Ils sont huit. Huit chorégraphes et danseurs du continent africain qui, en septembre dernier, ont partagé une résidence de création à la Villa Médicis de Rome. Une triple première : pour la première fois, l’Académie de France s’ouvrait aux activités chorégraphiques ; pour la première fois, elle accueillait des artistes africains ; pour la première fois, huit créateurs tentaient un audacieux pari : réaliser une performance conçue et interprétée collectivement dans les jardins de la Villa.
Le résultat le 15 septembre au soir, sur une partition commandée à deux musiciens pensionnaires, Malik Mezzadri et Gilbert Nouno, fut dans ses surprises comme dans ses réussites à la hauteur du travail accompli. Pourtant, rassembler sur un même projet ces huit artistes semblait un véritable défi tant ils sont divers dans leur parcours et leur formation. Le Tunisien Radhouane El Meddeb est venu à la danse par le biais du théâtre. Ses compatriotes Saifeddin et Oumaima Manaï sont passés par le Sybel Ballet Théâtre fondé par Syhem Belkhodja, à Tunis, avant de se former l’un à la danse contemporaine au Centre national de la Danse (CNDC) d’Angers, l’autre au Performing Arts Research and Training Studio (PARTS), l’école que dirige Anne Teresa de Kersmaeker en Belgique. Le hip hopeur algérien Ahmed Khemis, ancien élève lui aussi du Sybel Ballet et du CNDC d’Angers, a été interprète dans les compagnies de Montalvo-Hervieu, Georges Momboye, Akhram Khan, Salia Sanou et Seydou Boro. La Haïtienne Kettly Noël, auteur reconnu de nombreuses pièces, est la fondatrice à Bamako de l’Espace et de la compagnie Donko Seko, qui organise chaque année le festival Bamako Dense Bamako Danse. Le Malien Aly Karembé est l’un de ses ex-élèves, devenu depuis formateur et passé à la création en solo. La Sud-Africaine Nelisiwe Xaba a travaillé avec Robyn Orlin et dans des compagnies londoniennes contemporaines. Enfin le Malgache Junior Zafialison, lauréat de la dernière biennale Danse l’Afrique danse, a été formé en danse classique, africaine et hip hop avant de s’initier au contemporain chez Bernardo Montet à Tours. Rien de commun entre eux, donc, sinon une même origine africaine et la volonté d’échanger ensemble expériences et pratiques dans un lieu choisi.
L’idée de cette collaboration inédite est due au responsable du mécénat et des activités chorégraphiques de l’Académie de France, Karim Maatoug. Né en Tunisie, de formation scientifique, ce fan de cinéma fait à Tunis la rencontre de Sihem Belkhodja qui dirige l’École de cinéma et est enrôlé dans l’organisation des premières Rencontres de Carthage. Après avoir enrichi son parcours d’un Diplôme d’études spécialisées (DESS) de management culturel à Paris, Karim travaille notamment pour Cultures France, où il s’occupe de la biennale Danse l’Afrique danse. En poste depuis trois ans à la Villa, il a souhaité, avec l’appui du directeur Éric de Chassey, lui-même amateur de danse, rendre hommage aux artistes africains et faire connaître leur travail. S’appuyant sur les trois missions dévolues à l’institution romaine : résidence d’artistes, programmation culturelle et mise en valeur du patrimoine de la Villa, il a convié huit danseurs et chorégraphes à s’inspirer des lieux pour créer en commun une proposition unique. Confrontant à dessein les « pionniers » – Kettly Noël, Nelisiwe et Radhouane – à la jeune génération, pour susciter de nouvelles perspectives, il a misé sur la force d’un travail de groupe. Le résultat escompté n’était pas seulement d’ordre artistique : il s’agissait aussi de « créer des liens pour renforcer les réseaux et institutions existants ». De plus, le rayonnement hors les murs de la manifestation devait contribuer à faire exister, aux yeux des spectateurs italiens, une danse contemporaine africaine jusqu’alors quasiment ignorée. D’où l’idée de doubler l’événement par une série de représentations en plein cur de Rome, les 19, 20 et 21 septembre, où chacun des chorégraphes a interprété un solo. Selon Éric de Chassey, pareille initiative répond tout à fait à la vocation de développement culturel de l’Académie : « La composante africaine de la population italienne et française appelle aujourd’hui un regard croisé », explique-t-il. « Nous avions envie de montrer ce qui bouge sur ce continent, d’offrir une vision dynamique à un paysage culturel romain en pleine mutation. ». Signe de son acuité, la démarche a aussi suscité l’intérêt de la fondation Total dont la déléguée générale, Catherine Ferrant, était venue à Rome suivre la manifestation.
Après un premier temps de mise en commun des idées et intentions, les répétitions – chaleur romaine oblige – se sont déroulées dans le Grand Salon ouvrant sur la Loggia plutôt que dans les jardins écrasés de soleil. Dans une ambiance d’expérimentation permanente, les points de vue chorégraphiques se sont confrontés. Tandis que Nelisiwe Xaba trouvait « difficile et compliqué de travailler avec d’autres créateurs », Radhouane constatait : « La générosité du don physique, l’exhibition de soi ne suffisent pas. Je suis pour une danse qui porte du sens, de la pensée, de la dramaturgie, et j’essaie d’apporter ici un fil narratif. De réaliser l’unité. ». Au jour J, pourtant, toutes les tensions semblaient s’être miraculeusement résorbées. Le spectacle in situ alternait les interventions dansées des uns et des autres au fil d’un parcours entre allées et bosquets. On retiendra quelques moments forts, comme ces images troublantes de Junior chevauchant successivement les chevaux de marbre des jardins, Ali plongeant dans la fontaine de pierre, ou les huit évoluant ensemble dans le parterre central. En mettant en commun leur écriture et leurs références, tous ont donné à voir une large palette des expressions chorégraphiques en provenance d’Afrique, et fait la démonstration d’une danse impliquée, ouverte sur tous les ailleurs.
L’aventure, c’est probable, aura des suites fructueuses. Ne serait-ce qu’en suscitant – pourquoi pas ? – la venue d’artistes africains parmi les pensionnaires, comme l’espère le directeur de la Villa, qui souligne : « Les candidatures sont ouvertes à tous, étrangers compris. Il suffit juste de parler français ! »
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