De la samba à la bossa-nova

Entretien de Salomé Kempf avec Yves-Charles Guenoun

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Se définissant comme un « amateur passionné », Yves Charles Guenoun, pianiste de talent, vit à Marseille où il entretient, depuis trente ans, sa passion sans cesse renouvelée pour la musique brésilienne. Il aborde ici les styles musicaux dont les racines sont africaines mais l’émergence et le vécu foncièrement brésiliens.

D’où vient votre coup de foudre pour la musique brésilienne ?
En 1967, j’ai découvert la musique brésilienne grâce à la bande originale du film « Un homme et une femme » de Claude Lelouch ! L‘Astrud Gilberto album, avec Tom Jobim, Joao Gilberto, Astrud et Stans Getz m’offrit ensuite mon premier contact avec la bossa-nova. Cette même année, une amie brésilienne revenant du Carnaval de Rio, tout en insistant sur le caractère un peu trop américain de l’album de Stans Getz, me prêta le premier volume de la collection « Elenco » avec Vinicius de Moraes, Baden Powell et Odette Lara, qui fit sur moi un effet d’électrochoc, tout particulièrement la « samba de préludio » qui mêle à merveille poésie et d’harmonie musicale.
Et aujourd’hui ?
Comme pour la plupart des gens qui se sont passionnés pour la Musique Populaire Brésilienne ou MPB, je ne l’ai jamais abandonnée. C’est une musique hospitalière, d’une richesse infinie, source pour moi d’un plaisir permanent et inassouvi.
La musique urbaine, surtout carioca, a permis à des musiciens du monde entier d’y entrer et de s’y exprimer. Je suis arrivé à pouvoir accompagner des chanteurs brésiliens, ça a été une manière de rentrer dans l’univers de la MPB et de vivre intensément la rencontre avec cette musique qui m’alimente depuis bientôt 33 ans.
Et votre rencontre avec le Brésil et plus particulièrement avec Rio de Janeiro, capitale de la samba et de la bossa-nova ?
Je suis allé au Brésil pour la première fois en 1978, j’y suis retourné en 1982 puis en 1991, invité par des musiciens pour rencontrer la Velha guarda da Portela*. Tous mes voyages ont été rythmés par mes rencontres avec des musiciens brésiliens. En 1999, je suis allé pour la première fois dans une école de samba, pendant le Carnaval. J’y ai compris que pour les Brésiliens, il y avait trois dimensions au Carnaval : le carnaval en tant que fête, les écoles de samba et, la samba lui-même en tant que musique et danse – la samba étant le mode d’expression prioritaire au Brésil. En revanche, quand on parle des école de samba, telle que « Mangueira » ou « Portela », on se réfère en même temps aux quartiers de Rio de Janeiro qui les ont vu naître et où elles demeurent. Les écoles de samba ont été créées dans les années trente comme lieu où pouvaient s’exprimer à travers les chants et la danse, les habitants – majoritairement noirs – des quartiers populaires de Rio. Suivant une tradition orale dans les écoles de samba, on a toujours appris par convivialité et non par technicité. Le but ultime de l’école de samba est de préparer le défilé qui a lieu pendant le Carnaval. Les écoles de samba rivalisent alors à partir de leurs costumes, chorégraphies et chants. En tant qu’épine dorsale du Carnaval, le défilé est un merveilleux spectacle de l’éphémère.
Mais le Carnaval ne se limite pas au défilé. Il s’agit aussi de la plus grande fête brésilienne préparée dans tout le pays, par tout un chacun, avec soins. Les préparatifs, se déroulant tout au long de l’année sont également le prétexte à de nombreuses fêtes. Ainsi, le Carnaval est une expression festive de l’âme et de la culture brésiliennes.
Comment la samba est-elle née, et a évolué de ses origines bahianaises jusqu’à son expression carioca** ?
