D’un océan à l’autre, de l’île de la réunion à la Guadeloupe, de la Nouvelle Calédonie, à la Martinique en passant par l’Afrique et la Guyane les pratiques scéniques des sociétés traversées par l’histoire coloniale et l’esclavage partagent un même rapport au corps et à la parole. Aveu, confidence, conte, récit intime, jeu verbal, la parole ne s’incarne pas dans ce théâtre, ce sont les corps qui prennent la parole. À travers un ensemble de conférences, nous interrogerons cette forme de marronnage théâtral qui caractérise les esthétiques d’outre-mer. Puis, en présence des chercheurs du laboratoire SeFeA et des artistes en création durant le festival ainsi que du public, nous échangerons autour des spectacles de la saison qui témoignent de ces enjeux.
Journée d’étude le 24 juillet 2012
9 h 45 – 13 h
Chapelle du Verbe incarné
Ouverture : Marronnage et oraliture
par Sylvie Chalaye
par Pénélope Dechaufour (SeFeA, Paris 3 – Sorbonne Nouvelle)
L’interculturalité et le transculturel – contact entre plusieurs cultures – sont deux notions qui caractérisent nos sociétés modernes à l’heure de la mondialisation et des nouveaux médias ; étant à l’origine de la pluralité de nos identités culturelles. Les dramaturgies afro-caribéennes sont marquées du sceau de ce multiculturalisme lié, entre autre, au caractère postcolonial de leurs sociétés. Un héritage lourd à transmettre qui, au théâtre, se traduira par une esthétique récurrente de l’indicible. L’indicible des mots qui hiératise les corps, des « corps-textes » diasporiques, une poétique du fragment corporel et de l’hybridité verbale qui dit aussi les difficultés liées à l’altérité. La programmation du Off d’Avignon s’internationalise depuis quelques éditions déjà mais cette année les rencontres interculturelles au sein de spectacles sont très présentes, devenant même parfois motif de création. C’est notamment le cas avec les TOMA (Théâtres d’Outre-Mer en Avignon) à la Chapelle du Verbe Incarné qui porte depuis 15 ans le transculturel comme leitmotiv. Après avoir présenté rapidement les enjeux de la transculturalité et les présences multiculturelles sur le Off 2012, nous parlerons donc de l’expérience des TOMA et des spectacles qui y sont présentés cette année.
Esquisse d’une poétique de la révolte dans les théâtres contemporains d’outre-mer
par Virginie Soubrier (SeFeA, Paris 3- Sorbonne Nouvelle)
Si tout geste créateur naît d’une forme de révolte, celle qui sourd des dramaturgies contemporaines d’Afrique noire et des Antilles a ceci de particulier qu’elle passe avant tout par le corps. Près de soixante-dix ans après le « grand cri nègre » d’Aimé Césaire, l’intensité de la révolte est restée intacte chez les auteurs postcoloniaux. Mais elle a changé de nature, et de forme. S’ils répercutent en partie le cri négritudien, les théâtres d’auteurs comme Kwahulé, Niangouna ou Guy Régis Jr laissent entendre un cri inouï, fait de la matière même des mots, matière dont le corps s’empare pour résister aux visages contemporains de l’aliénation. C’est cette physique du cri dont nous nous proposons d’esquisser les contours.
par Paul Balagué (SeFeA / Paris 3- Sorbonne Nouvelle)
Tiraillées entre les espaces, les dramaturgies afro-caribéennes le sont aussi par les langues. Celles-ci sont un objet de combat, d’appropriation, de questionnement, presque des corps étrangers qu’il faut assimiler quand ces langues ne sont pas celles de l’origine. Ces langues qui traversent les corps sont malaxées et recrées par ce passage corporel. Face à un langage parfois proche, parfois étranger, c’est le passage par le corps scénique qui retravaille cet objet, le recrée et ainsi se le réapproprie.
par Sylvie Perault (CERPCOS / SeFeA / Paris 3 – Sorbonne Nouvelle)
par Roselaine Bicep et les voix de Marie-Julie Chalu et Amélie Thérésine (SeFeA, Paris 3 / Paris IV)
Le témoignage d’une comédienne de la compagnie d’Arthur Lerus « Le cyclone » en Guadeloupe
« Sé Lèspriko ki mèt ko (C’est l’esprit du corps qui est maître du corps), chante Joby Bernabé, poète martiniquais. Pour que le corps soit bien dirigé encore faut-il que son esprit soit libre et qu’ils ne fassent qu’un. Que ce corps jouisse librement du vent qui souffle sur lui. Qu’il marche tête haute sans peur de se disperser en route, de se perdre, d’être enfoncé dans un trou, souffle coupé, pieds bloqués ». Dire le corps, pour que le corps porte à son tour sa propre parole, Corps créole langue de canne à sucre amer cause de son « charroie » par tonnage de corps en vrac
qu’il porte sa propre voix et qu’il fasse entendre en écho tous les ko (corps) qui le traversent et pour cela il est nécessaire d’assembler les morceaux, de s’ériger et d’exister !
par Stéphanie Bérard (SeFeA, University of Virginia)
La parole est centrale dans la pièce de Marius Gottin Wopso !, une parole qui prend corps à travers deux comédiens devenus conteurs de leur propre vie et de l’histoire de la Martinique au XXe siècle. Ils parlent, racontent, non seulement par les mots, mais aussi par le corps qui chante, danse sur les musiques de la Caraïbe. Ce duo ou duel vocal et physique tantôt harmonieux tantôt discordant fait alterner avec vélocité et virtuosité français et créole dans la mise en scène de José Exélis qui détourne habilement la tradition orale caribéenne.
Les communications brèves seront suivies d’une table ronde avec les artistes, animée par Stéphanie Bérard.
Cette journée d’étude est organisée en partenariat avec Africultures, Avignon Off et la Chapelle du verbe incarné.///Article N° : 10900