L’animation profite de la liberté de sa distance au réel et de sa représentation sans contrainte des décors pour allier invention et poésie. C’est le pari gagné de Chico et Rita, un vrai bijou qui réjouit et laisse des traces.
Il y a d’abord la musique, sa raison d’être : l’Espagnol Fernando Trueba a retrouvé à Stockholm Bebo Valdés, pianiste, chef d’orchestre, compositeur et arrangeur cubain tombé dans l’oubli. En produisant l’album Lagrimas negras, enregistré avec le chanteur de flamenco Diego « El Cigala », il l’a sorti de l’ombre et lui a ouvert la porte de multiples enregistrements et concerts, et même celle d’un Grammy Award. Il l’avait aussi filmé en situation dans Le Miracle de Candeal, une favela de Salvador de Bahia. (cf. critique [n°3947])
Baigné de sa musique et de sa passion, le film sera son histoire, arrangée pour être en même temps celle de la musique cubaine, celle de cette génération de musiciens magnifiques que Wim Wenders avait immortalisé avec son complice Ry Cooder dans Buena Vista Social Club. La résurrection de Bebo Valdés est semblable à celle de Cachao, qui avait popularisé la mambo aux Etats-Unis dans les années 50, et qui refera une carrière jusqu’à sa mort en 2008 après avoir été produit par l’acteur Andy Garcia.
C’est donc en égrenant les souvenirs d’une belle histoire que Chico et Rita nous plonge dans la nostalgie d’une musique et d’une époque, nostalgie de nos passions amoureuses aussi puisque le pianiste et la chanteuse s’aimeront férocement malgré les jalousies, la politique, le racisme et le pouvoir de l’argent qui ne cessent de les séparer. Ils côtoieront du beau monde auquel le film fait le cadeau de la fraîcheur de nouveaux enregistrements plutôt que de rester une compilation de vieux morceaux : le saxophoniste cubain Germá Velazco interprète Charlie Parker, Michael Philip Mossman joue Dizzy Gillespie, Jimmy Heath incarne Ben Webster, Nat King Cole est interprété par son propre frère Freddy Cole, Pedrito Martínez joue Miguelito Valdés et Chano Pozo est incarné par le percussionniste cubain Yaroldi Abreu. En plus de jouer leur musique, ils leur on prêté leur voix ! Mais c’est bien sûr Bebo Valdés qui domine le film, sans cesse au piano, pénétré par les sonorités du jazz que les musiciens cubains influencent à leur tour avec leurs rythmes latinos et africains.
L’aller-retour La Havane – New York oppose les couleurs cubaines enflammées à hauteur d’homme aux ombres monochromes des gratte-ciels de la métropole striée de publicités. Javier Mariscal a travaillé ses dessins à partir des photos des archives de La Havane et ça se sent : les décors tant intérieurs qu’extérieurs émerveillent et appuient considérablement la crédibilité du récit et la force poétique du film. La stylisation des personnages met leur gestuelle en avant et renforce le rythme et la fluidité des images. Leur sensualité transparaît, que la musique amplifie. Elle est préservée par l’utilisation des dessins « à l’ancienne » : ce travail d’artisan rappelle davantage Persepolis ou Valse avec Bachir que les froides prouesses des images de synthèse actuelles.
Magnifique boléro syncopé, histoire d’amour de deux Espagnols pour la musique cubaine, Chico et Rita émeut et enchante à tous niveaux.
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