Tout le monde en parle

Entretien d'Olivier Barlet avec Jean-Felhyt Kimbirima sur Le Point-virgule

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Quel arrêt propose le point virgule ? Une respiration dans le flot de la vie ? Phrase en devenir ou arrêt ? Le commandant Zenouka doit diriger le peloton de la mort contre son frère d’arme le colonel Adinonso. Cela l’arrange car leur conversation le laisse soupçonner qu’il est l’amant de sa femme. Mais la mort d’Adinonso et le meurtre de sa femme ne résoudront pas ses tourments. C’est cet homme partagé, torturé, insatisfait que nous livre Kimbirima avec une belle inventivité de mise en scène, un homme victime de sa propre condition et qui cherche les échappatoires. Les prostituées ou le meurtre ne seront pas une solution car il est trop vivant pour s’en contenter :  » Je bande de l’intérieur, je bande du cœur « . Or le cœur est méchant, il ne marchande pas : le problème est au fond de soi, dans sa capacité à se remettre en cause. OB.

De quel point virgule s’agit-il ?
Je me suis posé la même question au début. Dans une phrase, un point virgule ouvre à une poursuite : les choses ne s’arrêtent pas là. Le personnage porte ce point virgule en lui, dans tout ce qui ne va pas et qui demande une suite.
Gabriella et Yvonne représentent deux images de la même femme ?
Oui, c’est la même personne. La première image est femme d’un commandant, vivant normalement, tenant une maison. La deuxième est la femme morte dont Zenouka implorera la présence pour que cette femme défunte lui vienne en aide face aux agressions du fantôme d’Adinonso, l’ex-ami qu’il a tué.
Le texte est profondément ancré dans la mort.
L’auteur ne l’a pas orienté dans cette direction. Dans sa nouvelle, Sony a écrit un dialogue entre les deux personnages, suite à quoi Zenouka rentre chez lui et tue sa femme. C’est moi qui ai voulu ce côté fantomatique pour mieux faire ressortir ce point virgule, pour faire sentir la tourmente de Zenouka. Le spectacle commence par la fin de la nouvelle : arrivé devant le public, il cherche du secours. Et une fois sur le plateau, il explique ce qui s’est passé. C’est une embrouille voulue !
Qu’est-ce qui t’intéressait dans ce texte ?
J’ai tout d’abord voulu me faire plaisir. Je voulais me confronter à un texte inhabituel, après neuf ans de carrière, pour voir quel niveau j’ai atteint dans ce métier. Le texte de Sony, par son aspect macabre, n’est pas ordinaire. Zenouka ne tue pas tout de suite l’ami qu’il soupçonne de coucher avec sa femme : il va au-delà et cette mort devient plus forte. On parle beaucoup de nos jours de problèmes de virilité, d’infidélité dans le couple : ce sont des thèmes actuels qu’il me paraissait intéressant d’aborder. Je ne crois pas qu’Adinonso ait vraiment couché avec la femme de Zenouka mais ce soupçon lui révèle ses préjugés et la mort ne résout en rien le problème qu’il a en lui. Il ne bande plus car son psychique a été atteint. C’est un texte qui a des entrées multiples permettant de poser beaucoup de questions.
La recherche de puissance rend impuissant !
Oui, c’est lui-même qui se tue : comme il lui est prophétisé dans le texte,  » le vrai mort ce sera toi, car tu continueras à te croire vivant « . La transe que j’ai inséré dans le spectacle permet de faire parler un autre à travers lui qui est également lui-même.
Si l’on compte le fantôme, cela fait quatre personnages : comment en es-tu arrivé au monothéâtre ?
Pour adapter directement la nouvelle, il aurait fallu deux personnages, mais sans moyens je voulais travailler seul. Il fallait donc contourner la difficulté d’un dialogue en insérant la scène de transe. Ce fut le résultat d’une longue recherche solitaire. Je pensais travailler ainsi, seul, en me faisant critiquer régulièrement par des amis mais les déplacements des uns et des autres ne l’ont pas permis. Les critiques que je recevrai ici me permettront à améliorer le spectacle.
Le masque te permet de jouer sur les différents personnages avec un élément scénique très simple.
Le travail avec Emmanuel Letourneux a été à cet égard très profitable dans la découverte de ce que peut permettre un accessoire. J’aurais aimé y insérer de la lumière pour en développer les possibilités.
De nombreuses pièces ont une approche politique par une dénonciation directe des dérives des gouvernants. Tu te situes ici dans le domaine de l’intime, de la condition masculine. Cela te semble important aujourd’hui. ?
C’est bien sûr important pour nous tous, pour le monde. Mais c’est aussi important pour moi car j’ai travaillé avant ce spectacle sur  » Couloir humanitaire « , un texte très fort qui reprenait ce que nous avons vécu pendant la guerre et comportait un aspect témoignage mais aussi un peu de  » Point virgule  » : la marche qui conduit à la mort et un personnage femme central. Tout est politique, mais j’ai voulu sortir du carcan du message obligé pour m’intéresser à ce dont tout le monde parle : les rapports de couple et le rapport à soi-même.
Tu penses que ça peut faire avancer les choses ?
Je le pense. On vit dans un monde où on ne sait plus ce qui nous appartient. Femme, mari, surveillance permanente : le problème est de faire avec sans préjugé ni calcul.

Compagnie Deso (Congo-Brazzaville)
Auteur : Sony Labou Tansi
Interprété et mis en scène par Jean-Felhyt Kimbirima///Article N° : 2605

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