Zimbabwe, de la libération au chaos

De Michael Raeburn

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Le film commence par une sentence terrible : « Ce film sera interdit et moi condamné à l’exil ». Car ce qu’il contient ne sera pas accepté dans le Zimbabwe de Robert Mugabe.
Et pourtant, pour Raeburn, Mugabe était un vrai chef, pour les idées duquel il s’était battu. Par son premier film, « Compte à rebours » en 1969, durant la période coloniale, qui lui avait valu son premier exil forcé. Par son livre « Black Fire » en 1978. Et durant les premières années de l’indépendance… Mais face à la dérive actuelle, il ne peut rester de marbre. Il doit parler. Ce qui pour un cinéaste veut dire : il doit tourner.
Il avait d’abord construit son film comme un reportage, pensant pouvoir le vendre aux télévisions. Les anglophones voulaient plus de sensationnel, les francophones restaient indifférents à ce pays méconnu… Et voilà qu’Arte lui dit que c’est trop « reportage ». Le film est remonté, avec ce qu’il rêvait d’y mettre sans penser pouvoir le mettre : lui-même, son histoire, son implication dans ce pays qui est le sien.
Il aurait fallu des heures pour raconter son pays. Il le fait en quelques instants, en commentant les rues de Harare : un grand gâchis. Il le fait aussi en quelques images, de la Rhodésie de Ian Smith à la Chimurenga, la lutte de libération, pour aller très vite au référendum de février 2000 sur la constitution, perdu par Mugabe qui vit là son premier échec dans la consolidation de son pouvoir politique. C’est là que tout bascule pour le Zanu PF, « les libérateurs du pays », qui n’avait pas de réelle opposition. Un nouveau venu, le MDC (Mouvement pour le changement démocratique) mobilise la jeunesse face à l’autocratie.
Mais il mobilise aussi les fermiers blancs. « Si vous vous tenez à l’écart de la politique, je vous laisserai tranquille », leur avait promis Mugabe, laissant 4000 fermiers produire l’essentiel du tabac qui fait la richesse du pays. Il se sent trahi et mobilise les médias pour en appeler à une nouvelle Chimurenga dont on connaît les terribles conséquences pour le pays.
La démonstration est claire, sans ambiguïté. Raeburn ne cherche pas à comprendre : il sait ce dont il parle, il l’a vécu. Il peut encore filmer de près car il connaît tout le monde, fait partie de l’intelligentsia. C’est le grand intérêt de ce film : cette vision de l’intérieur, cette vision impliquée où transparaît une immense colère mais, déjà, une nécessaire résignation, celle de l’exil.
Citant Mandela, il choisit de défier le gouvernement. Que peuvent les images dans un tel contexte. Pas grand chose, pense Raeburn, comme il le dit dans notre entretien (cf). Pourtant, il tourne et il se bat pour qu’on voit ses images. Parce qu’il continue comme il a vécu. Pour exister.

///Article N° : 3055

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