Rencontre avec Magda Wassef, déléguée générale de la Biennale des Cinémas arabes à Paris, sur la question du public.
Quel bilan pour cette 6ème Biennale ?
Je pense que c’était une bonne année, un bon cru, un public nombreux et fidèle à toutes les séances, malgré le fait que les cinémas arabes sont encore perçus comme un cinéma marginal. Ce qui frappe, ce sont les premiers films, les jeunes. Il y avait peu de films d’école cette année mais surtout des premiers films.
Peut-on dire que la Biennale a trouvé son public ?
Oui, c’est un public intéressé, pas forcément le grand public, mais on voit des gens venir avec des amis et revenir d’eux-mêmes. C’est ce public aussi qu’on cherche à toucher : c’est le sens de cette décentralisation vers d’autres salles en d’autres lieux où l’on trouve des animateurs passionnés qui font des choix et qui savent accompagner les films. A l’IMA, on trouve un public arabe, les habitués de l’IMA mais aussi les cinéphiles. Voilà dix ans que cette Biennale existe mais 14 ans que le cinéma existe à l’IMA : ce public suit notre travail et nous fait confiance.
Etes-vous satisfaite de la couverture médiatique de la Biennale ?
Nous avons eu une bonne couverture à travers des quotidiens comme Le Monde ou Libération. Du côté des radios, France Culture, France inter, RMC etc. ont fait des émissions. TV5, CFI, qui sont nos partenaires, ainsi que RMC étaient présentes, mais notre difficulté est qu’en juillet, toutes les émissions de télévision spécialisées sont arrêtées pour l’été, si bien que la couverture audiovisuelle est moindre. Par contre, elle est parfaite dans le monde arabe. Tant qu’il n’y a pas une catastrophe ou un scandale, on intéresse pas les journaux télévisés français. Les stars du monde arabe sont méconnues au-delà de leurs frontières et n’attirent donc pas non plus : seul Omar Sharif, il y a deux ans, parce que les journalistes le connaissent. Cela nécessite encore du travail. On va par exemple parler de « Rachida » de Yamina Bachir car il y a un attentat en Algérie, ou bien des films palestiniens parce qu’il y a des événements dramatiques et non parce qu’il y a un cinéma palestinien. Un film comme « Intervention divine » d’Elia Suleiman a été formidable parce qu’il a forcé à reconsidérer les choses sous un autre angle, celui de faire du cinéma et de parler de la Palestine à sa façon. Nous avons besoin de plus de films comme celui-là. Et la diversité des cinémas arabes porte en elle un impact potentiel. Par contre, les difficultés de la distribution font que même les salles d’art et essai ont du mal à faire face aux grands groupes et leurs cartes d’abonnement. Tout cinéma qui ne soit pas français ou populaire a du mal à exister.
En dehors de Famek, on ne connaît pas beaucoup d’autres grands festivals de cinéma arabe en Europe.
Il y a de plus en plus d’initiatives mais le problème est la continuité : un festival existe sur la durée, en se renforçant d’année en année, par la qualité du travail effectué. Par contre, dans le monde arabe, il n’y a pratiquement pas de festivals consacrés aux films arabes, ce qui est paradoxal. Les cinémas arabes sont également très mal distribués dans le monde arabe. Chacun s’enferme sur son propre cinéma. Cependant, les films présentés à la Biennale sont pour la plupart du cinéma d’auteur. Les films égyptiens sont davantage grand public car ils en tiennent compte dans leur grammaire scénaristique : on retrouve la marque d’un cinéma qui a une histoire. Les films des autres pays ont d’autres approches. Par exemple, le beau film de Ghassan Salhab, « Terra incognita », parle de la réalité libanaise d’aujourd’hui, l’après-guerre et ses désillusions, comme il avait parlé de la réalité libanaise d’hier dans « Beyrouth fantôme ». Mais les gens au Liban ont-ils envie d’aller revivre ces souvenirs au cinéma ? Ils ont tendance à éviter ce genre de films. Même problème pour « Rachida » qui est un film sensible et courageux. J’ai été frappé récemment en Algérie de constater qu’en plein Bab el Oued, les gens de la rue ne connaissaient pas « Bab el Oued City » de Merzak Allouache, pas plus qu' »Omar Gatlato ». Le public de ces films est restreint à ceux qui fréquentent la cinémathèque d’Alger, une certaine intelligentsia, tandis que le public populaire les boude. Certains cinéma ont étudié dans les grandes écoles comme Oussama Mohammad et Abderrahmane Sissako à Moscou : ils ont de bonnes bases et une vraie culture cinématographique, mais restent élitistes.
Cette diversité d’une cinématographie ne lui permet-elle pas de s’élever dans son niveau général ?
Sûrement. Je fais un constat qui n’est pas une critique : je défends ces cinéastes et nous montrons leurs films à la Biennale. Prenez un film comme « Le citoyen, l’indic et le voleur » de l’Egyptien Daoud Abdel Sayyed : il a les ingrédients et les codes du cinéma populaire tout en étant une métaphore qui l’élève. Depuis le début du cinéma, la question est de trouver la voie de toucher tous les publics à la fois.
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