Pour sa cinquième édition, la nuit du Fennec d’Or fait ce que font en France les Sept d’Or : décerner des prix aux productions de télévision algériens (288 productions, dont 80 uvres dramatiques comportant 46 feuilletons, 25 séries et 5 Sitcoms étaient en compétition). Elle accueillait le 28 février 2008 la diva de la chanson arabe Majda Erroumi. Cette cérémonie est traditionnellement précédée d’un symposium, qui était cette année consacré à la critique. Echos choisis.
« Nous sommes tous pour la critique », a affirmé M. Abderrachid Boukerzaza, ministre de la Communication, qui ouvrait le symposium, « pour faire la différence entre le bien et le mal et dégager les forces et les faiblesses de chaque travail », non sans avoir salué l’engagement de la fondation du Fennec d’Or (fennecdor.net) pour en faire un rendez-vous que les réalisateurs et le public attendent. Ce dernier est invité à voter par SMS pour l’émission qu’il préfère depuis la création des Fennecs, et motivé par une télévision plasma écran géant à gagner.
Les intervenants se sont tous employés à dépasser la dichotomie posée par le ministre, à commencer par le critique et universitaire Mohamed Bensalah qui ouvrait les débats. Il participe à la revue Asaru cinéma publiée par le Festival du film amazigh grâce à des contributions bénévole et qui en est à son quatrième numéro. « Il est rare de voir ainsi les critiques réunis et conviés : nous sommes un des rares pays où il n’existe pas d’association de critiques de cinéma. Il est important de faire son mea-culpa et non de palabrer, pour poser le socle de cette critique à venir », a-t-il insisté, situant d’emblée la profession de critique comme nécessitant des connaissances avérées : « Chacun peut être critique mais expliquer les mécanismes de la genèse d’une uvre d’art n’est pas à la portée de tout le monde ».
Souvent durant ce symposium, une critique qui démolit les uvres sans arguments autres que des agressions a été dénoncée. Une autre façon de démolir est de ne pas en parler : nombre de critiques ont fait l’impasse sur le film de Jean-Pierre Lledo « qui nous pose problème ». (1) Et Bensalah de signaler combien « ce métier est dévalorisé aujourd’hui. Les médias, à défaut de professionnels de la critique, ne cessent de propulser sur la scène des critiques autoproclamés qui sont des laudateurs ou des démolisseurs, qui écrivent des règlements de compte sans fondement : ce travail est nuisible, aussi dangereux que les textes complaisants et inconditionnels ! »
L’université de Mostaganem vient de s’ouvrir à la problématique de l’image avec le premier doctorat de cinéma en Algérie, ce qui ouvre la perspective de jeunes à la formation solide pouvant prendre le relais des anciens. Des jeunes qui en veulent, l’Algérie n’en manque pas, après quinze années de noirceur. On se souvient de l’énergie déployée à l’atelier sur la critique organisé par le festival du film amazigh de Tlemcen en janvier 2007. (2) Et le symposium, qui mobilisait une bonne partie du milieu cinématographique et télévisuel algérois, accueillait également une centaine d’étudiants en communication.
« La critique vit entre l’information et le jugement, d’où son statut instable à l’intérieur des rédactions, continuait Bensalah. Entre les pressions des distributeurs et de la loi d’écrire pour le plus grand nombre, la posture du critique est sans cesse mise en doute. Nous n’avons pas été élevé pour être critiqué et accepter la critique. Tout est dans la formulation : entre agresser et essayer de faire comprendre. Le film est un produit de la culture, non de la nature. Déconstruire la structure du film, le lier au contexte de l’actualité et aux conditions de sa diffusion nécessite une distance critique. Il y a toujours un hiatus entre voir et regarder. Il n’y a pas d’objectivité mais il ne doit pas y avoir de parti pris. »
Ce n’est certainement pas le Dr. Rafik Al Sabban, éminent critique syrien, qui le contredirait : « Je me ferai romantique plutôt que scientifique, dit-il, pour ouvrir des fenêtres pour le débat. Le critique entre dans le monde qu’il voit, par des portes secrètes et intangibles : l’uvre artistique est entourée de murs qui ne permettent pas à tout le monde de les briser. Seul le critique dit : « sésame, ouvre-toi ». La critique sort du plus profond de l’être. La critique cinématographique est différente des autres : cet art enchanteur rassemble tout en une seule uvre. La position est difficile car le critique doit choisir un thème. Des bases sont nécessaires, qui ouvrent les fenêtres. La vision du critique est artistique : la relation entre le travail critique et le travail critiqué est une créativité. »
Un vent de poésie soufflait sur la grande salle de l’hôtel Sheraton. « Il faut plusieurs lectures avant de finaliser une critique car une seule couleur peut nous plaire mais la multitude de couleurs nous émerveille, poursuivait Rafik Al Sabban. L’art est une vision, une créativité sans base stable. Le cinéma n’a pas de règle stable. Il est fait de plusieurs cercles. Il a engendré un grand nombre d’écoles, tandis que Welles, Godard, le cinema novo, etc. ont bouleversé les règles : que doit faire le critique devant cette instabilité ? Jean-Louis Bory parlait avec son cur et Georges Sadoul avec son esprit. Mon école, celle de Bory, dit que la critique est une façon d’aimer, une passion. Pour aimer un travail, une femme, je dois être passionné. Le travail artistique est un secret : découvrir les belles choses dans un film est beaucoup plus difficile que de découvrir les mauvaises, et c’est pourtant elles qui l’éclaire. Le critique est le guide qui ouvre la porte du paradis ! »
