Une histoire de la photographie au Congo-Brazzaville

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L’ambition de ces pages est double, d’abord de retracer une esquisse de l’histoire de la photographie congolaise de ses origines à nos jours, d’évoquer ses spécificités pour mieux la situer dans un contexte mondial ; ensuite de promouvoir les noms et les travaux de nos « doyens », qui aujourd’hui, non syndiqués, manquant de structures appropriées, vivent dans le dénuement le plus complet et abandonnent le métier auquel ils ont consacré toute leur vie. Ainsi, notre doyen André Koubemba, alias Photo-Déckoum, a rendu l’âme dans un état voisin de la misère et l’ignorance totale des Congolais, sans abus de langage.

Intégrer la photographie congolaise dans le concert des arts contemporains internationaux est la seule et l’unique préoccupation qui a motivé ma volonté d’écrire ce fragment de texte qui se veut avant tout un appel pour la création d’une « Maison congolaise de la photographie », comme c’est déjà le cas au Mali et bientôt en Tunisie. En attendant la création de cette Maison, le collectif Génération Elili qui reste la seule référence pour l’art photographique à Brazzaville, doit investir les différents lieux qui semblent à première vue ne pas être favorables à des expositions photographiques : églises, places publiques, marchés, magasins, quartiers, écoles, centres de formation… En un mot, sortir la photographie de son « studio photo » et aller à la rencontre de la population dans son milieu de vie quotidien. Ce n’est que de cette façon qu’on accompagnera le public pour qu’il donne son avis lors des expositions et s’approprie cette fameuse « culture de l’image » qui fait tant défaut.
Aborder l’histoire de la photographie du Congo-Brazzaville, c’est d’abord scruter les événements qui ont eu cours dans ce pays, afin de déterminer les circonstances historiques qui ont conduit à l’émergence de la photographie. Le Congo, comme tous les pays colonisés, a découvert l’outil photographique par l’entremise de ceux (militaires, administrateurs, colons, religieux) qui en ont fait usage, à divers titres, pour servir la colonisation mise en place à la fin du XIXe siècle par les principales puissances européennes. Ainsi, l’histoire de la photographie congolaise se confond-elle avec l’histoire politique du pays. Et le terme « photographie congolaise » regroupe ici à la fois des productions photographiques européennes, de la période coloniale et celles, successives, congolaises.
La pratique de la photographie au Congo pendant la période coloniale
À la fin du XIXe siècle, au Congo, l’activité photographique était exercée par des étrangers, principalement des Européens – seul le « Blanc » savait manier l’appareil photographique -, tant et si bien que l’usage et la possession de l’appareil photographique étaient ignorés des Congolais et ce, jusqu’à la fin de la première moitié du vingtième siècle.
Entre 1940 et la fin 1950, les photographes européens présents et actifs au Congo s’appelaient Vialle, Visser, Gevaert, Herrian, Carmet et Charlejan. Et parmi les religieux européens qui se sont illustrés comme photographes au Congo, nous pouvons citer, parmi tant d’autres, Monseigneurs Augouard (1) et Guichard.
Si l’on en juge par les recommandations transmises par le ministre des Colonies au Gouverneur général en 1934, cette pratique n’était pourtant pas jugée « innocente » : « Il faut exercer une stricte vigilance sur les Européens disposant de matériel photographique, errant dans les coins éloignés de la colonie qui risqueraient de photographier des scènes susceptibles de soulever des questions sur la « mission civilisatrice » de la France. » (2) Par ailleurs, pour des raisons politiques, les autorités coloniales avaient instauré la justice indigène pour mieux châtier les contrevenants aux règles coloniales : « Un flot constant de décrets publiés au journal officiel démontre les efforts constants des autorités pour contrôler la vie des Africains à Poto-Poto et Bacongo » (3).
En dehors des Français venus soutenir la « mission civilisatrice », d’autres nationalités étaient également présentes en territoire congolais à cette époque. Ainsi, en 1919, le futur militant anticolonialiste André Grenard Matsoua, encore appelé « Matricule 22 », fut photographié à Brazzaville par un couple de Portugais nommé Mena Vieira et Coelho Wilson, qui à l’époque réalisaient leurs clichés sur des plaques de verres (4).

