Née d’une première résidence nomade au Liban en l’an 2000, Ecritures vagabondes dont Monique Blin est présidente et qui regroupe des écrivains de France, du Québec, de Belgique, du continent africain et du monde arabe, a déjà a son actif plusieurs coordinations de résidences d’auteurs et de metteurs en scène à l’étranger. L’association a pour vocation de sensibiliser les auteurs aux réalités politiques, sociales et culturelles des pays d’accueil en les mettant en relation avec leurs artistes et toutes les composantes de la société civile, de sortir les auteurs du Sud comme du Nord de leurs frontières pour qu’ils rencontrent l’espace de l’autre.
Après plusieurs actions en 2001-2002 notamment à Bamako au Mali et Assahoun au Togo, Ecritures Vagabondes s’est a nouveau associé, comme l’an dernier, à la fondation Action Afriques J.P. Blachère pour offrir, avec le soutien de l’AFAA, une résidence en Avignon pendant le festival à cinq metteurs en scène d’Afrique et du monde arabe afin de désenclaver ces créateurs et de leur permettre d’aller à la rencontre de la création théâtrale internationale en découvrant la programmaton du « in », mais en leur proposant aussi un parcours dans la programmation foisonnante du « off ». C’est aussi l’occasion comme le dit Monique Blin de « rencontrer d’autres metteurs en scènes, des programmateurs et de pouvoir échanger ». Logés dans une grande maison avignonnaise à la sortie des remparts, ces jeunes metteurs en scène ne chôment pas : ils voient au moins deux spectacles par jour, participent à des débats et des tables rondes. La résidence s’est dotée, cette année, d’ateliers de réflexion et d’analyse sur les spectacles qu’ils voient ensemble, animés par l’éditeur belge Emile Lansman. « Pour leur faire profiter de cette expérience, il était important de les guider, explique-t-il et de leur donner un certain nombre de clés : Pourquoi ces deux festivals ? quels sont leurs enjeux ? » Après une première étape d’imprégnation dans ce que Lansman appelle « le bain avignonnais », il leur propose de jouer le jeu du programmateur, d’avoir des contacts avec des équipes, puis de « mettre au clair la relation que l’on peut avoir avec des spectacles dans un cadre comme celui-ci ». « Puisque ce sont des spectateurs et des professionnels du théâtre, rappelle-t-il, il est essentiel qu’ils tirent un maximum d’informations utiles de cette expérience. On travaille de manière très ludique, ce n’est pas une formation théorique, on tente simplement de dépasser le stade de la réaction affective et de recaler un certain nombre de données techniques et de critères esthétiques. »
Tous jeunes auteurs-metteurs en scène, ils viennent du Togo, du Congo-Brazzaville du Burkina Faso, du Bénin, de Tunisie, et nous confient leurs premières impressions de spectateurs plongés dans ce « grand souk du théâtre en Avignon ».
Ousmane Aledji (Bénin)
« Prince Yoruba » comme il aime à se définir lui-même, mais surtout directeur de la compagnie Agbo-N’Koko, il est l’auteur de pièces dont il a lui-même assuré la mise en scène notamment Amour en sang en 1995 (1er prix de la Francophonie), Et les nègres se taisaient en 1998, L’âme où j’ai mal en 1999. Boursier Beaumarchais pour une résidence d’écriture au Festival des Théâtres Francophones en 2000, il monte l’année suivante, Arrêt fixe de Mohamed Benguettaf, une mise en scène remarquée qui remportera plusieurs prix.
« On confronte nos idées, c’est très stimulant. On a vu de très beaux spectacles, mais aussi de très mauvais, des spectacle pénibles à supporter, d’autres qui m’ont soulevé ou beaucoup secoué. Mais je souffre de constater que dans ce foisonnement, l’Afrique ne soit pas vraiment présente, que ce soit dans le « in » ou le « off ». C’est très malheureux. (…) Il faudrait que l’on pense, dans l’avenir à créer un espace pour les expressions artistiques africaines. »
Pierre Claver Mabiala (Congo-Brazzaville)
Comédien, auteur et metteur en scène qui travaille à Pointe-Noire, Pierre Claver Mabiala dirige l’espace culturel Yaro et a la responsabilité d’un festival de théâtre rural, le JOUTHEC (Journées théâtrales en Campagne).
« Je n’en reviens pas : quelle pagaille !… mais c’est une pagaille très organisés, les gens se retrouvent, on peut faire de belles rencontres. (…) Il n’y a pas d’école de théâtre au Congo, aussi l’expérience d’un festival est toujours importante, elle permet d’aller à la découverte de ce qui se fait, on en ramène toujours des idées, des éléments déclencheurs… Je ne suis pas prêt d’oublier Platonov à la cour d’honneur, par exemple. »
Alexis Guiengani (Burkina Faso)
Conteur et comédien, Alexis Guiengani a joué dans de nombreux spectacles de Jean Pierre Guingané à Ouagadougou. Il dirige aujourd’hui la Compagnie Tchira et commence à explorer l’écriture et la mise en scène, il a déjà monté plusieurs de ses textes au Théâtre de la Fraternité, notamment Le Chauffeur et son maître.
« J’ai participé à de nombreux festivals, mais ça a été un émerveillement de voir un aussi grand et dense rassemblement d’hommes de théâtre. Ce qui m’a frappé, c’est la multitude des affiches qui tapissent les murs de la ville, les parades dans la rue. Je n’imaginais pas cette démesure.(…) Voir tous ces spectacles crée forcément un déclic dans la tête. C’est très important de voir d’autres pratiques et de voir que l’on peut oser, cela peut aider à prendre des risques artistiques à tenter des folies, car c’est dans une certaine folie que l’on trouve son originalité, si on reste dans les codes stéréotypés du théâtre, il n’y pas de créativité. »
Rodrigue Norman (Togo)
Plusieurs fois primé au FESTHEF où il a notamment remporté le prix Plumes Togolaises-Junior en 2001, ainsi qu’un prix de mise en scène, avec Qu’on s’aime… qu’on se haïsse, Rodrigue Norman dirige la Compagnie les 3C de Lomé.
« J’avais une très haute idée de ce festival que je croyais vraiment être le rendez-vous mondial du théâtre et j’ai été très déçu du peu de représentativité de l’Afrique. Certes on a vu quelques créations d’Amérique latine, mais c’est un festival qui reste tout de même très européen et bien sûr surtout français. Quel dommage que l’Afrique moderne avec ses créations contemporaines ne soit pas présente. Nous devons en Afrique reconsidérer nos méthodes de production et de diffusion pour occuper ce terrain-là. (…) Ce qui caractérise la programmation officielle, c’est la démesure des moyens, tandis que le « off » fait dans la simplicité, avec des moyens réduits. Mais à l’évidence ce ne sont pas les gros moyens qui font les plus beaux spectacles. »
Hatem Derbel (Tunisie)
Comédien et metteur en scène, il dirige la troupe « Ifrikiya Production Artistique » et a déjà monté de nombreux spectacles à Tunis dont tout dernièrement un Macbeth de Shakespeare.
« Je n’ai pas encore vu de spectacle, car je viens d’arriver ! Mais pour moi, le Festival d’Avignon est un peu comme une source et je suis venu pour me ressourcer, pour entrer dans une dynamique d’échanges, pour combler aussi un certain fossé culturel entre les deux rives de la méditerranée. »
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