Captivant ainsi un public amateur d’envolées lyriques, Rafik Al Sabban se fit personnel : « Avant de pratiquer la critique, j’étais à Paris pour mes études. J’ai découvert La Strada, et en sortant, j’ai dansé dans la rue, j’ai senti un cadeau du ciel, j’étais comme sur un nuage. Je revoyais Giuletta Massina et repleurait avec elle. J’ai senti que ce chemin était le mien, que je pouvais exprimer ma joie et mon malheur mais que pour cela, je devais être passionné. Chaque film a toujours un visage de la beauté, et ce que les réalisateurs peuvent nous reprocher, c’est de n’avoir pas trouvé le vrai chemin de leur travail. Je me souviens d’un festival de Cannes où Antonioni était totalement décrié
Le travail artistique doit toucher nos veines, nous sortir de nous-mêmes, pour que nous chantions, que nous criions. Le critique parfois chuchote, parfois il chante et crie, parfois il se tait et quand un critique se tait, c’est beaucoup plus fort que n’importe quelle parole. »
Et de conclure : « Quand le cur arrête de battre, l’esprit commence à travailler. Moi, je suis un partisan du cur. »
A la question de savoir ce qu’il pensait du cinéma arabe, le Dr. Rafik Al Sabban a répondu : « J’ai évité de parler du cinéma égyptien car je fais partie de la famille du cinéma arabe et ne voudrais pas être un enfant indiscipliné. »
« J’écris dans un quotidien : je ne peux pas m’aventurer dans les profondeurs de la critique artistique, je dois adopter une langue compréhensible, mais j’aimerais élever le niveau du goût artistique du public », a indiqué la critique Khayriya Mohamed Ibrahim Al Balchaoui, reprenant à son compte le rôle d’éducation du goût. « Nous nous comportons trop avec les films comme avec un objet de loisir », ajouta-t-elle, avant d’en appeler à la création d’une école de cinéma en Algérie ».
La pauvreté de l’enseignement fut l’objet du débat avec la salle, qui insista également sur le fait qu’il ne peut y avoir critique sans liberté d’expression. « On ne part pas de rien en Algérie : une mémoire existe qui mérite d’être intégrée dans le débat », s’écria alors un participant qui insista également sur l’importance de publier les actes d’un tel colloque à destination des étudiants.
Cinéaste et président de l’Association des réalisateurs professionnels algériens (ARPA), Belkacem Hadjadj insista sur le fait qu’un critique doit donner des clefs pour la lecture d’un film : « Cela lui demande d’avoir la culture cinématographique correspondante lui permettant de déceler en quoi l’uvre est magistrale. Dans toutes les sociétés arabes, il y a une régression au niveau de l’image : on a abandonné les jeunes spectateurs aux images qui viennent d’ailleurs sans leur donner les clefs d’une vigilance. Les étudiants de l’école de journalisme vont-ils au cinéma ? Comment voir un match de foot sans en comprendre les règles ? Le plaisir en dépend. La culture cinématographique et de l’image en général doit être le rôle essentiel de la critique aujourd’hui. »
Les journaux algériens ne donnent que les programmes des télévisions françaises : la parabole est partout, qui permet également de pirater les bouquets satellites pour une poignée de dinars. C’est dans ce contexte que Hadjadj ajoutera : « Tout est imposé par le Nord qui veut aider le cinéma du Sud et en profite pour le formater en fonction des attentes de son public. Les images d’ailleurs s’imposent comme le modèle avec un grand « M ». La vigilance critique devrait défendre un cinéma de chez nous. Des films se font en Algérie, produits d’initiatives venues d’ailleurs. Le problème est que la production nationale étant faible, il n’y a et il n’y aura plus que ces films pour parler de l’Algérie. Ces films chaussent le regard de là-bas. Il est important que la critique se développe chez nous, mais en partant de ses données à elle ! »
Le regard d’ici et le regard de là-bas : la remise en cause d’un regard extérieur est provoquée par l’avalanche de clichés trimbalés par nombre de productions. Mais attention à ne pas assimiler cet appel légitime à un regard endogène avec un rejet du regard non moins légitime des cinéastes algériens (ou autres) de l’extérieur sur leur culture et leur pays. On voit en effet souvent ces derniers accusés de ne plus percevoir « correctement » le terrain car ils n’y vivent pas. Cela revient à une suspicion de trahison qui dénigre gravement leurs essais d’appréhender l’identité plurielle de gens déplacés dans un monde où l’entre-deux culturel se généralise à l’aune de la globalisation et où les Africains nous aide à le vivre en nous transmettant justement la richesse de leur expérience et de leur imaginaire de peuple historiquement traversé par l’Autre et confronté à l’errance.
