Un fils

D'Amal Bedjaoui

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D’entrée, le corps : Selim torse nu devant la glace. C’est à ce niveau très intime et physique que se situe Un fils : Selim se prostitue, en compagnie de Louise avec qui il arpente les clubs à la recherche de clients. L’argent amassé lui permet d’offrir à son père l’opération qui le sauverait. Mais celui-ci n’en veut pas : enfermé dans le deuil de sa femme, il refuse la relation que Selim cherche désespérément, écoutant sans discontinuer « Love me Papa », un blues de Luther Allyson tiré de son « Standing in the Crossroad ».
Un fils nous fait évoluer dans les huis-clos du sexe et de l’incompréhension entre les êtres, tandis qu’il place volontiers la relation entre Selim et Louise dans des lieux ouverts. Les scènes de prostitution sont hard : ce film ose son sujet, et ne craint pas de déranger. Selim et son père sont maghrébins comme la réalisatrice est algérienne mais le film ne propose aucun référent culturel, même dans la musique ou les intérieurs. Pourtant, bien sûr, il n’est pas neutre de faire évoluer un tel personnage en milieu arabe et cela participe du projet du film. Mais il le fait avec une grande finesse et une immense retenue dans la relation qu’a Selim avec son père, à l’image de celle qui unit ces deux paumés que sont Selim et Louise. Cette pudeur n’est pas spécifiquement culturelle : elle est celle des hommes dans leur relation à leur père, à leur origine. Elle est la marque de la complexité et de la limite de ce qu’on peut se dire pour se comprendre sans se renier. Cette introspection prend plus de force encore lorsqu’elle est ainsi tournée en milieu maghrébin : elle doit franchir les obstacles afférents, sublimer les clichés et les idées reçues pour atteindre l’humanité des personnages. Tout le dispositif de mise en scène, peu axé sur l’action mais plutôt sur l’être au monde, tend vers cette simple exposition. En cela, Un fils est un récit qui ne se définit pas comme culturellement ancré mais qui ne refuse pas son ancrage. C’est parce qu’il est débarrassé des référents habituels qu’il peut être une méditation sur l’homme et atteindre à l’universel. Et que l’identité maghrébine y gagne en ouverture.
Un fils n’est pas optimiste : cette compréhension passera par la mort. Le film n’est pas scandaleux : l’intelligence de la mise en scène le situe à un autre niveau, celui d’une interrogation profonde sur les conséquences de l’incommunicabilité des pères. C’est là qu’il trouve à la fois sa nécessité et sa beauté.

///Article N° : 3433

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