Le Congo, pour des raisons historiques, a été très lié à la métropole : Brazzaville, capitale de l’Afrique équatoriale française (AEF) depuis 1910, devint la capitale de la France libre dès octobre 1940. C’est dans ce contexte que Robert Carmet (5), photographe, s’engagea à 17 ans dans la France Libre, en réponse à l’Appel du général de Gaulle. Plus tard, en 1944, il sera détaché de l’Armée de l’air auprès du Gouvernement général de l’AEF. C’est dans l’accomplissement de son office qu’il arrive au Congo, précisément à Brazzaville. En dix ans de présence au Congo, il va dédier son temps à la pratique de la photographie et se lier d’amitié avec un Congolais, Anselme Nganga, né en 1925, à qui il enseignera l’art du cliché. Anselme Nganga va s’initier à la photographie avec un appareil Kodak donné par « Monsieur Robert », comme il aimait à l’appeler affectueusement. « Nous étions trois jeunes apprentis chez Monsieur Robert : un Zaïrois (6), M. Bayidikila Albert, un Centrafricain, M. Mamélébi Jean-Pierre, et moi. Mis à part M. Robert, j’ai bénéficié de l’attention « photographique » de M. Toukas (7) ». Le jeune Anselme Nganga, dit Photo-Lewis (Lewis est le prénom de son fils aîné, Lewis Mahoungou, lui aussi photographe), transmettra ses connaissances à de nombreux photographes, parmi lesquels Pierre Locko, dit Pilo-Photo, décédé il y a quelques années, considéré comme le premier photographe à avoir installé un studio photographique à Brazzaville, notamment à Makélékélé. Pierre Locko, devenu grand commerçant (8) dans les années 1980, a ouvert ses portes à de nombreux photographes des années 1960, entre autres à André Koubemba (Photo-Déckoum).
Ainsi, jusqu’à ce jour, la majorité des photographes ou presque ayant exercé à l’époque de l’indépendance du Congo reconnaissent Anselme Nganga (Photo-Lewis) comme le précurseur de cette activité au Congo. La première exposition photographique d’Anselme Nganga a eu lieu vers 1956 à Brazzaville, place de la grande poste, sous le haut patronage de l’Abbé Fulbert Youlou, alors maire de la ville de Brazzaville.
Il fut d’ailleurs décoré d’une médaille d’argent par ce dernier. C’est auprès d’un autre photographe français, installé à Brazzaville dans les années 1950, Charles Bocquet, dit Charlejan (9), que Georges Kouatila, autre doyen de renom, a appris le métier.
L’indépendance et l’appropriation de l’outil photographique par les Congolais
Le 15 août 1960, le Congo français devient indépendant. Le premier maire de Brazzaville, l’abbé Fulbert Youlou, président du parti de l’Union démocratique de la défense des intérêts africains (UDDIA), devient président de la république du Congo, il sera destitué en 1963 par un régime socialiste révolutionnaire mis en place par Massamba-Débat, qui devient le nouveau président du pays. Ce dernier crée une milice autoritaire appelée la JMNR (Jeunesse du mouvement national de la révolution) qui sera un grand handicap pour les jeunes photographes de cette période. Ils ne pourront exercer librement leur rôle de témoins par des reportages sociaux et seront contraints de consigner la « joie du peuple » dans leurs images.
En 1968, le capitaine Marien Ngouabi prend en main la destinée du pays et devient le troisième président de la République populaire du Congo, tout en instaurant le marxisme-léninisme orthodoxe. C’est la naissance du Parti congolais du Travail (PCT), les libertés sont sous contrôle, et le photographe de se mettre au service de l’État, laissant ainsi le champ libre aux photographes étrangers, correspondants ou envoyés spéciaux de grands magazines occidentaux. Le régime politique se préoccupe davantage de sensibiliser les jeunes regroupés dans des associations et des syndicats aux idéologies politiques qu’à l’art photographique. Les rares photoreporters de l’époque ont vite fait d’intégrer des cabinets ministériels ou présidentiels comme attachés de presse. Ce comportement n’est pas de nature à libérer les énergies créatrices, bien au contraire, et ce jusqu’à la fin des années 1970.
Toutefois, fait notable, six ans après l’indépendance, le photographe Georges Kouatila, cité précédemment, est sélectionné pour représenter le Congo dans la section « arts visuels », catégorie « photographie », au premier Festival mondial des arts nègres à Dakar qui a lieu du 1er au 24 avril 1966. Intervenant aux côtés de grands artistes et intellectuels à l’instar d’André Malraux, Aimé Césaire, Duke Ellington, Langston Hughes et bien d’autres, le photographe présente une série de portraits et d’autres photographies qui renvoient à la culture congolaise.
En 1960, les Congolais, pour s’affirmer dans leur nouvelle identité de citoyens d’une nation indépendante, se font photographier dans les studios dans des tenues très élégantes : c’est une manière de répondre à l’idéologie du colonisateur qui avait affirmé dans ses écrits que le Noir était « sauvage ». D’après le photographe Kinzénguélé, qui nous replonge dans le souvenir de cette époque, les mots familiers des photographes étaient : « Posez ! Souriez ! Ne bougez pas ! Des mots particuliers, simples mais magiques, quand ils sont prononcés par un photographe dans l’atmosphère conviviale du studio ou devant un appareil prêt à capter des images en plein air » (10).
Honorer la vie par l’élégance de sa toilette était et demeure un souci pour le Congolais. Le mouvement de la sapologie s’inscrit dans cette perspective. Nombreux sont les Congolais à cette époque qui défilent dans les studios pour se faire photographier, soit en famille, soit en compagnie d’un(e) ami(e). Ils souhaitent ainsi garder une trace de ces instants et deviennent ainsi les fidèles clients de studios toujours plus populaires.

