Les liens entre le Brésil et l’Afrique ont été très étroits pendant des
siècles, tant que le Brésil était sous colonisation Portugaise : à titre
l’exemple, 100 % des exportations angolaises (hommes et biens) partaient vers le Brésil. À partir de 1822, suite à son indépendance, le Brésil se rêve comme une nation blanche et met complètement de côté ses racines africaines. En 1996 est instaurée la loi 10639, qui rend obligatoire l’enseignement de l’histoire et de la culture afro-brésilienne dans les écoles du pays. Le Brésil est-il enfin réconcilié avec sa partie « noire » aujourd’hui ?
Nos « fenêtres lusophones » des mois de mai et juin explorent les relations passées et présentes du Brésil et de l’Afrique, à travers une première sur les traces noires au Brésil, et une seconde sur les relations actuelles du « géant brésilien » le continent africain.
Les fêtes de Notre Dame du Rosaire, ou les fêtes des Reinados ont, comme l’indique leur nom, un lien très étroit avec la religion. La miscégénation entre les saints de l’Eglise romaine et les divinités africaines a donné place au catholicisme populaire, très pratiqué au Brésil, soit sous la forme de cultes, soit par le biais des fêtes populaires, comme nous avons pu le voir dans notre article précédent : « Les fêtes des Reinados – Les rites de l’Afrique au Brésil contemporain ».
L’environnement commémoratif de la fête, caractérisé par l’ambiance rurale de la colonie portugaise, a gagné aujourd’hui l’espace des villes urbaines, et a franchi les limites des célébrations familiales, pour devenir un événement public. En réorganisant et réinterprétant les expériences du passé, les danseurs et musiciens écrivent leur présent, montrant la force de leur tradition, très vive dans les jours actuels.
Mais, ce regard plutôt pondéré sur les fêtes du Rosaire est récent. Durant toute une période de l’Histoire du Brésil, les Reinados de Notre Dame du Rosaire ont été durement réprimées, étant vues comme des institutions dangereuses d’un point de vue ecclésiastique. « Cette période couvre les XVIIIème et XIXème siècles, avec des dispositifs qui empêchent les Noirs de vénérer leurs ancêtres (1) » (Gomes, 1988, p.98).
Dans le contexte moderne et urbain du XXème siècle, alors que les institutions religieuses se trouvaient libres de leurs orientations, les groupes se sont trouvés en porte-à-faux. Le catholicisme populaire, auquel se rattachaient les manifestations, était vu comme « une phase de survivance du passé qui, même en résistant à l’action inexorable d’uniformisation nationale du processus historique, est condamnée à disparaître (2) » (Steil, 2001, p.30).
Les mesures d’autorité et de contrôle exercés par l’Église catholique ont atteint les fêtes du Rosaire. L’archevêque Dom Cabral, responsable de l’archidiocèse de Belo Horizonte, fondé en 1924, a interdit, durant vingt ans, dans la capitale du Minas Gerais, que les Fêtes du Rosaire soient publiques. Jusqu’à ce qu’une messe Conga (un culte catholique adapté avec des chansons et instruments d’origine africaine) soit acceptée et célébrée dans les églises, les célébrations ne pouvaient être réalisées que dans les maisons et dans les rues, où elles pouvaient être réprimées, car, selon l’archevêque:
« Même dans les villes, se font encore des festivités religieuses avec beaucoup de bruit et quelque chose de dramatique et comique, alors que ça devrait être très sérieux. Les fêtes ont été instituées par l’Église pour conduire les âmes sur le chemin de la vertu et en imitant la vie exemplaire des saints et non pour appeler les peuples à se dissiper au détriment de la foi. Ce qui nous fait horreur et doit être interdit, c’est la nomination de fêtards qui sans foi et aucun respect des sacrements se présentent pour demander l’aumône et offensent les véritables catholiques. S’ils n’ont pas la foi et qu’ils vivent scandaleusement, quel est leur intérêt d’organiser des fêtes?! Tant mieux si son Excellence Dom Cabral a mis un coup d’arrêt à ces pompes du mois de mai et aux danses du Royaume (3) » (Journal O CLARÃO, Divinópolis, 27 novembre 1923, apud LEONEL 2008, p. 220).
