Une enfant de Poto-Poto

De Henri Lopès

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Avec ce nouveau roman, Henri Lopès poursuit sa plongée profonde, exigeante, aimante et critique dans l’Afrique, les Afriques. Minutieux, précis, ouvert, large et généreux, Une enfant de Poto-Poto, est écrit comme un long fleuve qui inonde des terres au verbe enjoué et procréateur, charriant des souvenirs intimes et brûlants, revenant sur des événements historiques, effervescents et retors, remuant désirs et contrariétés, rapportant mots en langues locales, comparant expressions et usages en français, livrant intrigues et conquêtes amoureuses, traversant pays et paysages. Mais tout part du Congo et y ramène. Un va-et-vient sillonnant une écriture limpide, sans fioritures ni opacités langagières. L’ambassadeur qui parle pour son pays est aussi pédagogue, sans lourdeurs sibyllines ni clairons fanfarons ou revanchards.

Ce beau roman est un vrai chant au pays natal, où la nostalgie berce les pages comme une fraîcheur australe, où chaque angle de rue, où chaque place, chaque arbre, porte sa mémoire remplie de la rumeur de l’Histoire, de ses musiques, de ses rythmes et de ses coups de fusil, aussi. Et si le Congo habite Henri Lopès, pour reprendre Tchicaya U Tam Si, auquel il se réfère, le roman habite aussi Paris, la France, les États-Unis où la culture noire s’entremêle aux cultures européenne et américaine, s’en inspire et la féconde. Le métissage, cher à Henri Lopès, n’est pas ici un concept gratuit ou une mode passagère mais une condition humaine et culturelle qui ne se fait pas sans douleur ni blessure, car c’est à ce prix que se construit la civilisation humaine, de même, la quête de l’identité individuelle ou collective, enrichie et enrichissante. Du 15 août 1960, la veille de l’indépendance du Congo jusqu’à nos jours, le roman brosse le tableau d’un demi siècle de la vie d’un peuple, en pays bantou, laboure, sème, fait germer des graines, et récolte de belles gerbes où se dessinent des portraits et des personnages, où un hommage tendre et complice est rendu aux femmes, Kimia et Pélagie, amies et rivales, jalouses et ambitieuses, émancipées et conquérantes, intellectuelles et critiques, partagées entre l’attachement aux racines et l’envolée vers des horizons libérés de la pesanteur sociale ou familiale. Toutes deux aiment le même homme, Franceschini, leur ancien professeur de lycée, esprit rebelle, anti-colonialiste, blanc et noir, maître à penser et à aimer.
Ce trio qui se fait et se défait dans une peinture romanesque réaliste, compose, décompose et recompose le bilan d’une vie en Afrique, hors d’Afrique, où se tissent des rayons de lumière comme une berceuse mélancolique, où les êtres aiment et partagent, sans grande tragédie, se révoltent mais refusent de tout casser autour, empruntent à la culture ancestrale sa solidarité familiale et tribale, où si le collectif impose sa loi, il n’en est pas moins protecteur. Entrent en jeu ruses, cachotteries, petits mensonges, curiosités, intrigues, façades trompeuses afin que se réalise la maison individu. Il ne s’agit pas, pourtant, d’anthropologie mais d’écriture romanesque où Henri Lopès arrive à donner une ampleur et une dimension psychologiques consistantes à ses personnages qu’on voit évoluer dans leurs désirs, leurs luttes, leurs projets. Le projet africain ici est une utopie entravée par l’échec d’idéologies et de visions politiques désastreuses mais l’individu arrive à se sauver d’affaire, malgré tous les obstacles et les travers. Leçon d’Histoire et d’espérance, Une Enfant de PotoPoto, est loin du pessimisme ambiant concernant le continent, il est convaincu de l’exploit de certains, qui, malgré un héritage colonial lourd, ont réussi à bâtir leur destin, à tracer des chemins à suivre. La situation post-coloniale n’est pas une fatalité, semble nous dire l’auteur. Sans colère ni dérobade devant la responsabilité, ce roman se lit comme un acte de foi et une chanson d’amour. Il nous témoigne du pouvoir de la littérature. Quand on ferme le livre, nous avons en tête les paroles de Kimia, Pélagie et Franceschini, leurs rêves, leurs sentiments complexes, leurs parcours, leurs réalisations, leurs succès et échecs, en somme, leurs vies extraordinaires et ordinaires. En toile de fond, nous pourrions entendre Henri Lopès dire avec douceur et sagesse : « Un enfant de Poto-Poto, c’est moi ! »

Henri Lopès, Une enfant de Poto-Poto, roman, Coll. Continents noirs, Éd. Gallimard, 2912, 265 p., 17,50 €///Article N° : 10622

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