Si quelques auteurs reconnus, tel Nimrod, ont déjà écrit pour la jeunesse, trop peu d’auteurs du continent africain écrivant pour ce lectorat sont publiés. Le jeune auteur centrafricain Benoît Kongbo rejoint le club fermé de ceux qui font exception à la règle avec son premier roman pour adolescents paru chez l’éditeur français Oskar Editions connu, entre autres, pour ses ouvrages aux thématiques fortes (le racisme, la tolérance ) destinés à la jeunesse.
Les publications pour la jeunesse sont rarissimes en République centrafricaine à l’exception de la série des 10 albums pédagogiques pour enfants, Gipépé le pygmée, publié en 2006, réalisés par Didier Kassaï et Olivier Bombasaro. Jusque-là, peu de romans pour adolescents avaient été écrits par un auteur de ce pays. On peut citer un recueil de contes pour la jeunesse de Pierre Sammy Mackfoy, Papillon bleu et la Fille du diable édité par l’ACCT en 1989 et un roman jeunesse de Pierre Makombo Bamboté, Les randonnées de Daba, publié chez Edicef jeunesse en 1966 (1).
C’est donc avec un plaisir non dissimulé que l’on peut saluer la sortie du premier roman pour la jeunesse de Benoît Kongbo, Ali boum yé, le combat du siècle dans la collection junior de l’éditeur parisien Oskar jeunesse.
Jeune orphelin de 14 ans, Nago vit avec sa grand-mère qui l’élève tant bien que mal, en vendant des beignets au marché. Trop pauvre pour être scolarisé, Nago n’est jamais allé à l’école et traîne dans les rues de son quartier difficile de Walingba, sans projet d’avenir. Un jour, il voit au Méga Jet Li, le cinéma de la ville où travaille son cousin Ouagra, un documentaire, sur le combat de boxe victorieux de Mohamed Ali contre Georges Foreman à Kinshasa en septembre 1974 (2). Pour ce gamin paumé et en mal de repères, ce film est une révélation. Mohamed Ali sera son modèle et il deviendra boxeur comme lui !
Commence alors pour lui, une quête éperdue sur les traces de son héros. Entraînement intensif mais aussi recherche de moyens pour se payer un équipement et réaliser son rêve. Mais, pour se faire remarquer, Nago doit d’abord remporter « le tournant« , tournois de boxe local où s’affrontent les futurs espoirs de la ville, ce qui permet à l’auteur de décrire de très belles scènes de combat.
En 17 courts chapitres, Kongbo amène son jeune lecteur à travers les rues de Bangui, avec son français argotique mélangé de sangö, ses codes de la rue si particuliers. À travers son parcours, l’auteur dénonce la corruption des agents de police, la violence dans les prisons et les conditions de vie misérables d’une population centrafricaine livrée à elle-même sans pour autant verser dans l’afro pessimisme. L’auteur évoque aussi la grande solidarité qui règne entre ses personnages, solidarité qui permettra à Nago d’avancer et se construire. Car Nago reçoit bien des soutiens, celui de sa grand-mère, Tabitha, si digne et courageuse, celui de madame Simone qui lui trouve un travail dans sa gargote, celui de Ouagra, son cousin qui le suit et l’encourage ou encore celui du docteur Sherydan, jeune médecin expatrié occidental qui lui fera involontairement entrevoir un avenir différent de celui auquel il s’attendait.
Si Nago ne réalise pas son rêve, il trouvera tout de même une voie qui lui permettra de s’accomplir.
Roman initiatique, loin de tout misérabilisme, Ali boum yé est un texte porteur d’espoir et donne une image savoureuse de la vie urbaine d’Afrique centrale car « une histoire comme la sienne peut aider chacun à rêver sa vie (3) ». L’épilogue où Nago part en forêt, se marie et devient un « nganga » – un médecin traditionnel respecté – constitue un clin d’il au roman le plus célèbre de la littérature centrafricaine, Le silence de la forêt d’Étienne Goyémidé, mais sur une touche, cette fois-ci, plus positive (4). En renonçant à son rêve (devenir Mohamed Ali), Nago s’est trouvé et a acquis une certaine maturité qui lui permet de sortir grandi de cette aventure.
Cet ouvrage n’est pas le premier titre de Benoît Kongbo. Né en septembre 1979 à Bangui, il s’est d’abord intéressé aux arts plastiques (il a participé à plusieurs expositions comme peintre, dessinateur et céramiste) avant de se tourner vers l’écriture. Il est l’auteur de nombreux poèmes, nouvelles, romans et pièces de théâtre dont certains sont encore inédits. En mars 2004, il crée à Bangui le Centre Baobab, maison de jeunes à vocation culturelle, dont il est le directeur. Il publie un recueil de nouvelles, Balénguindi (2003), et un roman, Sous les tropiques du pays bafoué (2006), chez l’Harmattan (5). Dans ces deux premiers ouvrages, il évoquait déjà le monde de la rue, acteur essentiel de Ali boum yé. En mai 2006, il prend part au projet du collectif bilingue français-sangö initié par l’écrivain grec Vassilis Alexakis (6), Paroles du cur de l’Afrique, publié en France aux éditions du Jasmin en 2007.
