Yvette Tai-Coquillay est la fondatrice du Labo Ethnik. L’événement est devenu l’un des passages obligés pour les jeunes créateurs, notamment afro-caribéens. Elle a répondu à nos questions sur l’édition 2014, la huitième du genre, qui se tient à Paris du 22 au 25 mai.
Quel est le principe du Labo Ethnik ?
Yvette Tai-Coquillay : Comme son nom l’indique, c’est un laboratoire de créativité. On peut y repérer ceux qui feront la mode de demain.
Pourquoi l’avoir créé ?
Cela partait d’un besoin, d’un manque. Je m’étais rendue compte que les jeunes créateurs en général manquaient de soutien, étaient marginalisés. Ce constat part de mon vécu, des expériences que j’ai faites dans ce milieu. Et puis, on ne parlait pas de mode « afro » quand j’ai débuté. Et j’en étais étonnée, moi, vivant dans la capitale de la mode. L’idée n’était pas de créer un mouvement ethnique, mais de repérer de jeunes créateurs talentueux du monde entier et de leur permettre de se faire connaître.
Pourquoi lui avoir donné le nom de « ethnique » ? Et qu’est-ce que la mode « afro » pour vous ?
Je suis d’origine congolaise, il y a une incroyable vitalité sur le continent. Il est vrai que 60 % des créateurs de notre événement sont africains. Mais attention à ne pas faire d’amalgame ! Notre manifestation n’est pas dédiée exclusivement aux Afro-caribéens ! Il accueille des créateurs, africains certes, mais aussi chinois, français etc. C’est un laboratoire de recherche des tendances du monde, un salon ouvert à toutes les ethnies. Pareil pour ses visiteurs, qui viennent de tous les horizons. Le Labo Ethnik est métissé et ouvert à tous. On ne prend pas partie pour un pays ou un continent, mais pour la créativité, peu importe où elle s’exprime. Ce n’est pas la mode « ethnique » que je mets en avant, il n’y a qu’une seule mode universelle tout comme il n’y a pas de mode afro à proprement parler, mais un style afro. Je n’en connais pas l’origine ; mais le continent avec son histoire faite de métissages y est pour beaucoup.
Si 60 % des créateurs sont africains, de quels pays viennent-ils ? Quels sont les grands apports de cette génération issue du continent dans le domaine de la mode ?
Ils sont du Nigéria, du Ghana, d’Afrique du Sud, du Sénégal, du Cameroun, de la République démocratique du Congo
D’un peu partout en fait. Ces créateurs osent sortir des traditions ancestrales et innovent pour faire une mode actuelle, urbaine, décalée, oxygénante, colorée et innovante !
La huitième édition se tient désormais à la Cité de la mode et du design. Pouvez-vous expliquer ce choix ?
Jusqu’à l’année dernière, le Labo Ethnik avait lieu à l’Espace des Blancs-Manteaux. C’était parfait pour un marché éphémère. Mais la Cité de la mode est un lieu dédié à la mode, où l’on se devait d’être, comme tous les autres salons qui sont sur notre créneau, à l’image de Capsule (salon international fédérant des créateurs indépendants, ndrl).
Comment êtes-vous entré dans ce milieu de la mode ?
J’aime la mode. Je suis en France depuis une trentaine d’années. J’ai travaillé pendant douze ans dans le tourisme, ce qui m’a permis de beaucoup voyager. J’aurais voulu être styliste mais les écoles pour me former à ce métier étaient trop chères. J’ai pu rencontrer des créateurs, assister à de nombreux défilés aux quatre coins du monde, comme le FIMA (le Festival international de la mode africaine se tenant annuellement au Niger, ndlr). Cela m’a donné envie de sauter le pas.
Pour choisir les exposants, comment procédez-vous ?
Je ne suis évidemment pas seule. Si je bouge partout dans le monde au gré des invitations, j’ai aussi beaucoup de choses à faire à Paris, une vie de famille (Yvette Tai-Coquillay est mariée et a un enfant, ndlr). J’ai la chance d’avoir des correspondants dans de nombreux pays du monde. Ils m’envoient des photos, me tiennent au courant des tendances, des nouvelles marques. Notre fichier compte plus de 10 000 créateurs ! J’ai formé un comité de sélection, dont fait partie entre autres Vincent Mc Doom.
Pourquoi lui ?
Vincent était invité depuis trois ans au Labo Ethnik. C’est quelqu’un qui a une vraie expertise dans la mode.
Quel est son rôle exactement ?
C’est le directeur artistique du Labo. J’avais besoin de quelqu’un qui ait un oeil, un regard affûté. Vincent Mc Doom a travaillé pour des marques exigeantes telles que Marc Jacobs, Louis Vuitton. Il a également fait de grandes études dans ce domaine, puisqu’il est passé par l’ESMOD entre autres. Ses talents sont précieux.
Avez-vous d’autres collaborateurs ?
Nous sommes une dizaine. Je travaille aussi avec Philippe Angelotti, qui a jadis oeuvré chez Hervé Léger (la marque fondée par Hervé Peugnet, ndlr) ou encore Muriel Piaser, consultante en mode internationale. Elle a lancé le salon Tranoï. Pendant le salon, une centaine de personnes oeuvrent à son bon déroulement.
Quels sont les critères pour être présent lors du Labo Ethnik ?
On vend un espace de visibilité pour les créateurs qui veulent se faire connaître et sur lesquels on mise. Pour venir au Labo Ethnik, il faut avoir réalisé un minimum de chiffre d’affaire, et de production.
