Utiliser les deux langues

Entretien de Babacar Sall avec Germano Almeida

Le 8 janvier 2000 à l'hôtel Tropico de Praia (Cap-Vert)
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Comment êtes-vous venu à l’écriture ?
On commence à écrire sans avoir l’intention d’être écrivain. J’ai commencé à écrire quand j’avais 16 ans mais je n’ai commencé à publier qu’ à 45 ans.
Quel est votre imaginaire ?
Mon imaginaire est nécessairement celui des îles, surtout celui de Boa Vista. Après le Cap-Vert, je suis allé en Angola où je l’ai mieux découvert : me sont apparus l’univers de Sao Vicente, de Sao Tiago, mais il s’agit toujours de la réalité cap-verdienne.
Comment la tragédie de l’histoire interfère-t-elle dans votre écriture ?
L’histoire des personnes acteurs de la lutte pour l’indépendance ne transparaît pas directement. J’ai écrit un livre, Meu poeta, qui parcourt les années 1975 à 1985 mais il traite d’autre chose : l’opportunisme des personnes qui ont utilisé le mouvement d’indépendance et le PAIGC pour leurs propres fins.
Le moment qui a précédé l’indépendance a été une période de forte exaltation patriotique. Je l’aborde mais plutôt en termes de caricature et non pas mû par le souci de décrire la réalité. J’ai écrit l’histoire d’un type qui se tue le jour de l’indépendance afin de protester contre l’indépendance.
Il s’agit d’une critique romanesque du politique ?
Oui, tout à fait.
N’avez-vous pas envisagé de rôle militant ?
J’ai failli entrer dans le mouvement de libération mais je n’ai pas pu. Ceux qui ont participé se sentaient investis d’une mission mais ce n’est pas cela qui est arrivé. Certains se sont battus sincèrement, d’autres s’en sont servis. J’écris sur les choses que je connais, je n’ai pas eu l’expérience de la lutte, je ne pouvais donc pas en parler.
Peut-on différencier des écrivains révolutionnaires des écrivains réactionnaires ?
Quelle qu’en soit la manière, nous prenons toujours position : nous occupons telle ou telle place, mais il s’agit de concepts très relatifs. Le romancier que je considère comme réactionnaire peut considérer que c’est moi qui le suis. Je considère révolutionnaires ceux qui se préoccupent de la libération du peuple.
L’insularité a t-elle une incidence sur votre littérature ?
Au Cap-Vert, nous n’avons pas conscience de l’insularité. Il s’agit d’un concept des continentaux. Pour nous, le continent est ici, nous n’avons pas l’idée de la petitesse des îles ; notre idée est que la mer nous donne la liberté, l’espace. La terre et la mer forment un tout.
En ce sens, vous différez des écrivains des Antilles qui considèrent l’insularité comme étant consubstantielle à une forme de littérature ?
Les écrivains des Antilles ont vécu la colonisation d’une manière beaucoup plus intense que nous. Au Cap-Vert, la colonisation s’est posée en termes de peuplement et non d’occupation, nous avons grandi dans les îles, nous avons créé notre propre réalité. Les Cap-verdiens possédaient les terres, nous n’avons pas autant souffert du colonialisme.
Je pense qu’ainsi, l’insularité masque la pression coloniale.
Quelle est votre relation à la langue portugaise ? Existe-t-il au Cap-Vert une tentative de déconstruction de la langue visant à recréer un langage, comme c’est le cas aux Antilles avec la créolité ?
Au Cap-vert, il existe un créole issu du métissage des langues africaines avec le portugais. Le portugais, nous le considérons comme notre langue. Par exemple, chez moi, mon père a toujours parlé portugais, ma mère le créole. Aujourd’hui encore, je considère que ces deux langues sont miennes même si parle plus portugais que créole ; si les Portugais m’obligeaient à choisir une des deux langues, je choisirais le créole et inversement. J’écris en portugais mais j’ai conscience que cette langue ne traduit pas la réalité cap-verdienne aussi je « portuguise » des mots créoles.
Alors vous vous inscrivez dans la créolité ?
Certes, mais il ne s’agit pas d’une préoccupation mais d’une nécessité. Notre métier ne consiste pas à créer une autre langue mais à utiliser les deux langues pour décrire notre réalité qui comprend ces deux aspects.
Quelle est la position du Cap-vert par rapport au continent africain ?
Dans les années 1950, le Cap-verdien était ignorant de L’Afrique : l’Afrique était un lieu de punition. Je me rappelle dans mon île la désolation populaire lorsque quelqu’un ayant commis un délit était envoyé en Angola en punition ; on disait qu’il avait été envoyé dans le Sud ; on ne mentionnait même pas le nom de l’Angola. C’est seulement avec les luttes d’indépendance que nous avons commencé à en entendre parler. Mais même maintenant elle demeure peu connue.
Quel regard portez vous sur la dimension diasporique ?
Le Cap-verdien est très lié à sa terre. Néanmoins, lorsqu’il se trouve à l’étranger, il devient membre du pays d’accueil. Je suis contre l’exploitation affective de l’immigrant qui devrait pouvoir s’intégrer dans le pays d’accueil.
La vie littéraire ?
Je ne fais pas partie de l’association des écrivains du Cap-Vert. Je ne m’y suis jamais intéressé.
Comment envisagez-vous l’avenir du Cap-Vert et le rôle de l’écrivain ?
Le futur du Cap-Vert a déjà été plus prometteur… Je ne pense pas que les écrivains aient un rôle différent des autres. Avant d’être écrivain, j’étais menuisier ; lorsque je faisais une chaise, j’essayais de la faire du mieux possible. Maintenant que j’écris, c’est la même chose. Mon rôle est celui de n’importe quel citoyen.
Vous êtes aussi avocat ?
Oui, menuisier, avocat et romancier…
Sur quoi travaillez-vous actuellement ?
J’écris un voyage à travers l’histoire des îles du Cap-Vert que nous connaissons mal. Notre histoire est dispersée dans une multitude de supports (journaux, revues…), aussi je tente d’en réunir les matériaux dans un livre qui ne sera pas un roman.

Propos de Germano Almeida traduits par E.M.R///Article N° : 1271

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