Cette époque est aussi celle des exploits sportifs : le Congo sort vainqueur de la Coupe d’Afrique des Nations à Yaoundé en 1972. C’est Photo-Makabus qui photographiera les temps forts de la finale. Makabus a appris la photographie auprès de Déckoum, lui-même ayant appris auprès de Pilo, lequel a appris auprès d’Anselme Nganga : une chaîne « photographique » s’est ainsi constituée.

Cette histoire de la photographie du Congo est marquée aussi par ce qu’on appelle la période de « Samedi na Brazza » : vers les années 1970 émerge un flot de bars dancings appelés couramment ngandas, où l’on retrouve nombre de photographes à l’affût de clients, d’autant plus que la photographie et l’animation font bon ménage. Simon Kinioumba (Photo-Simarrot), Georges Kouatila (Photo-Théogeor jour et nuit) André Ngouami (Photo-Déposé), Pierre Ngouala (Photo-Pierrot), Makaba (Photo-Makabus), Alphonse Kina (11), Niamba, André Koubemba (Photo-Déckoum), Thomas Nkadi, Marcus-Photo, Kouampelé, Bibimbou-Photo, Léon Serge Moussala (Photo-Mossa), Photo-Maurel, Jacques Taty et tant d’autres, sont les photographes les plus populaires de la décennie 1970. Le nganda le plus célèbre est « Chez Faignond », situé à Poto-Poto, dans le quatrième arrondissement de Brazzaville, un grand bar où les artistes musiciens les plus réputés ont chanté leur répertoire. C’est le cas de Franklin Boukaka et de l’orchestre Les Bantous de la Capitale. « Macedo », « Baba Boum », « Bankaites », « Les Cataractes » ou « Le Balcon Bleu » étaient des bars dancings où « toutes les ethnies et toutes les générations se côtoyaient autrefois dans l’amour, la solidarité, l’entraide, le secours mutuel, particulièrement lors des mariages, naissances, baptêmes ou décès » (12). En dehors de la photographie festive, la grande majorité des photographies étaient réalisées pour les cartes d’identité. Quel était le quotidien des photographes alors ?
En 1972, Jacques Taty, alors âgé de 16 ans, fait son apprentissage photographique auprès du photographe Sakumuna qui tenait un studio sur l’avenue des Trois-Martyrs au quartier Plateau de 15 ans. « M. Sakumuna m’a appris la photographie en 1972. Un maître formidable. Mais aussi M. Mabondzo Jacques, mon oncle, en service au studio Photo-Pilo en qualité de laborantin, m’a appris quelques subtilités, surtout au niveau de la chambre noire. Nous utilisions des pellicules Agfa, Kodak, Fuji, des films de douze poses et lorsque nous étions en rupture des produits tels que papier, révélateur et fixateur, nous nous approvisionnions en ville auprès d’un photographe ouest-africain appelé Dolo-Photo », se souvient-il avec précision (13).
La photographie congolaise de 1980 à 2005
Au début des années 1980, on assiste à un tournant dans l’histoire de la photographie congolaise. Un Congolais, Florent Sabin Malanda, dit Clidi-Photo (14), gagne le premier prix d’un jeu-concours organisé par Direct Film, une société française de l’image, sur plus de 75 000 candidats de plusieurs pays. Clidi-Photo, photographe autodidacte, va bénéficier d’un séjour à Paris aux frais de cette société dont il deviendra le représentant à son retour à Brazzaville. Cette reconnaissance internationale est remarquée au Congo, où la photographie n’était pas encore à l’époque considérée comme une discipline artistique, ce qui explique à mon sens le manque d’attention des décideurs politiques. Seuls étaient considérés comme arts, la musique, la peinture (avec l’école de peinture de Poto-Poto) et le sport, d’autant plus qu’il n’existait à l’époque, à Brazzaville, aucune école d’enseignement de la photographie et que les bibliothèques manquaient cruellement d’ouvrages sur cette discipline.
Les quelques rares photographes qui ont émergé dans ce contexte difficile dans des arrondissements aussi divers que Bacongo, Moungali, Poto-Poto, Ouenzé, Mfilou, Talangaï, Makélékélé… ont pour noms Nkouka Magloire, Édouard Bintsamou, Kina Photo, Obayoum au CHU de Brazzaville, Jacques Taty, Lewis-Photo, Babel-Photo, Pellosh-Photo et Yelenguéngué à Pointe-Noire, Photo Secko Djo Baclair, Photo-Kinouani, alias Photo-Cardinal, Serge Aron, Photo-Déposé, Photo-Mossa, Jérémie Mboumba, dit Photo-Jérémie, Christian Mboussou, Joël Ngamoukabi, Josephat Mikoungi Bondo, Photo-Nick et bien d’autres encore. Ils seront de grands formateurs et inspireront les jeunes générations, car ils restent des portraitistes talentueux qui réalisaient eux-mêmes leurs tirages. D’amateurs, ils vont progressivement s’affirmer comme de véritables professionnels. Magloire Nkouka conforte cette approche : « Mes amis Massamba Hippolyte, Bahamboula Jean-Claude et moi avions été formés par Déckoum-Photo au début des années 1980, juste après notre doyen M. Makabus, lui, formé au début des années 1970. Auprès de Déckoum, nous recevions une formation digne d’être appelée professionnelle et qui n’a pas son pareil actuellement » (15).

