui apporte la preuve de l’inventivité et de la créativité des théâtres d’ailleurs. D’abord programmation de six spectacles aux distributions internationales et de genre varié, mais aussi création théâtrale et plastique avec la collaboration de la Galerie Abadie juste de l’autre côté de la rue, et la résidence d’un artiste plasticien : une exposition et des performances quotidiennes à 19h30 avec cette année Pierre Chadru de la Guadeloupe ; et pour la première fois cette année un collectif d’artistes qui se sont associés autour d’un projet entre théâtre et arts plastiques : Regards-Croisés.
Le TOMA 2001, ce fut aussi des rencontres matinales, des tables-rondes dont Africultures a assuré l’animation autour de sujets aussi divers que « Les tirailleurs », ou « Les dramaturgies africaines d’aujourd’hui », « Le Chevalier de Saint-Georges » ou « La Vénus Hottentote », rencontres également avec les artistes présents à la Chapelle comme Mimi Barthélemy et des personnalités invitées comme le journaliste Gérard Badou auteur de L’énigme de la Vénus Hottentote (Lattès, 2000), les auteurs de La Damnation de Freud et les artistes africains présents sur le Festival : Idris Youssouf Elmi, Koulsy Lamko, Koffi Kwahulé, Claude Gnakouri, Euloge Aguiar, Dieudonné Kabongo, Denis Mpunga… ; ce fut même des lectures d’auteurs contemporains, notamment Laurent Maurel et Jean Claude Ismar venu lire lui-même Sermonnaire dont la parole entre poésie et théâtre reste inouïe et a charmé son auditoire, une parole, comme il la définit lui-même, « investie de la tradition de ceux dont l’oralité est le témoignage de l’existence d’une lignée qui prend sa source du côté des Griots pour se suivre et se renouveler à l’intérieur des mégalopoles contemporaines », une parole « qui est entrée par effraction de l’autre dans cette langue dite française, langue qui a tant de mal à ouvrir les portes de l’hospitalité ».
Les activités artistiques du T.O.M.A. ont cette année bénéficié d’un véritable rayonnement, d’autant que la Chapelle a retrouvé une façade toute neuve, que les travaux de bâtiment exécutés par un chantier-école ont réhabilité magnifiquement les lieux. Les spectacles ont fait salle comble. Les spectateurs étaient au rendez-vous. Un sacré pied de né à l’histoire puisque cette chapelle a été construite en 1685, année de la publication du Code noir !
Festival dans le festival et non pas ghetto comme d’aucuns peuvent le suspecter, la force du T.O.M.A. est bien sûr liée à la magie du lieu, mais aussi à l’intelligence de sa programmation dont se dégage une cohérence stimulante pour l’esprit et la créativité artistique qui fait son succès. On insistait l’an dernier sur l’ouverture internationale et les ponts jetés entre Amérique, Afrique, Océan indien, Europe… On retrouve cet esprit dans les créations 2001 et une Afrique atavique qui traverse finalement tous les spectacles du tirailleur de La Damnation de Freud à Wifredo Lam et la jungle interprétée par la martiniquaise Christiane Emmanuel en passant par l’Haïti de Mimi Barthélémy, la Réunion du Théâtre Vollard ou l’Amérique latine de Diaz-Florian.
La programmation du T.O.M.A. était cette année sous le signe du multiple, thème qui est au coeur de la Damnation de Freud et du conflit qui oppose la psychanalyse à la pensée yoruba. Et cette question du multiple, on la retrouve quasiment dans tous les spectacles de la Chapelle : c’est le sujet d’Othello à travers l’enjeu de l’altérité, c’est aussi le sujet d’Une très belle mort qui évoque l’au-delà comme une pluralité d’esprits qui entourent les humains, c’est la jungle grouillante de Wifredo Lam dans la chorégraphie de Christiane Emmanuel, c’est aussi la ronde des personnages d’Obaldia que fait vivre Lucien Jean-Baptiste.
Greg Germain, directeur artistique du T.O.M.A. et Marie-Pierre Bousquet l’administratrice ont signé avec la ville d’Avignon un bail d’occupation de la Chapelle du Verbe Incarné pour 12 ans. Dans les années qui viennent La Chapelle du Verbe incarné sera un lieu incontournable d’Avignon pour ceux qui se préoccupent d’altérité et abordent la France comme un pays multiculturel.

///Article N° : 1896

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
Les images de l'article
Devant la Chapelle - Les comédiens du théâtre Vollard et ceux de l'épée de bois © Sylvie Chalaye





Laisser un commentaire