Personnellement, la samba, grâce à des images anciennes de films sur le Carnaval, a été pour moi une façon particulière et innovatrice de mettre le corps en branle : « danser la samba me plaisait ». Au Brésil on raconte qu’à la fin du XIX° siècle, il y avait de la musique d’origine européenne, telle que la polka, la masurka et les valses, qui coexistait avec des rythmes musicaux, originaires d’Afrique et pratiqués essentiellement par des esclaves et leurs descendants. A cette époque, il se créait à Rio une manière totalement nouvelle et syncrétique d’entendre et de jouer de la musique européenne : le « chorinho », première musique élitiste foncièrement brésilienne. Dans le même temps, il y eut une migration importante de populations bahianaises vers Rio. Les Bahianais ramenaient avec eux une danse d’origine africaine, le « batouque », pratiquée dans les « Rodas de samba ». Ces dernières étaient des réunions musicales où musiciens et danseurs formaient une ronde et allaient à tour de rôle réaliser un solo de chant et de danse à l’intérieur du cercle. Pour signaler que l’on avait terminé son solo, on donnait un coup de nombril en face du suivant afin de l’inviter à prendre le relais selon un mouvement connu sous le nom de « umbigada » ou « semba ». Ces danses populaires furent au départ censurées, voire proscrites en tant que manifestations de Noirs et d’esclaves, tout comme la religion afro-brésilienne ou « candomblé ». Les gens se réunissaient donc de façon clandestine chez des dames d’origine bahianaise qui étaient souvent des prêtresses du culte du « candomblé ».
Ils disaient : « allons faire un samba chez tantine seata« . Le quartier de Rio où vivaient et se réunissaient les Bahianais était appelé la petite Afrique, actuellement située dans la zone nord de la ville. Ainsi, les Bahianais se réunissaient plus ou moins en cachette pour pouvoir pratiquer leur musique et leur religion – ce qui explique d’ailleurs la composante sacrée qu’a eu à l’origine la samba.
En 1917, désirant graver une chanson sur Vinyl, plusieurs musiciens habitués à fréquenter ces réunions festives, dont Monsieur Donga, l’enregistrèrent à la préfecture sous le terme de « samba ». Ainsi, comme déclaration de genre musical, la samba naquit à Rio ce jour là.
Trente ans plus tard, dans les quartiers chics et de classe moyenne, situés dans la zone sud de Rio de Janeiro, a vu le jour une des expressions les plus connues de la samba : la « bossa-nova ». Le mot en lui-même, utilisé pour la première fois lors d’un concert organisé par une association d’étudiants, signifiait « nouvelle vague ». La bossa-nova caractérisait le nouveau style musical des années 1940-1950. Ce qui se passe à ce moment là, comme pour la samba, est à la fois une histoire liée à la géographie et à un style musical.
Cette histoire prend ses origines à Copacabana au sein de la classe moyenne. Le genre qui s’impose alors est conditionné à la fois par l’expansion démographique et le carcan urbain (dans un appartement, il fallait forcément jouer moins fort). Les instruments utilisés à la base sont le piano et la guitare qui accompagnent un chant fait de retenue. La bossa-nova est donc le fruit de l’association du jazz, écouté par la classe moyenne à ce moment là, et des rythmes plus populaires de la samba. Autrement dit, elle est née en tant que « samba de chambre » dans l’appartement de l’édifice « Eliseu » où vivait Nara Leao, la tantine Seata de ce genre musical. C’est en effet chez elle qu’au début se réunissaient les musiciens et les compositeurs de la « nouvelle vague ». Pour conclure, on pourrait dire qu’il s’agissait des accords du jazz mis au service de la samba dans un appartement de la zone sud de Rio ».
La bossa-nova et la samba sont alors des styles musicaux brésiliens nés de régions différentes et de rencontres humaines ?
Oui, la musique brésilienne est une musique conviviale avant tout. Selon Vinicius de Moraes, grand compositeur et qui fait partie des fondateurs de la bossa-nova, « a vida é a arte do encontro » (la vie c’est l’art de la rencontre) !

* Vella Guarda da Portela : ensemble des musiciens et chanteurs faisant partie des fondateurs de l’école de samba da Portela.
** Carioca : (nom) habitants de Rio de Janeiro ; (adjectif) qui se rapporte à cette ville
///Article N° : 1676

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