Parlez-nous un peu des différents temps du Labo ?
Il n’y aura pas que des défilés. Jeudi 22 mai, journée d’ouverture, c’est le moment où l’on présente ce que l’on appelle l’ADN du Labo. Le défilé concentre les jeunes marques. C’est l’occasion idéale pour celles qui sont l’avenir du prêt-à-porter. C’est une chance importante puisque les créateurs des 80 marques représentées seront là, avec leur lookbook, qui donne un aperçu de leurs collections. Les acheteurs auront la possibilité de prendre des pièces directement.
En huit ans d’existence, quel constat faites-vous sur la jeune création ?
Pour aider la créativité, il faut de l’argent. Certains créateurs ont pu venir un an, deux ans, puis ce sont littéralement écroulés, par manque de soutien financier. Ils devaient travailler à côté pour subvenir à leurs besoins. Ils produisaient donc moins. Nous organisons justement des conférences, afin de donner des outils de réflexion et d’analyse du marché avec l’aide de professionnels. Il y en a une le 23 mai avec des spécialistes de la mode. La conférence pose la question de la nécessité ou non de créer une fédération pour les jeunes labels. Il y a une fédération des créateurs de mode français, mais elle n’aide que ceux qui se sont déjà imposés, et non pas ceux qui arrivent et ont besoin de financements pour se développer. Le Labo a vertu à faire évoluer toutes ces problématiques.
Quels sont vos coups de cur ?
Je dirais Laurence Airline et Taibo Bacar (jeune créateur mozambicain à suivre, ndlr). Ils font tous les deux des vêtements bien coupés, bien finis, épurés, faciles à porter, avec un fort potentiel commercial.
Que pensez-vous des manifestations sur le même modèle qui fleurissent depuis quelques années, notamment sur le continent africain ?
Il y a huit ans, il n’y avait pas d’espace pour la création afro-caribéenne. On n’en parlait pas. C’est une excellente chose que d’autres créent des plateformes pour la faire vivre. Tout le monde met sa pierre à l’édifice : c’est comme ça qu’un mouvement naît, on ne fait pas avancer les choses seul. Le fait que des événements comme la Black Fashion Week existent est important. Et sur le continent, cela permet de montrer les jeunes talents aux investisseurs africains, qui finiront par être convaincus que Chanel n’était qu’un fantôme !
Quels ont été les créateurs découverts dans le Labo Ethnik qui poursuivent une carrière ?
Jacob Kimmie, David Tlale, Soucha, Ituen Basi, Olivier Couturier, Alex Rotin, Abigaëlle Betz, Thula Sindi, Christie Brown, Chichia London
Le wax a déferlé sur la mode, au risque de saturer le marché. Aujourd’hui quelle est pour vous la grande tendance qui se dégage ? Pour 2014-2015, plutôt que dans les tissus, l’innovation se trouve plutôt dans les coupes et les imprimés. En clair, tout ce qui est afrogéométrique, un peu dans la veine de ce que fait Stromae avec sa marque Mosaert.
Quels sont les défis que doit encore relever le salon ?
Il y en a encore beaucoup à relever mais ils restent secrets (rires).
Babatunde
Le Sud-Africain Gareth Cowden a fondé sa marque en 2009 à Johannesburg. Le jeune homme s’est décidé à se lancer en solo, las de travailler en tant que styliste free-lance. S’il avoue qu’il a été difficile de trouver de l’argent et des fabricants qui respectent sa vision pour créer ses parapluies, chapeaux et autres accessoires de mode en wax, il savoure aujourd’hui la chance que sa marque ait bénéficié rapidement d’une reconnaissance internationale.
June Shop
Au départ, elles étaient deux. Julie et Nelly sont passionnées d’Afrique et de tissus. Elles fusionnent les deux premières syllabes de leurs noms respectifs pour créer l’une des premières marques féminines, urbaines et métissées en 2001. Naissent des collections où se côtoient des jupes boule, des pantalons taille haute ou des petits blousons rétro, mixant tissus d’Afrique de l’Ouest et coupes occidentales fabriqués dans un atelier au Cameroun. Elles les présentent dans un coin reculé et charmant du XVIIIème arrondissement de Paris. Aujourd’hui, la marque n’est plus représentée que par Nelly, qui dévoile désormais ses collections dans son showroom du XIXème.
Laurenceairline
Ses chemises, ses pantalons aux imprimés et aux couleurs vives font d’elle les doigts de fée du prêt-à-porter masculin. Laurence Chauvin- Buthaud crée des silhouettes intemporelles avec sa marque Laurenceairline, fondée en 2010. La créatrice, née en Côte d’Ivoire, a vécu entre la Suisse, Londres et Paris. Désormais basée entre la capitale française et Abidjan, où elle a son atelier, elle emploie des locaux, avec qui elle fait ses vêtements en wax et éthiques, que des filles fans n’hésitent pas à enfiler. C’est ce qui s’appelle mettre tout le monde d’accord.
Où et quand ?
La 8e édition du salon Labo Ethnik Fashion & Lifestyle se tiendra du 23 au 25 mai. Organisée par l’association AFRIKEVENTS, il se déroulera à la Cité de la mode et du design. 34 Quai d’Austerlitz, 75013 Paris.
Plus d’infos : www.laboethnik.com / Contact : [email protected]///Article N° : 12231