L’année 1980 est aussi celle de la fondation de l’association des photographes de Moungali (APM) qui compte parmi ses membres Déckoum, Kina, Édouard Bintsamou et bien d’autres. Depuis, l’APM a été remplacée par l’association des photographes congolais (APHCO) qui fonctionne tant bien que mal, malgré les préoccupations toujours grandissantes. Sous la présidence de Tail Photo, elle compte aujourd’hui parmi ses membres actifs les photographes Malanda, dit Clidi-Photo et Euloge Samba, par ailleurs membre de la Génération Elili. Les photographes de l’APHCO sont de vrais artisans qui forment aussi de jeunes apprentis à ce noble métier. En grande majorité, tous ceux qui font partie de l’APHCO vivent essentiellement de leurs prestations : ils réalisent le plus souvent des reportages de mariages, de baptêmes, des cartes d’identité et des fêtes d’anniversaire. Ils sont plus d’une cinquantaine. La préoccupation artistique n’est pas absente, même si elle est reléguée au second plan.
La grande majorité des photographes congolais continue encore aujourd’hui à réaliser des reportages de mariages, d’anniversaires ou dans les bars. Ceux qui pratiquent la photographie de presse ou d’art représentent la portion congrue pour la simple et bonne raison que la culture de l’image n’est pas, sinon très peu, développée au Congo. Kinzénguélé partage cette approche : « Rares sont ceux qui font des photos de scène. Les artistes plasticiens ont du mal à faire photographier leurs œuvres pour se présenter à un concours. (…) Le manque de culture de l’image traduit la non-motivation des photographes », d’autant plus que « la photographie de presse est achetée au prix de 500 FCFA » (16).
Et la photographie est si peu considérée que nombreux sont les Congolais qui se feront photographier par plaisir, mais seront incapables de venir retirer leurs portraits, justement par manque de « culture de l’image » et non de moyens, comme on serait tenté de le croire. Cette réalité donne lieu à une pratique courante : ceux qui ne viennent pas retirer leurs tirages auprès de l’artisan photographe, voient leurs portraits exposés sur un panneau prévu à cet effet. Cette pratique « amusante » existe jusqu’à ce jour et chaque photographe de studio expose dans son studio une plaque en contreplaqué où sont épinglées « les photos des incapables ».
La photographie congolaise de 2005 à nos jours
En 2005, la photographie congolaise trouve un nouveau tremplin avec la Génération Elili, une association d’artistes photographes, née de la volonté de mettre en commun les connaissances et les talents, afin de faire émerger la photographie qui, au Congo, reste méconnue, mais pas inconnue ! Le collectif Génération Elili est l’œuvre au départ de cinq photographes ayant bénéficié d’une série de stages organisés par le Programme de soutien aux arts plastiques (PSAP) financé par l’Union européenne, en collaboration avec les Centres culturels français de Brazzaville et de Pointe-Noire, l’association Nouvel Art et le soutien actif du photographe français