Un festival important est en train de naître. Le deuxième Festival des cinémas d’Afrique du pays d’Apt représente un modèle de convivialité et d’implication régionale. Quelle potion magique ?
Apt est une petite ville de Provence (Sud-Est de la France) de 12 000 habitants où l’Afrique est une histoire lointaine : rien ne la prédispose à s’intéresser particulièrement au continent oublié. Et pourtant, durant cinq jours, les salles du César, le seul cinéma local, sont pleines à craquer sur des films africains et le public reste jusqu’à des heures tardives aux débats. 3000 spectateurs se pressent ainsi sur 14 séances. Personne n’est blasé ici : comme souvent dans les rencontres provinciales, les questions témoignent d’une rare qualité d’écoute et d’une vraie volonté de connaître et de comprendre.
Quels sont donc les ingrédients qui font du festival d’Apt une réussite ?
Le terreau a sans doute son importance. Non seulement des acteurs impliqués dans les cinématographies ou l’art africains habitent dans le pays d’Apt, qui mobilisent leur carnet d’adresses et font tous profiter de leur connaissance du milieu (1), mais aussi des associations locales se battent pour établir une relation permanente avec l’Afrique, que ce soit l’association Actions africaines financée par la fondation Jean-Paul Blachère (2) ou le comité de jumelage Apt-Bakel, ville de l’Est sénégalais ou encore l’association Le Goût de lire en Pays d’Apt. Le festival est ainsi leur projet commun ainsi que de l’association Projections qui anime le ciné-club au César, l’unique cinéma aptois. Cela se sent dans les débats : une connaissance s’affirme que les expressions culturelles africaines vient enrichir et mobiliser.
La qualité de la programmation n’est pas indifférente au succès public : le festival le fidélise par une sélection exigeante lui offrant de vraies émotions de cinéma souvent renforcées par des débats avec les réalisateurs. On vit ainsi se succéder cette année à Apt Safi Faye, Rahmatou Keïta, Moussa Touré, Mahamat Saleh Haroun, sans oublier le producteur Toussaint Tiendrebeogo et l’actrice Naky Sy Savané. L’ouverture avec Safi Faye qui présentait Mossane fut ainsi un grand moment, tant ses réponses furent vibrantes de concision, de clarté et de détermination.
Une magnifique mobilisation des enseignants a rempli les salles de séances scolaires tout au long du festival. Ce qui se passe là est tellement porteur d’avenir dans les compréhensions qui s’ouvrent par le contact direct avec les réalisateurs répondant aux questions souvent très directes posées par les élèves qu’on ne peut qu’être ému tant cela retourne efficacement les images misérabilistes colportées par les reportages télévisés. Enthousiastes, les jeunes font venir leurs parents aux séances du soir.
Si la mayonnaise prend si bien, c’est sans doute aussi grâce à des actions parallèles qui viennent enrichir la relation : un film se tourne sur le thème du festival 2004 « Regards de femmes » sur un financement du CNC, Moussa Touré tourne lui-même un documentaire à partir de témoignages d’élèves sur leur vécu familial et de jeunes, la plasticienne congolaise Bill Kouélany expose ses uvres au Vélo théâtre, lieu de rencontre du festival, centre culturel bourré de convivialité ouvert en permanence et toujours prêt à offrir un thé ou un repas original et plein de santé. C’est le type même du lieu qui manque souvent aux grandes machines festivalières : toute l’équipe et les invités se retrouvent pour un repas convivial à midi et qui plus est délicieux, et le soir, c’est tout le public qui peut venir picorer des plats variés.
Le travail de Bill Kouélany est remarquable : il nous rappelle à quel point les arts plastiques sont toujours en avance sur le cinéma. Quel réalisateur congolais a aujourd’hui pu déjà exprimer le désarroi, la brisure, le déchiquetage de l’individu dans la guerre qui a ravagé le pays, faisant fuir la presque totalité de la population de Brazzaville dans la forêt, si inhospitalière que beaucoup y sont morts de faim ou de maladie quand ils n’avaient pas été pillés ou violés par les bandes de profiteurs. Installation 2003, sans titre, fait à partir d’arrachement, de collage, de couture sur toile, témoigne ainsi par sa plastique comme par ses matériaux et son mode de réalisation combien la guerre déchire en morceaux. C’est plus qu’un témoignage : c’est un cri et une accusation. C’est aussi l’intime de l’être qui est mis à jour, bras arrachés, jambes coupées, à plats de couleurs rouges ou bleues se détachant du noir et blanc. C’est à vif et c’est là. C’est à la fois la réalité et sa métaphore, le ressenti mis en forme à défaut d’être mis en image. Car le cinéma demande lui aussi de la métaphore pour venir à bout du deuil que peut ressentir l’être en guerre. Et cela prend du temps. Davantage que les plasticiens qui peuvent non seulement réagir sur le vif mais aussi sans les restrictions de production et de financement. Dans cette liberté se joue une avant-garde réelle qui se manifeste par une exploration de la forme.
On peut souhaiter que le festival trouve davantage d’occasions de mettre ce superbe travail en avant à sa prochaine édition, tant cet éclairage plastique apporte lui aussi à la compréhension des films et à celle de l’Afrique.
Il y a sans doute encore d’autres ingrédients à la recette : implication de la municipalité et des collectivités locales, soutien d’organismes nationaux, invitation de personnages clefs etc. mais ce qui fait prendre la mayonnaise festival reste incontestablement l’engagement d’une équipe motivée dans une belle convivialité. Cela se respire et le froid d’hiver qui était tombé sur la Provence durant ces journées ne pouvait rien contre la chaleur intense d’une belle rencontre entre une équipe et son public autour des cinémas d’Afrique.
1. Pour connaître les acteurs et financeurs, cf. sur ce site l’article écrit sur la première édition du festival (Apt 2003).
2. cf sur ce site le compte-rendu des ateliers de Joucas (résidences d’artistes africains et exposition).///Article N° : 3596