Une Afro-européenne 

Entretien d'Ayoko Mensah avec Félicité Wouassi

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Découverte par le grand public dans le film « Black Mic Mac » de Thomas Gilou, Félicité Wouassi, 38 ans, d’origine camerounaise, incarne une génération de comédiens au carrefour de deux continents, deux cultures, deux cinémas. Son talent, qui déborde d’énergie, explose à l’écran comme sur les planches des théâtres.

Pour vous, actrice africaine, est-ce facile de travailler en France ?
Je me considère plus comme une Afro-européenne… Je suis arrivée en France à l’âge de 13 ans. Il y a quelques années, j’ai fini par demander la nationalité française. Aujourd’hui, je me sens chez moi. Tout comme il y a les Afro-américains aux Etats-Unis, j’aimerais que l’on parle d’acteurs afro-européens. Bien sûr, ce n’est pas facile pour les acteurs « blacks » de travailler en France. Mais ce n’est facile pour personne. Ceci dit, le cinéma européen emploie de plus en plus d’acteurs noirs. Je m’en suis aperçue avec l’adaptation des maquilleuses professionnelles. Avant, elles ne savaient pas nous maquiller. Aujourd’hui, elles ont toute une palette de fonds de teint foncés (rires).
Dans vos rôles, avez-vous souffert des stéréotypes liés aux Africains ?
C’est vrai que j’en ai assez des rôles de boniches, de putes et d’infirmières que l’on me proposait inlassablement… Tous les acteurs sont confrontés au problème de l’étiquette dans laquelle on veut les enfermer. Il m’arrive encore de refuser des rôles qui ne jouent que sur ma couleur de peau, qui manquent d’humanité. Etre Noir ne peut suffire à la définition d’un personnage. Ceci dit, les mentalités évoluent… Je me prends moins la tête avec les cinéastes européens qu’il y a dix ans. A l’époque, on se demandait vraiment d’où ils sortaient. Je me rappelle l’un d’eux qui m’avait demandé de prendre un accent africain. Je lui demande lequel ? Il me répond : « Je m’en fous, du moment que c’est un accent noir. » Aujourd’hui, ça va mieux même si la compréhension reste difficile avec toute une ancienne génération de réalisateurs. En ce moment, je joue le rôle d’une femme médecin, spécialisée dans les traitements contre le sida, dans le film de Vincent Martorana « Signes de vie ». J’aime ce rôle car l’africanité du personnage n’est qu’un caractère parmi d’autres. C’est avant tout une femme, médecin… simplement, il se trouve qu’elle est africaine.
Etes-vous pour une politique de quotas d’acteurs noirs dans la production cinématographique française ?
Cela me semblerait une grave erreur. Il faudrait alors aussi faire des quotas d’acteurs portugais, arabes, chinois. Et pourquoi pas des quotas de races? Ce type de raisonnement est dangereux. Ce que je préférerais, c’est de voir dans la rue des grandes affiches d’Harlem Désir et Fodé Sylla qui sont députés européens. Mais personne ne le sait. Il faudrait davantage d’images de Noirs; autres que rappeurs ou sportifs.
Cela suffirait-il à casser les clichés liés aux acteurs africains ?
Sans doute que non. Mais cela permettrait aux petits Blacks de grandir avec d’autres images, de s’identifier par d’autres biais que le sport ou la musique. L’un des problèmes majeurs aujourd’hui, c’est que nous, acteurs afro-européens, ne sommes soutenus ni par les médias français ni par les médias panafricains. Comment voulez-vous que des réalisateurs français nous emploient s’ils n’entendent jamais parler de nous ? Combien d’articles ont paru sur Hubert Koundé, William Yontnda ou même Isaac de Bankolé, bien qu’il soit à l’affiche du dernier film de Jim Jarmush ? Hélas, très peu… Et je ne parle pas des grandes comédiennes noires telles Djenny Alpha ou Lydia Ewandé, au talent immense, et auxquelles la presse est incapable de rendre hommage. Ce n’est pas normal.
Y a-t-il une anecdote due à votre couleur de peau qui vous a marqué dans votre carrière professionnelle ?
Ce n’est pas vraiment une anecdote mais cela m’a profondément révoltée.  Je n’ai pas été admise à cause de ma couleur de peau au conservatoire national dont j’ai passé le concours dans les années 80. Au deuxième tour de la sélection, j’ai présenté au jury des textes de Senghor et Césaire qui, à l’époque, correspondaient très bien à ma révolte. Le jury m’a donné 19. Mais Jean-Pierre Miquel, alors directeur du conservatoire, a refusé de m’admettre. « Priorité aux Français » a-t-il justifié. Heureusement, un des membres du jury, Pierre Vial, révolté, m’a invitée dans sa classe… J’ai pu y assister, mais en tant qu’étudiante étrangère !
Vous tournez assez peu au cinéma, pourquoi ?
J’ai mis longtemps à comprendre que je faisais peur à l’écran… Les Français sont tellement sûrs d’être supérieurs que lorsqu’ils voient un Noir qui leur est égal, voire supérieur, ils ont peur. Même les gens intelligents. Je déteste le paternalisme dont certains font preuve à notre égard. Dans ce métier, à force d’être utilisé, manipulé, on devient parano. Aujourd’hui, je me méfie énormément.
Croyez-vous à un combat collectif des acteurs noirs en France pour une meilleure reconnaissance ?
Plutôt que de parler de l’intégration : faisons-là. En prenant notre place dans la société. Je crois que le combat doit être individuel avant d’être collectif. Je ne fais partie d’aucune association corporatiste. En France, la communauté des acteurs noirs se connaît. Mais il n’y a pas vraiment de relation entre nous. Je suis au courant du « Collectif Egalité » monté par Calixthe Beyala mais je n’ai pas été contacté. J’en déduis donc qu’ils n’ont pas besoin de moi.

///Article N° : 1322

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