Rejeter les productions de cinéastes déplacés n’est pas seulement méprisant pour leur créativité mais aussi délibérément ambigu, tant cela fait appel aux notions problématiques d’identité et d’authenticité dont le contenu est bien difficile à définir sans faire référence à des notions territoriales et figées de repli sur soi. Si la vigilance critique consiste à donner un coup de sifflet à chaque fois qu’un certain moule identitaire n’est pas respecté, cela reviendrait à une police des contenus enfermant le cinéma dans des normes qui ne peuvent être que celles des institutions, pouvoir ou religion. On retrouve cette attitude dans nombre d’articles qui passent le film au crible de la véracité alors même que le propre du cinéma est d’être une construction imaginaire, comme si le cinéaste n’était pas conscient des divergences qu’il met en scène. Le travail critique ne serait-il pas plutôt de chercher à comprendre les ressorts du trouble occasionné ? « Le critique doit s’effacer devant la création, comme un musicien face à la partition du compositeur », a noté Mohamed Bensalah. « Continuons sur la voie des ciné-clubs, d’une prise en mains de la télévision, d’associations de critiques, tout ce qui pousse à former le jugement », a-t-il ajouté.
« Toutes les images qui viennent de l’extérieur ne sont pas mauvaises », a conclut Habib Chawki Hamraoui, directeur général de l’ENTV et président de la Fondation du Fennec d’Or : « C’est la mauvaise qualité que nous devrions refuser ». Quand on parle de la baisse du niveau dans les universités, je dirais que lorsque le professeur se cache des années chez lui du fait du terrorisme, il est normal que l’étudiant arrive sans le bagage nécessaire. Il y a beaucoup à dire pour ouvrir l’appétit pour l’espoir plutôt que pour le désespoir. La critique qui nous vient de l’extérieur est une critique automatique comme si nous étions une civilisation qui n’accepte pas les autres. Nous sommes une civilisation avec une culture différente mais cela ne nous empêche pas de vouloir entrer en contact les uns avec les autres. »
1. Algérie, histoires à ne pas dire a été interdit en Algérie. Cf. la pétition lancée par Ratiba Hadj-Moussa, universitaire algérienne de Toronto sur http://www.lapetition.com/sign1.cfm?numero=1527
2. cf. article n°4698 sur ce site.Palmarès de la 5ème nuit du Fennec d’ Or :
Djaâfar Gacem (meilleur réalisateur), Malika Belbey (meilleur rôle féminin) et Lakhdar Boukhars (meilleur rôle masculin).
Le réalisateur Djaâfar Gacem a été récompensé pour « Maou’id maâ el Qadar » (« Rendez-vous avec le destin »), une série télévisée qui a permis aussi à Malika Belbey de décrocher le titre de meilleure actrice.
Ce même feuilleton a récolté les récompenses de meilleur scénario (Karim Khedim), meilleur décor (Mohamed Boudi) et meilleure photographie (Ahmed Zine et Jean Philipouleau).
Une autre série télévisée remarquée, « Iimarat el hadj Lakhdar » (« L’immeuble de hadj Lakhdar »), diffusée pendant le mois de ramadhan 2007, a raflé la quasi totalité des autres prix: meilleur montage (Chérif Bakoura), meilleure musique et meilleur son (Vincia de Vière), en plus du prix du meilleur acteur pour Lakhdar Boukhars.
Hacène Boukerci est reparti avec le fennec d’or du meilleur second rôle masculin pour sa performance dans la série « Maâ el mehenni rouh m’henni » (« Avec el mehenni pars tranquille »).
Quant au meilleur second rôle féminin, il a été attribué à Razika Ferhane, pour son apparition dans la série « Hal wa ahoual » (« Situation et situations »).
Le prix du jury, présidé par le réalisateur Ahmed Rachedi, a été décerné à Mahdi Abdelhak pour le film « Arbeh ya khasser » (« Le perdant gagne »), et celui du public est allé à « Nass Mleh City » (« La +city+ des bonnes gens »).///Article N° : 7397