David Damoison. À présent, le collectif Génération Elili s’est étendu à l’ensemble du Congo et compte une vingtaine de membres, sans oublier les sept membres qui sont à l’étranger et assurent la promotion de ce club à l’extérieur. « Le collectif Génération Elili a pour but de contribuer à la valorisation des arts visuels, à l’étude et au perfectionnement de la photographie dans toutes ses manifestations et applications artistiques, scientifiques et pratiques. Il poursuit ces buts par des réunions, conférences, promenades, travail en commun, expositions, etc. », affirme Kinzénguélé, l’un des cofondateurs.
Aujourd’hui, le collectif Elili est devenu le porte-étendard de la photographie congolaise au-delà du Congo, tant et si bien que les jeunes de cette association pratiquent la photographie plasticienne et exposent leurs œuvres un peu partout au pays et à l’étranger, à l’occasion de festivals, forums, résidences, etc. Tel est le cas de Richard Goma, âgé d’une trentaine d’années, qui se définit comme photographe plasticien et dont les travaux photographiques consacrés à l’eau et aux indépendances sont d’une facture rare. L’actuel coordonnateur de ce collectif, Baudouin Mouanda, reconnu pour un travail récent sur « la sapologie », travaille beaucoup sur des thématiques sociales et culturelles, ainsi que le révèle son travail photographique intitulé Les Séquelles de la guerre, une sorte d’évocation et de catharsis suite aux guerres de 1993, 1997 et 1998. Depuis un stage de perfectionnement en photojournalisme au Centre de formation et de perfectionnement des journalistes (CFPJ) à Paris, il collabore avec de nombreux magazines, entre autres Jeune Afrique et Planète Jeunes. François Ndolo, quant à lui, nous fait voyager dans son travail Les Congolais au bord de la mer, où l’eau devient prétexte de création. André Désiré Loutsono, dit Kinzénguélé, a commencé à faire de la photographie à la fin des années 1970. Il explore dans son travail des problèmes socioculturels et environnementaux. Son travail sur la fabrication du manioc est une complainte photographique que lui a inspirée son village natal, où il fait découvrir les ravages de la guerre de 1997. Il prépare actuellement une exposition photographique sur les grandes figures intellectuelles et artistiques du Congo-Brazzaville. à la question de savoir comment il est devenu photographe, il nous répond : « Ce n’est pas par hasard, j’étais très attaché à mes oncles qui exerçaient ce métier. Je passais tout mon temps à tourner l’objectif des appareils, pour regarder les objets à travers le viseur. C’est aussi mon frère, qui m’avait offert un appareil photo compact 126, qui m’a lancé dans ce domaine et j’ai eu envie de capter des images dès l’école et jusqu’à nos jours… » (17) David Ndoungani, alias Daouda, lui, « porte haut » la couleur au Congo à travers une série sur la sape, l’art de Binkuti (en kongo), où il met en scène les plus grands consommateurs de vêtements de marques, en interrogeant la relation de l’homme à son environnement.

