Youssou N’Dour, le griot planétaire

De Gérald Arnaud

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« Le rythme chasse cette angoisse qui nous tient à la gorge ». Youssou N’Dour a passé une partie de son enfance à Joal, village-natal de Senghor. C’est sur ce rappel que débute le livre de Gérald Arnaud et c’est ainsi qu’il continue : une vision bien à lui de la vie et de l’œuvre d’un chanteur et musicien pas moins célèbre que le poète-président. Yandé Codou Sène, la cantatrice sérère devenue griotte de Senghor, mise en valeur récemment dans plusieurs films documentaires (1), enregistrera d’ailleurs un disque en duo avec Youssou N’Dour. Si Gérald Arnaud cite L’Elégie des circoncis de Senghor, c’est aussi qu’elle s’inspire du répertoire traditionnel du kassak, les fêtes clôturant le rituel de la circoncision où Youssou a su les premières fois séduire son auditoire. Mais c’est également et surtout parce que l’angoisse de la mort dont parle Senghor est celle de tout ce peuple dont les jeunes s’exilent dramatiquement : Youssou N’Dour a non seulement refusé d’émigrer mais chante l’amour de son pays, la dignité et l’unité de l’Afrique.
Tout en décrivant dans une langue coulée qui se lit à plaisir tout ce qu’il faut savoir sur la biographie du chanteur et l’originalité de sa musique, Gérald Arnaud traque l’homme engagé dans les causes humanitaires panafricaines, l’amoureux et le mécène des artistes, l’homme d’affaire au multiples dimensions. Au-delà d’une biographie, c’est une histoire qui se tisse, un récit picaresque où transparaît la fascination du biographe mais aussi la complexité de sa relation à son sujet. On suit sans surprise mais avec intérêt l’enfance de Youssou à la Médina de Dakar, et son émergence sur les scènes jusqu’à ce que Gérald Arnaud aborde ce qui fera le devenir de Youssou : sa façon d’émanciper la musique sénégalaise. Emancipation en forme de retour aux sources puisque c’est son association au sein de l’Etoile de Dakar puis du Super Etoile avec le virtuose du tama (tambour d’aisselle) Assane Thiam qui fera son succès grâce à la « danse du ventilateur » mais aussi et surtout grâce au mbalax. C’est là que cette biographie est passionnante car le biographe passe au « je » et nous fait partager ses grands moments d’empathie en situation avec une musique qui le transporte. Quand il s’étend sur le sabar, c’est toute sa passion pour les instruments traditionnels africains qui nous emporte.
« J’ai eu la chance de découvrir cet artiste et cet orchestre il y a presque un quart de siècle ; ce fut le coup de foudre », écrit-il (p.80) « A d’autres le soin de le dénigrer comme c’est devenu récemment la mode au Sénégal ». « Sans être un amateur inconditionnel, je suis du genre fidèle »… Le choix est clair. Cette biographie est une ode ponctuée de l’analyse des albums de Youssou, rédigée dans la langue claire mais souvent tranchante que connaissent bien les lecteurs d’Africultures. Mais elle n’est pas moins le respect d’un journaliste engagé pour un Youssou qui tend le poing, « héraut de Mandela ». Il célèbre aussi l’implication du chanteur dans le Set setal (être propre et rendre propre), étonnant mouvement spontané de la jeunesse dakaroise pour nettoyer et enjoliver une ville devenue trop crasseuse.
Cela n’empêche pas la critique musicale. Notamment sur Wommat (le guide, en wolof) qui sort en mai 1994 et sera un immense succès mondial : c’est « un modèle d’école de ce que la mondialisation musicale peut offrir de pire » ! Cela ne veut pas dire qu’il n’apprécie pas l’oeuvre moderne de métissage musical de Youssou N’Dour : il s’épanche longuement sur des disques comme Set ou Eyes Open et bien d’autres, qui sont pour lui d’exceptionnelles réussites. Mais il a un penchant certain pour les albums ancrés dans la culture sénégalaise ou ceux de Youssou le Mouride comme Egypte en 2004, hommage aux grands marabouts de l’islam sénégalais. Car c’est autour de son ancrage et de son engagement pour le devenir du Continent que Gérald Arnaud résume le combat de Youssou N’Dour : « tout faire pour que son destin serve d’exemple aux Africains ». (p.133)
Un glossaire, une discographie en images, une bibliographie et une filmographie font eux aussi de cet ouvrage une référence. On regrettera la faible qualité non des photos mais de leur reproduction, mais au format et prix de poche, ce « griot planétaire » doit trouver sa place dans tous les sacs de voyage.

1. Yandé Codou, la griotte de Senghor, d’Angèle Diabang-Brener et Yandé Codou Sène, diva séeréer, de Laurence Gavron.<small »>Gérald Arnaud, Youssou N’Dour, le griot planétaire, coll. Voix du Monde, Editions Demi-Lune///Article N° : 7650

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