À peine j’ouvre les yeux

De Leyla Bouzid

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Auréolé de récompenses dans les festivals, le premier long-métrage de Leyla Bouzid est en salles depuis le 23 décembre. À ne pas rater ! (version Afriscope, lire la critique complète sur : [critique n°13359]).

Farah, c’est une tornade : elle avance en tournant et rien ne semble pouvoir l’arrêter. Elle est l’élan de la jeunesse qui veut pouvoir aimer et s’exprimer librement. Avec son groupe de jeunes musiciens, elle chante intensément des textes appelant à changer l’état des choses, car dès qu’elle ouvre les yeux, elle voit « des gens démunis, méprisés, dépités, qui s’exilent de ce monde de portes fermées ». Nous sommes en 2010, c’est l’été, et personne ne sait qu’en fin d’année, la révolution tunisienne aura lieu.
À quoi bon raviver les souvenirs de la dictature ? Parce que « se réconcilier avec le passé permettra de continuer », répond Leyla Bouzid, qui revient avec ce film sur sa jeunesse dans une Tunisie coincée dans une dictature générant l’autocensure et la paranoïa. Farah chante contre tout le monde, sa mère qui s’inquiète des conséquences autant que ce pouvoir qui ne supporte aucune remise en cause. Et ce cercle va peu à peu se refermer sur elle. Les adultes cherchent à la protéger, mais comment composer sans perdre son âme ? C’est en pleine conscience de ce qu’on a été, de ses compromis comme de son désir de vie, qu’une société peut sortir de la dictature sans les illusions du prophétisme révolutionnaire et ses inévitables déceptions.
La réussite d’À peine j’ouvre les yeux est de parvenir à cette conscience sans discours, en plongeant dans la complexité de chaque personnage, sans rien masquer de ses contradictions. Tout le film est pensé dans cette sincérité : les jeunes sont des musiciens amateurs et les répétitions comme les concerts sont tournés sans play-back, le casting a été fait en fonction de l’expressivité des personnes et les dialogues réécrits selon leurs improvisations, le champ de la caméra de Sébastien Goepfert leur laisse l’espace de vie nécessaire. Sans folklore, la musique de l’Irakien Khyam Allami combine l’énergie de la musique populaire tunisienne et du rock électrique. Le jeu de Baya Medhaffar (Farah) rend compte sans enflure de sa force vitale mais aussi de son trouble face à l’adversité et aux accommodements de chacun. En définitive, pourra-t-elle encore chanter ?

Des docu au cinéma..
De plus en plus, les salles nous proposent de captivantes plongées dans le réel. En sortie le 13 janvier, Je suis le peuple d’Anna Roussillon et le 21 janvier Contre-pouvoirs de Malek Bensmaïl. Depuis la révolution de janvier 2011 jusqu’à la destitution de Morsi par les militaires, la réalisatrice (qui a grandi en Egypte et maîtrise l’arabe) a côtoyé Farraj et sa famille paysanne de la région de Louxor, à 700 km du Caire. Je suis le peuple a la force des films qui se font sur la durée. Il documente le degré de conscience des plus pauvres : on peut être analphabète et penser le monde.Passionnant.
« Une pierre en plus dans la maison Algérie que j’essaye de construire de film en film » : avec Contre-pouvoirs, sur la presse indépendante, Malek Bensmaïl poursuit son exploration des lieux de pouvoir pour mieux comprendre la mécanique sociale d’un pays qui se cherche. Il partage le quotidien des journalistes d’El Watan à l’époque où, malade, le Président Bouteflika brigue un quatrième mandat, un journal qui se bat pour « préserver la liberté d’informer dans un pays politiquement et socialement sclérosé ». Instructif et vivifiant.

///Article N° : 13378

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