Cette thématique est la même que celle explorée par Baudouin Mouanda, mais sous un autre angle. Armel Louzala travaille, entre autres, sur les restaurants de fortune au Congo-Brazzaville. Manou de Mahoungou Kelly, lui, s’inspire aussi des gargotes tenues le plus souvent par les étrangers vivant au Congo où les Maliens et les Sénégalais sont nombreux à vendre la viande en morceaux, appelée en kongo « coupé-coupé ». Arnaud Makalou, directeur artistique du club, réalise beaucoup de reportages sur le chemin de fer Congo-océan, une ligne de 512 km. Émilie Wattellier, comme Eugène Atget en France, sillonne les quartiers populaires du Congo avec un trépied, en captant Brazzaville la nuit. Euloge Samba, un intellectuel congolais qui pratique la photographie depuis son jeune âge, prépare un travail photographique sur les quatre éléments naturels : l’eau, l’air, le feu et la terre. Francis Kodia fait un travail de reportage sur les bateaux et pirogues qui vont du Congo à la Centrafrique. Bakoua Romaric, instituteur de métier, travaille sur les écoliers. Bodard Bassouamina élargit actuellement son reportage sur les handicapés physiques au Congo-Brazzaville qui, le plus souvent, exercent la cordonnerie. C’est également le sujet sur lequel travaille Anselme Bassinika, l’un des doyens du collectif. Bourges Naboutawo, lui, pose son regard photographique sur les cinémas et la jeunesse au Congo. Anne Delemotte travaille sur une série autour de l' »attraction-répulsion des communautés chrétiennes, et par là, une fascination pour l’impalpable sacré d’une relation spirituelle individuelle ; la transformation du corps et de l’esprit ; le spectacle ; la manipulation » (18). Bridel Nzoungani poursuit sa série Faits et effets de la guerre au Congo-Brazzaville. Serge Yvon Bienvenu Makosso (19) est photographe animalier et travaille très peu sur son pays.
Il se définit comme un photographe humanitaire, si bien que son travail l’amène à parcourir différents pays du monde. Mbiou Ngatsélé travaille beaucoup sur les chégués ou enfants de la rue au Congo. Ulrich-Rodney Mahoungou (20), petit-fils d’Anselme Nganga, prépare l’édition de son premier livre de photographies sur la guerre civile de 1997 au Congo, travail remarquable qu’il a présenté à la biennale de Bamako en 2009. Quant à moi, je réalise des reportages sociaux et consacre la majeure partie de mon temps à la photographie plasticienne que je découvre avec enthousiasme à l’école des beaux-arts de Rennes et à l’université de Rennes 2 où je prépare un master en Arts plastiques.
La photographie congolaise des années 1960 à 2000 est essentiellement axée sur le portrait, ce qui différencie les praticiens congolais de leurs confrères d’Europe et d’Amérique qui, eux, ont constitué des fonds d’archives importants en photographiant autant les monuments que les paysages urbains et naturels. Aujourd’hui, la photographie congolaise est représentée par les jeunes générations qui en nombre se sont, elles aussi, orientées vers la photographie événementielle : mariages, baptêmes… La plupart est issue du monde étudiant, et bien qu’ils soient plus souvent poussés par le besoin que par une véritable passion, ils font de bons reportages (21). Les anciens photographes qu’on appelle souvent les « doyens » ont quant à eux changé de métier. Les rares qui persistent, comme Makabus, Kina, Jacques Taty et bien d’autres, font face à la concurrence des jeunes qui s’avère rude. Suite aux guerres civiles dans les années 1990, plusieurs photographes ont perdu le fruit de nombreuses années de travail. C’est le cas de Lewis-Photo qui à ce jour n’a plus ses négatifs du vieux temps : il ressent un grand désarroi quand il regarde les images de son confrère Malick Sidibé qui s’est construit une reconnaissance mondiale grâce à ses travaux anciens. La jeune photographie congolaise, incarnée par la Génération Elili, ne fait pas que dénoncer les injustices sociales, les inégalités, la misère et les dégradations écologiques, elle englobe aussi une pratique plus large de la photographie qui va du reportage à la photographie plasticienne.
De nos jours, la question de la formation est cruciale quand on parle de la photographie au Congo, car par manque de formation adéquate dans les arts visuels, nombreux sont les jeunes qui s’enfoncent dans l’amateurisme, en dépit de leur reconnaissance au-delà des frontières congolaises. La plupart des photographes congolais travaille encore à la manière traditionnelle et la majorité ne sait pas utiliser Photoshop ou d’autres logiciels similaires pour traiter leurs images ; ils manquent également d’expérience et de formation pour développer et tirer leurs photographies argentiques. Ainsi, les photographes congolais ont à relever d’énormes défis pour être aussi bien outillés que leurs confrères exerçant dans d’autres pays, le plus souvent au Nord.

