Une démarche proche de la révolte

Entretien d'Olivier Barlet avec Fulgence Niamba

Londres, juillet 1999
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Comment, dans la représentation plastique, ce dont on ne parle pas est forcément présent. Rencontre avec un artiste ivoirien en déplacement.

Comment la problématique de l’esclavage et de la traite réagit-elle en toi et dans ta recherche plasticienne ?
Le déplacement est aujourd’hui voulu mais pas forcément volontaire. Il y a une continuité entre la traite et l’installation en Europe. Je ne peux l’ignorer dans ce qui sort de moi. Bob Marley disait :  » Nul que toi-même ne peut te sortir de l’esclavage « . Il parlait de l’esclavage dans l’esprit, dans la tête. Automatiquement, cela se sent dans le travail. En abordant des thèmes initiatiques ou religieux, nous restons fils d’esclaves : nous ne savons pas qui nous sommes.
Les oeuvres que tu me présentes évoluent d’une recherche abstraite vers une volonté de représentation par les symboles.
Mais la démarche reste la même. Aux Antilles, on sent la recherche d’un retour, parfois inconsciente. J’ai cette même démarche de recherche d’origine. Né en Afrique, je suis influencé par ses couleurs, ses odeurs… Mais il ne s’agit pas d’affirmer une africanité, plutôt d’exprimer quelque chose qu’on ne maîtrise pas. L’art, c’est ce qu’il y a dans le ventre et qui sort sans mentir.
Les thèmes spirituels ou religieux que tu développes correspondent-ils à une affirmation de soi dans un monde qui l’est de moins en moins ?
L’Africain est lié à son fétiche, même s’il n’a rien à exprimer. Ce sont plutôt les religions importées qui l’en ont coupé. Le fait que le monde s’éloigne de ces thèmes n’est qu’une raison de plus de s’y intéresser. Mais c’est surtout parce qu’ils permettent de traiter de soi, de sa condition de Noir. On l’occulte comme on occulte l’esclavage : tout ce qui nous renvoie à notre propre situation. Ces thèmes permettent d’être moins agressif et de davantage positiver. La sagesse africaine implique le respect des dieux, une plus grande conscience et une plus grande chance d’atteindre ses objectifs.
Par quel type de représentation cela passe-t-il ?
Je m’en tiens aux symboles et m’inspire beaucoup des faits de la vie de tous les jours. Cela paraît abstrait mais c’est notre vie communautaire que je recrée en ce qu’elle diffère des normes. Chaque chose a sa place. Jumeaux, formes, animaux s’ancrent dans cette réalité. Le rythme joue aussi son rôle, tant la musique est importante. On m’a dit que ma peinture était agressive, pas assez ronde, mais je crois que tout est dans la façon de représenter. Mon objectif est de retrouver la lumière. C’est mon obsession. Dans cette opposition de blanc et de noir, je la sens venir.
Que cherchais-tu par exemple avec la tortue Niara ?
Je voulais retrouver un effet lumineux sans trop insister sur le contraste, sans grandes zones de noir et blanc. Trouver une légèreté qui s’emboîte. La tortue raconte une histoire, celle de la vie communautaire sous une protection durable. J’aurais aimé travailler les reflets sans l’eau. Je vais peut-être continuer ce thème pour tenter d’infiltrer davantage la lumière… Une lumière qui profite à tous, à toute la communauté. On a tendance par modernisme à trop rejeter les formes de la tradition. C’est pourquoi je reviens à davantage de représentation dans mon travail, pour poser cette question. On ne parle pas de l’esclavage bien qu’il fasse partie de notre histoire. J’étais à New York lorsque Spike Lee faisait Malcolm X et j’ai vu la communauté noire le critiquer de prendre un sujet historique. Parler de l’esclavage implique de s’opposer à l’autre puisque c’était lui l’esclavagiste. On ne peut en parler sans réveiller les susceptibilités. On ne sait jamais la portée qu’aura une œuvre : elle nous échappe. Sans doute est-ce la grande cause de la non-représentation : l’inconnu.
Et cet inconnu serait ainsi de se révéler la réalité de la culture noire aujourd’hui ?
Oui, et il est difficile de la prendre à bras le corps. Il faut s’accepter et assumer le contre-coup ! L’artiste africain n’est rien d’autre qu’un Africain ! Il faudrait le reconnaître.
La représentation pourrait dès lors être liée à un travail de deuil ?
Ce travail se fait déjà et la question est davantage de savoir si l’on est préparé à accepter cette représentation. Pour l’artiste, à partir du moment où il ne s’agit pas de se contenter de prendre l’autre comme sujet mais où c’est sur soi-même qu’on se centre, elle comporte un risque et on ne sait pas qui sera son ennemi demain – et c’est souvent en Afrique qu’il se situe. Il est grand temps de s’asseoir et d’en parler ouvertement. Avec le risque de tomber dans le débat que l’on a avec les Antillais, de savoir s’ils ont été achetés (par les négriers) ou s’ils ont été vendus (par les Africains).
On a l’impression que tu cherches à exprimer un certain inconnu en toi ?
Oui, le problème reste de comprendre… Ce n’est pas simple. C’est une démarche proche de la révolte au sens où je cherche à revenir à une représentation plus authentique pour moi-même. Cela revient à dire la même chose de différentes manières, mais toujours le même sens, la même source… Cela n’est possible que lorsque ça t’appartient. Le problème n’est pas de plaire mais de dire et redire ce qui est important pour soi. Aligner des formes artistiques reste sans intérêt, si c’est le bluff que les gens attendent. Picasso disait que moins les gens comprennent, mieux on se porte ! Mais son travail n’avait rien d’artificiel ! C’est là qu’est la force.

Fulgence Niamba
Né en 1956 à Divo (Côte d’Ivoire), Fulgence Niamba est diplômé des Beaux Arts d’Abidjan et de Paris, et titulaire d’une licence d’arts plastiques de l’université Paris VIII. Après avoir été professeur et chef de département à l’Ecole des Beaux Arts d’Abidjan, et malgré l’avenir doré que lui ouvrait sa carrière professionnelle, pour élargir sa perspective artistique, il se consacre à la peinture et la gravure à Paris. Il vit actuellement à Londres.///Article N° : 943

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