Vivre me tue

De Paul Smaïl

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En quoi la vie d’un jeune homme bon à tout faire, spécialiste des petits boulots tels que livreur de pizza, vendeur en librairie, réceptionniste d’hôtel et auteur de bien d’autres expériences sans issues, peut-elle donner matière à un roman et qui plus est à un roman passionnant ? C’est pourtant la gageure qu’a réalisé le jeune Paul Smaïl, franco-marocain de son état-civil et petit Beur pour tous les acteurs de la vie qu’il rencontre et côtoie dans la grande métropole parisienne. Un texte haletant, plein de punch, de bonnes trouvailles, d’humour grinçant et d’une fraîcheur exceptionnelle. Une écriture qui traverse la vie de Smaïl et la cité qui abrite ses aventures comme un ouragan. Il nous fait découvrir une société, en apparence très civilisée, mais où règne encore le délit de sale gueule et de mauvaise naissance. Tiens, lui, Smaïl, français es-sol, diplômé tout comme il faut, féru de grande littérature, cultivé avec soin comme un potager de Provence, et bien Smaïl (en dépit du prénom Paul) restera le jeune Arabe au nez duquel vont se refermer toutes les portes de l’espérance professionnelle. Étiqueté, marqué du fer rouge de « l’étrangeté », bousculé, méprisé, agressé moralement et quotidiennement, sommé en toute occasion de prouver qu’il était « normal » et digne de confiance, contraint d’en faire toujours plus que les autres pour convaincre, Smaïl ne sort pas un fusil à canon scié pour apaiser sa colère. Non, Smaïl, prend sa plus belle plume pour raconter le parcours d’un exclu bardé de diplômes et de qualités humaines. Sa vie est une serpillière mal essorée ? Il en fera un texte flamboyant qui ira, peut-être, occuper une place royale dans les rayons de la librairie de l’Abesse, cette « salope « de patronne qui voulait à tout prix le cantonner à la lecture de la littérature maghrébine et à laquelle il répondit un jour, fou furieux, alors qu’elle lui proposait La Malédiction de Rachid Mimouni comme livre de chevet :  » Parce que c’est un raton, lui aussi ? Parce que c’est un melon ? J’en ai ma claque de votre connerie, putain ! Vous me faites chier ! Parce qu’alors, quoi ? Les ratons ne devraient lire que des bouquins de ratons, selon vous ? Proust, c’est seulement pour les pédés, alors ? Et Melville, aussi ? Et Virginia Woolf, pour les gousses ?… Un raton peut pas lire Dickens ! C’est ça que vous voulez, hein ? Chacun chez soi !Le Serbes avec les Serbes, les Croates avec les Croates, et les autres derrière les barbelés ! Qu’est-ce que j’en ai à foutre de la littérature arabe ? Pour moi, il y a les bons livres et les mauvais ! Point.  » Vivre me tue fait incontestablement partie de la première catégorie. Juré, promis, quoi qu’en pensent toutes les Abesses d’Occident !

Vivre me tue, de Paul Smaïl, Ed. Balland, 1997, 187 pp., 80 FF.///Article N° : 271

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