Nous pouvons trouver des traces de cette persécution encore aujourd’hui. La fête, même quand il a été permis qu’elle se déroule dans les rues, restait contrôlée. Lorsque Mme Cassimira a créé le groupe de Mozambique du Reinado Treze de Maio, elle a dû affronter deux problèmes. Le premier était, en tant que femme, celui de créer un groupe, car une femme ne pouvait même pas danser dans les fêtes, et que dire de fonder un Reinado. La seconde difficulté était de rester attentif aux exigences administratives et légales :
« Tout avait besoin d’un permis, d’un certificat, la police devait être au courant de tout ce qui se passait. Pour ces choses de Noir, il y a toujours eu ça, n’est-ce-pas ? En rassembler deux ou trois, c’est tohu-bohu, confusion et beuverie… Les gens avaient ce préjugé, ce truc en tête. C’est ancien. Et ça continue jusqu’à aujourd’hui.Tout devait être enregistré, pourquoi est-ce qu’il fallait faire du bruit ? Pourquoi est-ce qu’il fallait rester jusqu’à pas d’heure ? Pourquoi est-ce qu’il y avait autant de gens ? Pourquoi ci, pourquoi ça ? (4) » (Casimira, 2013).
Malgré toutes ces exigences, les festivités de la Fraternité du Treze de Maio de Notre Dame du Rosaire ont accueilli, généreusement, chaque fois en plus grand nombre le public de Belo Horizonte, d’autres régions du Minas Gerais, d’autres États et même d’autres pays, créant une ambiance chaleureuse et contagieuse, rassemblant, dans la mesure du possible, dévots et curieux.
Dans ce deuxième article nous allons connaître Preta Velha, la première Reine des Congados du Minas Gerais, et fondatrice du Groupe du Mozambique, qui intègre aujourd’hui le Reinado do Treze de Maio. En plus de représenter tous les groupes du Minas, elle a influencé directement les expressions de la culture afro-descendante de l’État, en faisant le lien entre les traditions ancestrales et le public contemporain.
En 2008, le Reinado Treze de Maio a été invité par le Ministère de la Culture à participer à un événement qui réunissait au Céara (Nord-Est du Brésil), divers acteurs culturels de chaque État du pays, qui ont été désignés comme « maîtres de culture ». Isabel Casimira, princesse du Treze de Maio nous a raconté son expérience :
Thaise – Qu’est-ce que ça change dans ta vie ?
Isabel Casimira Gasparino Martins – Si toi dans ta maison, tu balaies ta maison tous les jours, tu fais un petit truc, pour toi c’est ordinaire. Tu ne vois pas de valeur là dedans. C’est celui de l’extérieur qui donne de la valeur à ça. Et aujourd’hui, la valeur qu’ils m’ont montrée là-bas, je crois vraiment que j’ai cette valeur, parce que je suis maître de culture, parce que j’ai un savoir, parce que je connais un sujet. (CASIMIRA, 2013).
En se reconnaissant dans l’image d’un afro-descendent, en s’inscrivant dans les pas de leurs ancêtres à travers leur héritage culturel, les membres du Reinado ont été nommés « maîtres de culture populaire » et dès lors désignés comme des enseignants ayant une mission de transmission. Cette affirmation, cette reconnaissance de la part de l’État est révélatrice d’un univers dans lequel ils ont été, catégoriquement, insérés, d’abord interdits puis désormais valorisés. Mais cette intervention qui désigne le groupe Treze de Maio comme espace de transmission du savoir (comme si, avant, celui-ci n’était pas transmis) se manifeste comme un acte politique qui agit sur les pratiques ancestrales du groupe.
Mais avant que les « Congadeiros » parviennent au point d’avoir cette représentativité, ils se sont heurtés à la barrière sociale de l’obscurantisme racial, qui était ancrée dans tous les milieux de la société. Maria Cassimiro das Dôres, connue comme Preta Velha, a été la première déléguée, avec bien des difficultés, à parcourir le chemin pour la visibilité sociale des afro-descendantes au Minas Gerais, principalement ceux qui fêtent l’adoration à Notre Dame du Rosaire.
Preta Velha avait comme référence la fête que ses parents faisaient à Betim, dans la région métropolitaine de Belo Horizonte. En signe de dévotion à Notre Dame du Rosaire, elle a fait promesse d’organiser dans la capitale de l’État cette commémoration dédiée à la sainte des Noirs,
« On dit que c’était une promesse pour garder la santé et une promesse pour que ses descendants ne passent pas par les mêmes difficultés que celles de ses ancêtres, la prison, le manque de logement, la faim, ces choses-là. Ses parents étaient pourtant nés à l’époque du ventre libre, n’est-ce-pas ? Mais elle sait que toutes les vies ont été difficiles, elle sait que l’abolition a eu une dimension historique, de cette époque, mais que c’est quelque chose de faux » (Ibid.).