1- Lire la biographie de Mgr Augouard [ici]

2- Archives nationales de Brazzaville, dossier GG675, ministre des Colonies au Gouverneur général, mars 1934. Cité par Phyllis Martin, Les loisirs et la société à Brazzaville pendant l’ère coloniale, Paris, Karthala, 2005, p. 122.

3- Ibidem, p. 120. Poto-Poto et Bacongo sont deux vieux quartiers « indigènes » de Brazzaville.

4- D’après un entretien avec Anselme Nganga.

5- Pour avoir un aperçu plus détaillé de la biographie et du travail de Robert Carmel, voir le site [ici].

6- Un ressortissant de la République démocratique du Congo actuelle.

7- D’après Anselme Nganga, M. Toukas était journaliste reporter à Courrier d’Afrique.

8- II était propriétaire d’un grand hôtel et d’un studio d’enregistrement de musique à Brazzaville.
Lire l’article sur le projet Taxi-Photo : [ici].

9- Voir la revue Liaison, numéros 51 à 58. À noter que Robert Carmel et Charlejan se connaissaient bien et qu’en décembre 1956, Charlejan, à peine âgé de 28 ans, trouve la mort par noyade dans les rapides du fleuve Congo.

10- André Désiré Loutsono Kinzénguélé, La photographie, contre les troubles de l’Histoire (01/03/2002), Africultures : [article 2109].
Figure de proue de la photographie congolaise, Kinzénguélé est, entre autres, cofondateur du collectif Génération Elili. Lire sa biographie [ici].

11- Photographe présidentiel sous le mandat de Pascal Lissouba.

12- Jean-Luc Aka-Evy, « Formes et expressions culturelles du Congo », paru dans le supplément littéraire des Dépêches de Brazzaville, n° 4 du vendredi 29 mai 2009.

13- Entretien avec l’auteur.

14- Lire l’article [ici].

15- Entretien avec l’auteur.

16- D’après André Désiré Loutsono Kinzénguélé, Africultures, 2002. 500 FCFA équivalent à 0,80 €.

17- Entretien avec l’auteur.

18- Extrait du blog d’Anne Delemotte, 20 février 2009.

19- Lire l’entretien [ici].

20- Voir sa biographie [ici].

21- On est en droit de se demander si l’État ne devrait pas tenter de canaliser ces énergies, en accordant des aides à la création, des bourses d’études, des subventions pour les projets mûris.///Article N° : 10833

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