Au nom de la liberté (Catch a Fire)

De Phillip Noyce

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Un thriller politique : c’est ainsi qu’est racontée la vie bien réelle de Patrick Chamusso, qui fut combattant de la branche armée de l’ANC, le MK (Mkhonto we Sizwe, la « lance de la nation ») et a finalement passé dix ans à Roben Island, la prison où Mandela en a passé vingt-sept. Chamusso est passionné de foot, a un bon job et aime sa femme et ses deux filles. Il ne s’occupe pas de politique et ne danse même pas avec les autres lorsqu’une bombe du MK éclate dans la raffinerie où il travaille. Ce sont les années 80, à l’époque où les émeutes contre l’apartheid font de plus en plus de victimes et où le pays est condamné et boycotté à tous niveaux. Soupçonné, Chamusso est torturé et sa femme violentée. Libéré mais révolté, il s’engage pour l’ANC et tente de faire exploser la raffinerie.
Patrick Chamusso est un véritable héros de la lutte contre l’apartheid et son histoire emblématique de la révolte d’un homme ordinaire avec qui tout spectateur est invité à s’identifier. Son mode de vie modeste est comparé à celui du colonel de la police chargée de la sécurité qui s’acharne sur lui, et le film s’attarde volontiers chez l’un ou l’autre, au point de faire participer Chamusso au repas familial de la confortable villa du policier. L’un et l’autre sont des personnages traités avec une certaine complexité, même si les accents humains du colonel qui tempère les brutes de ses services restent bien limités. Tout est fait en somme pour que le film tourne autour de l’affrontement de deux logiques mais que perce en même temps l’annonce des temps à venir. Le colonel confiera d’ailleurs en aparté à Chamusso que les Blancs sont trop minoritaires pour tenir encore longtemps le pays. C’est donc une Afrique du Sud qui commence à envisager le changement que documente le scénario de la Sud-africaine Shawn Slovo qui avait déjà écrit celui de Un monde à part de Chris Menges (1987).
La priorité donnée aux scènes d’action ne permet cependant pas de donner force à cette thématique : à quoi sert aujourd’hui de revenir sur l’Histoire tragique du pays si ce n’est pour éclairer comment elle détermine les comportements actuels ? Au nom de la liberté est un film qui restaure la mémoire d’un combattant d’autant plus sympathique qu’il saura pardonner à celle qui l’a dénoncé et qui a depuis adopté 80 orphelins dont il s’occupe avec son épouse. Il apparaît réellement à la fin du film, le générique faisant place à son récit et sa rencontre avec Luke Derek qui interprète son rôle. Mais en cadrant son histoire dans les règles du cinéma de genre, il n’est pas sûr que ce film lui rende vraiment hommage. Coincé dans la reconstitution historique, Chamusso est le combattant d’une guerre de libération terminée et non le héros moderne susceptible de mobiliser les jeunes générations une quinzaine d’années après la fin de l’apartheid. La maîtrise technique du thriller captive et distraie mais schématise le temps passé sans dire grand chose pour le temps présent. Je doute que ce genre de cinéma fédère les esprits dans l’actuelle Afrique du Sud autour d’une unité nationale comme avaient pu le faire les films algériens après la victoire du FLN. Même à grands coups de violons pour souligner l’engagement de la lutte. La musique du Sud-africain Philip Miller (qui a composé celles de la série télé Yizo Yizo mais aussi de Forgiveness, Max and Mona ou The Flyer) prend tout autant d’ampleur quand un des jeunes du club de foot de Chamusso marque un but.
Cette distance est accentuée par l’internationalisation de la production : un réalisateur australien, les deux acteurs principaux américains, des producteurs britanniques, des chefs opérateurs américain et australien, une chef monteuse australienne etc. Les acteurs ont dû s’entraîner pour prendre l’accent sud-africain et sauf quelques passages, tout le film est tourné en anglais. On voit ainsi l’Histoire du pays représentée à gros budgets par des sensibilités extérieures qui, de surcroît, se cantonnent strictement aux règles du marketing et font donc un produit très professionnel mais d’une forme parfaitement conventionnelle. Quels débats peut bien provoquer un tel film en Afrique du Sud si ce n’est une éloge générale conforme au sujet ? On est loin des questions de mémoire et de deuil soulevées par exemple par Zulu love letter de Ramadan Suleman. Si Chamusso est un héros, c’est parce qu’il l’est encore aujourd’hui, avec ses 80 orphelins à la maison ! Mais cela, le film ne fait que l’évoquer. Dommage, dommage.

///Article N° : 5772

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