Passé sept ans de promesse, Preta Velha avait construit non seulement une garde, mais aussi l’image d’une personnalité politique, qui luttait en faveur des manifestations d’origine africaine dans le Minas Gerais, et aussi pour la reconnaissance sociale des Noire. Parmi tous ces faits, elle a suivi à Belo Horizonte le premier cortège qui a réuni différents gardes de Notre Dame du Rosaire, avec des groupes de tout l’État. Après, elle a organisé et participé à d’autres événements dans la ville, et a été élue par tous les Royaumes comme la première Reine Conga du Minas Gerais, représentant tous les musiciens et danseurs du Congado Mineiro.
Elle était également présente lors de la création de l’association centrale des Congados, qui est devenue la Fédération des Congados du Minas Gerais, une institution culturelle qui réunit tous les groupes, et représente la manifestation nationalement. En outre, Maria Cassimira a participé à la création de la « Semaine du folklore », mise en place par le gouverneur de l’État, Magalhães Pinto, et aussi était présente à des Congrès et festivals nationaux sur le folklore brésilien. Avec son groupe, le Mozambique Treze de Maio, elle a remporté le titre municipal de la personnalité publique, en 1983, signé par le maire de l’époque, Hélio Costa, ce document reconnaissant que le groupe a fourni des services d’utilité (culturelle) à la société.
Dans le contexte religieux, elle était responsable en 1972 de la création de la Messe Conga, un culte cuménique célébré par des musiciens et danseurs du Rosaire, avec des rituels spécifiques. Depuis la création de cette cérémonie, les groupes ont pu entrer dans les églises jouant de leurs instruments, et chantant leurs musiques. Avant cela, en 1965, Preta Velha était déjà vénérée par les institutions religieuses, qui ont reconnu son rôle dans le déploiement de la foi catholique au Minas Gerais:
L’évêque a reçu à genoux les Congadeiros de Minas Gerais, avec les autres prêtres, et ils ont serré la main de chaque participant. Au cours de l’homélie il a justifié ses actes en disant plus ou moins ce qui suit: « Je me suis mis à genoux j’ai serré la main des danseurs, des capitaines, des rois et des reines, princes et princesses du Royaume de Notre-Dame du Rosaire de Minas Gerais, qui symbolisent la gratitude de l’Église envers les ancêtres de ces hommes qui ont fait beaucoup pour le déploiement de la foi catholique dans l’intérieur de l’État. Louant la Vierge Marie avec leurs instruments bruyants, leurs chants et leurs danses, ils ont attiré les foules et le prête pouvait ainsi parler de la religion chrétienne et l’étendre« , (Histoire du Congo et du Mozambique de la Garde Treze de Maio de Notre Dame du Rosaire, faite par Ephigênio Casimir).
Selon ce texte élaboré par Ephigênio, Maria Cassimira das Dôres a été la première personne d’un Royaume à réaliser un partenariat entre les groupes et les universités, permettant que les chants du Mozambique soient enregistrés. En 1972, Romeo Sabara, professeur d’anthropologie à l’UFMG, a reçu le répertoire musical du Mozambique, du Congo et des marins, y compris ceux qui ont été utilisés dans la Messe Conga, de sorte qu’ils ont été transcrits et perpétués.
L’héritage culturel de Cassimira reste très actuel. Avec la référence de la « tradition » apprise par leurs parents, grands-parents et ancêtres, elle a organisé à Belo Horizonte, dans l’environnement urbain, des processions, des défilés et des spectacles, conduisant les fêtes de rue qui avant n’étaient réalisées qu’à l’intérieur des maisons. Elle a promu les discussions sur le critère de l’authenticité des groupes traditionnels, en ouvrant les portes pour que des organismes publics et éducatifs puissent « encourager » les fêtes du Rosaire.
En tant que Reine, elle a permis que les femmes puissent danser dans une garde et même en commander une. Comme agent responsable de la visibilité des fêtes traditionnelles, elle a organisé des manifestations publiques de groupes du Minas Gerais dans d’autres États, avec de grands événements périodiques, comme la « Semaine du folklore ». Elle a aidé également tous les groupes en montrant la particularité de chacun et le caractère commun et religieux entre eux. Elle a promu le terme « Congado Mineiro », contribuant politiquement à l’institutionnalisation et au subventionnement des fêtes dans l’État.