La publication de son dernier roman marque une étape importante pour ce jeune auteur (7).
On peut aussi saluer le courage de la maison d’édition Oskar jeunesse qui, pour sa collection Junior, a offert sa chance à un jeune auteur africain inconnu. Cette initiative est suffisamment rare pour être soulignée. Elle sera suivie en 2009, toujours chez Oskar jeunesse, d’un autre roman écrit par le Centrafricain Romain Bally-Kenguet (avec Yves Pinguilly et Bernard boucher) : Les prisonniers du vent. Elle est surtout la preuve que le manque actuel d’auteurs dans des pays comme la République centrafricaine est bien plus le résultat d’un manque de structures éditoriales que d’un manque de talents individuels ou d’un désintérêt pour l’écrit (8). Dans un contexte politiquement et économiquement tendu, il est d’autant plus miraculeux que ce pays ait pu produire plusieurs écrivains reconnus comme Étienne Goyemidé, Pierre Sammy Mackfoy ou le poète Pierre Bamboté (9).
Conscient de cet obstacle, l’Alliance française de Bangui (présidée par Pierre Sammy Mackfoy) a soutenu la création, il y a deux ans, d’une petite maison d’édition, Les rapides, qui tente de faire émerger des textes et des auteurs, soit en cofinançant des projets, soit en leur apportant un soutien logistique.
C’est ce travail de fonds mené par le médiathècaire de l’alliance Vincent Carrière qui a permis la publication de plusieurs uvres depuis 2007. Ce fut d’abord le cas du recueil déjà évoqué, Paroles du cur de l’Afrique, né d’un atelier d’écriture, puis de l’album de BD L’odyssée de Mongou, dessiné par Didier Kassaï (qui a illustré la couverture de Ali boum yé), d’un recueil collectif de poésies, Dans le buisson de l’espoir, édité par l’éditeur camerounais Ifrikiya sur une initiative du poète Anne Cillon Perri (10), invité à Bangui par l’Alliance pour Le printemps des poètes 2008. Cet aparté n’est pas complètement inutile au moment où la France renie sa coopération culturelle et où l’on constate des réductions de budgets, une baisse du nombre des postes et un gel des projets en cours, ce qui ne sera pas sans incidences sur la Francophonie.
Dans ce contexte, un ouvrage comme celui de Kongbo est un ravissement pour les lecteurs, jeunes ou adultes, et un signe d’espoir pour l’émergence d’un réel courant littéraire en Centrafrique. Ce ne serait qu’un juste retour des choses pour ce pays qui a vu naître le premier « roman nègre » de l’histoire littéraire française : Batouala de René Maran. Un souffle est né, souhaitons qu’il persévère, la littérature de langue française a aussi besoin de la Centrafrique !
1. On peut également citer Georgette Koyt-Deballé qui auto produit des contes bilingues français-sangö qu’elle vend elle-même à Bangui. Le dernier numéro de la revue de La joie par les livres, Takam Tikou, lui consacre un article.
2. Le titre vient d’un slogan scandé par les supporters zaïrois de Mohamed Ali lors de ses footings en pleine rue de Kinshasa : Ali boma yé (qui veut dire Ali, tue le ! en lingala).
3. Dernière phrase du livre en page 180.
4. Dans le roman de Goyémidé (qui a fait l’objet d’une adaptation cinématographique en 2003), le héros était rejeté par le village de pygmées et repartait en ville, amer.
5. Kongbo a fait l’objet d’un article dans le N°158 de la revue Notre librairie en tant que « plumes émergentes ».
6. Vassilis Alexakis a écrit en 2002, Les mots étrangers, bel ouvrage où il raconte son apprentissage du sangö et son séjour à Bangui.
7. Son blog est sur http://lecombatdusiecle.over-blog.com.over-blog.com/
8. Espérons qu’un jour on pourra définitivement tordre le cou à cette fameuse assertion comme quoi la soit-disante culture africaine de l’oral s’opposerait à la diffusion de l’écrit sur le continent.
9. Qui vit de nos jours au Canada.
10. Fondateur de la loge poétique de l’assoumière qui a hébergé benoît Kongbo en résidence d’écriture durant l’été 2008. Cf leur site : http://assoumiere.wordpress.com/2008/08/11/ecrire-de-lassoumiere/Ali boum yé, le combat du siècle de Benoît Kongbo – Oskar jeunesse : Junior, Octobre 2008 – 12,95 . ISBN : 978-2-3500-0352-8///Article N° : 8457