Un lion nommé Personne

A propos du roman de Stéphane Audeguy

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L’Histoire du lion Personne est un roman sur les péripéties d’un lion entre le Sénégal et la France, à la fin du XVIII siècle. Stéphane Audeguy nous livre ici une description magistrale d’une tranche d’histoire dense en évènements, avec un regard qui choisit de se focaliser sur les animaux pour mieux voir l’humain.

Dans les dernières pages du livre de Stéphane Audeguy Histoire de lion Personne, nous sommes dans un jardin zoologique parisien. Il s’agit de l’ancienne Ménagerie nationale, avec sa panoplie d’animaux sauvages apprivoisés parmi lesquels figure un étrange duo : un lion et un petit chien, compagnons inséparables. Des dessinateurs en font des portraits, tandis que les visiteurs ordinaires, les adultes et les enfants, sont là pour s’étonner face aux jeux de complicité mis en scène par ces deux bêtes. Si le chien, animal domestique par excellence, a cette visibilité de « star », c’est grâce au vrai protagoniste de l’histoire, le lion : un être d’un naturel paisible et patient, qui ne rugit jamais pour ne pas effrayer son entourage et qui sait mesurer sa force. Ce félin s’appelle Personne et a toujours eu des maîtres cultivés et illuminés. Avant de se retrouver ici, dans une grande loge grillée, il vit à Versailles, et plus tôt encore à Saint Louis du Sénégal. Son premier patron, Yacine, est un enfant sénégalais qui aime le grec et les mathématiques, mais aussi la littérature : c’est lui qui lui donne son prénom, tiré de l’Odyssée d’Homère. Il y a ensuite Jean-Gabriel Pelletan de Camplong, directeur de la Compagnie royale du Sénégal, fervent lecteur de Jean-Jacques Rousseau, favorable au développement d’élites locales autochtones et contre l’esclavage. Le troisième maître est Jean Dubois, jeune homme qui aspire à devenir naturaliste et qui considère les animaux comme proches des hommes. En ce qui concerne le lion Personne une chose est certaine : il s’agit d’une idole païenne autour de laquelle se cristallisent toutes les haines, les curiosités et les ressentiments des gens qui le côtoient pendant les dix ans de son existence. Considéré comme un symbole du luxe des Blancs au Sénégal et de royauté par les Jacobins, pendant la révolution française, il frôle donc la mort à plusieurs reprises. Mais il arrive toujours à s’en sortir, à différence de la plupart de ses maîtres.

En suivant la vie de ce lion nous pouvons nous faire une idée non seulement des rapports existants entre la France et le Sénégal d’autrefois, mais aussi et surtout sur la condition des esclaves. En effet, sous le prisme de la considération accordée aux animaux il est possible d’apercevoir, jusqu’à en trembler d’effroi, la façon dont les esclaves sont traités. Il suffit de lire le passage sur le voyage vers l’Europe du lion Personne en 1799 à bord du « Centaure », de la Compagnie des Indes, qui est également un bateau négrier. Ici on le frappe et on ne le fait jamais remonter à la surface, en le privant de la distinction entre le jour et la nuit pendant trois longues semaines. Une fois arrivé en France il a des démangeaisons, il éternue du sang. Toute lumière un peu vive lui blesse les yeux. Il a maigri, perdu ses poils, ses dents et ses muscles ont fondu. Dans ce roman nous suivons donc un lion qui voyage en vaisseau mais aussi en pirogue, qui traverse les campagnes françaises en affrontant la tempête la plus violente du règne de Louis XVI et qui survit à plusieurs empoisonnements. Avec un récit remarquable, dont les longues phrases sont d’une harmonie et d’une élégance impeccable, Stéphane Audeguy nous livre une histoire, celle du lion Personne, atypique et étonnante. Un roman qui, dans l’écriture, apparaît d’abord comme une fable destinée à un jeune public, pour ensuite nous plonger rapidement dans une fresque des plus troublantes, avec des enjeux profonds, mais toujours peinte avec la légèreté des aquarelles.

///Article N° : 13952

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