Grâce à Preta Velha, le Congado Mineiro s’est intégré dans l’ère de la mondialisation. Même en ne connaissant pas les possibilités techniques des nouveaux dispositifs et médias pour la diffusion des expressions culturelles, elle a utilisé les fêtes du Congado Mineiro comme marqueur de l’identité régionale, grâce à la promotion et la réflexion sur la notion de patrimoine, en s’appuyant principalement sur la représentation sociale des groupes dans le contexte contemporain. Preta Velha a été le premier médiateur culturel de Congado Mineiro, en transmettant le devoir à ses descendants de conserver cette dualité, entre les ères culturelles: du traditionnel au mondialisé, et vice-versa.
Les relations entre les groupes et la communauté se révèlent, peu à peu, dans les moments de fêtes. Étant donné le caractère formel de la façon dont les fêtes se sont développées au cours du temps, passant de pratiques familiales et communautaires à une manifestation publique, il est aussi devenu nécessaire d’inclure d’autres acteurs sociaux, qui ont apporté de la visibilité à la fête, en la légitimant en tant qu’institution culturelle. Dans le cas du Congado Mineiro, ce processus passe par le milieu intellectuel. C’est grâce aux chercheurs et à leur façon de construire le signifié des fêtes en tant que pratiques culturelles que l’idée de « patrimoine à préserver » a pris forme. Le milieu académique a accompli un travail significatif de légitimation de ces fêtes en tant que pratique culturelle qui intègre l’identité brésilienne. En 1972, Romeo Sabará, professeur d’anthropologie à l’Université Fédérale du Minas Gerais (UFMG), a eu l’accès au répertoire musical de divers Reinados, de sorte que les musiques ont été, enregistrés, transcrites et perpétuées.
Nous savons que, s’agissant d’institutions religieuses ou académiques, les discussions sur la culture surpassent le champ de la politique. C’est pourquoi la valorisation ou la dévalorisation des fêtes du Rosaire à l’échelle nationale constitue un indicateur de la construction sociale du Noir dans la société, qui est faite au moyen de politiques publiques, destinées, dans ce cas, à la culture. Ainsi, « il existe une histoire de l’identité et de la culture brésilienne qui correspond aux intérêts des différents groupes sociaux dans leur relation avec l’État (5) » (Ortiz, 2012, p.9).
C’est au moment où les sphères sociales, politiques et culturelles ont convergé, que nous percevons des changements dans la dynamique des fêtes du Rosaire. Il y a eu une influence réciproque entre les demandes régionales et nationales, et les revendications émises par les groupes qui, dans la relation d’altérité, favorisent leurs intérêts.
La visibilité acquise par le Congado Mineiro à travers son parcours historique, offre aux groupes l’affirmation de leurs valeurs et emblèmes qui représentent une nouvelle société. Après que les voies de la reconnaissance sociale ont été ouvertes les groupes ont été reconnus en tant que » maîtres « , ont pu communiquer, par le biais de leurs musiques, leurs valeurs et idéaux en tant que groupes minoritaires.
Dans le prochain article, nous allons montrer le déroulement de la Fête de Notre Dame du Rosaire cette année, organisée par le Reinado Treze de Maio. Notre reportage, au cur des célébrations, va illustrer les moyens de faire vivre les valeurs traditionnelles du groupe, mais aussi les formes de mise en valeur de l’objet culturel, engagé par l’industrie du spectacle.
(1) CASIMIRA, Isabel, CASSIMIRO, Antônio, La médiologie des pratiques culturelles: De la transmission à la mise en scène de la culture traditionnelle dans le processus de festivalisation. Interview a Thaíse Valentim. Belo Horizonte,16/05/2011.
(2) GOMES, Núbia Pereira de Magalhães; PEREIRA, Edimilson de Almeida. Negras raízes mineiras: os Arturos. Juiz de Fora: editora da Universidade Federal de Juiz de Fora, 1988.
(3) LEONEL, Guilherme Guimarães. « Estratégias De Resistência E Perspectivas De Controle, Coerção E Tolerância Às Festas Do Reinado Em Divinópolis », MG. In : Revista Brasileira de História das Religiões, Ano I, no. 2, 2008.
(4) ORTIZ, Renato. Cultura Brasileira e Identidade Nacional. Ed. Brasiliense, São Paulo, 2012.
(5) STEIL, Carlos Alberto. Catolicismo e Cultura. In: Religião e Cultura. Rio de Janeiro: DP & A, 2001.///Article N° : 12961