Débats-forums Fespaco 2023 / 9 : Salam Zampaligre parle de Le Taxi le Cinéma et Moi

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Le réalisateur burkinabé présentait en compétition officielle au Fespaco 2023 son film Le Taxi le Cinéma et Moi. Il fût invité à en parler avec la presse et les professionnels lors des débats-forums. Transcription résumée.

Annick Kandolo : Le taxi le Cinéma et Moi raconte l’histoire de Drissa Touré, un chauffeur de taxi devenu cinéaste. Drissa Touré, que l’on ne présente plus, a réalisé des films qui sont inscrits dans le patrimoine cinématographique burkinabé et africain. Contrairement à tous vos autres films, celui-ci a été en grande partie écrit avec d’autres personnes. Comment est-ce que l’exercice de réaliser pour la première fois un film qui n’est pas uniquement vôtre s’est fait ?

Samba Zampaligre, photo Olivier Barlet, Fespaco 2023

Salam Zampaligre : Drissa Touré, je le connaissais à travers ces œuvres que l’on a étudiées à l’école mais je ne le connaissais pas en tant que tel. Lors d’un café-cinéma, il a été invité pour présenter son film et j’avoue que j’ai été touché par ce grand monsieur parce que là, je le rencontrais physiquement. Il y a aussi eu un reportage sur France Ô et inconsciemment c’est resté dans ma tête. Mes amis et moi nous sommes dits que nous devions faire quelque chose pour lui. Il faut dire que l’on n’a pas commencé par une écriture parce je suis allé dans sa ville et je l’ai interviewé. Cela a aidé pour l’écriture et j’avais aussi besoin d’avoir le regard de mes collègues et camarades. C’est ça aussi le cinéma, qu’est-ce qu’on pouvait faire de mieux pour rendre hommage à ce monsieur ? Ça a été une coécriture entre Ousmane, Moussa, Martina et moi : nous sommes associés au sein du collectif Génération Films. En tout cas ça a été l’élaboration ; chacun a apporté sa touche.

Madina Diallo : On a l’impression qu’il n’a pas livré tous ses secrets…

Dévoiler sa vie devant une caméra n’est pas évident. Je pense que les deux premiers jours étaient compliqués, il était dans l’hésitation : “Est ce que je me donne à fond ou pas ?”. Je pense qu’il a compris que j’étais impressionné aussi, que mon objectif c’était de lui rendre hommage. J’ai pleuré à plusieurs reprises et il a compris et vu que c’était vraiment sincère. Je pense que la difficulté de parler de sa vie, c’est par rapport à l’histoire de sa femme aux Etats-Unis. Il a mis deux ans avant de pouvoir en parler, mais c’est venu de lui. Pour ce projet, ça fait quatre ans que je fais des allers-retours !

Olivier Barlet : Je me souviens que Haramuya avait beaucoup dérangé. Je l’avais interviewé à ce propos. Avec ce film, on voit un nouvel homme, passé par beaucoup d’épreuves et qui a gagné en spiritualité, pas toujours facile à suivre. Comment as-tu géré cela dans le déroulement du tournage et au montage ?

Il faut dire que ce tournage a créé une sorte de complicité entre Drissa et moi parce qu’il m’a pris comme ce “jeune cinéaste qui va l’emmener ailleurs” ; il a des projets, il pense que ce film va le relancer, qu’il aura une sorte de renaissance. Cette complicité a fait qu’il s’est lâché, il parle de spiritualité, il dit qu’il n’est pas très religion. L’épreuve avec sa femme a beaucoup joué sur l’homme. Ça fait plaisir de voir Drissa aussi heureux, avec des projets. Il a vraiment envie de faire un film, notamment pour ses trois enfants qu’il a eu à 60 ans.

Annick Kandolo : Cet espoir n’est-il pas une charge pour vous, avec la peur que cet espoir soit déçu ?

C’est vrai qu’il donne souvent à voir un monsieur fragile mais je pense que Drissa est fort parce que c’est toujours le Drissa Touré de vingt ou trente ans, plein d’espoir. La vraie problématique avec Drissa, c’est qu’il a besoin d’une personne et/ou un producteur qui puisse le comprendre.

Vous pensez que vous allez vous engager à l’aider dans ce sens ?

Je pense que le film est un véritable tremplin parce qu’il a renoué avec le cinéma et des hommages sont organisés. Mon espoir est peut-être qu’il puisse rencontrer de bons producteurs parce qu’il faut une affinité, une personne qui puisse comprendre la philosophie de Drissa pour pouvoir travailler avec lui. J’ai bon espoir que cette perle rare soit là pour l’aider dans ses projets de longs-métrages.

Question de la salle : Vous vous êtes accroché à un personnage qui n’est pas facile. Quels sont les éléments de sa philosophie ?

Drissa Touré s’est construit lui-même. Ses éléments philosophiques n’ont jamais changé. Il s’est forgé lui-même et il est très cultivé. C’est la persévérance qui l’a aidé à réussir les projets qu’il avait. Il est très endurant vu toutes les épreuves qu’il a pu vivre.

Question de la salle : Vous parlez de renaissance chez Drissa, j’aimerai avoir un peu plus d’informations.

Vous avez vu quelques scènes dans le film : il y a une grosse précarité dans sa vie. Comment peut-on gravir les marches à Cannes et aujourd’hui se retrouver aussi bas ? Drissa a dû courir après les gens, y compris ses camarades. Aujourd’hui, après ce film, ce sont ces mêmes gens qui courent après lui. A présent il rayonne et c’est une forme de renaissance.

Olivier Barlet : On parle de spiritualité mais sa religion à lui, c’est le cinéma. Sa manière de se restructurer après avoir plongé, c’est de retourner au Fespaco pour le cinquantenaire du festival.

Drissa, c’est un vrai passionné. Aux Etats-Unis, il dit à sa femme qu’il veut rentrer et lui répond qu’elle a sa vie ici : « Si tu veux, tu rentres, mais moi je reste aux États-Unis ». Il ne prend même pas de sac, seulement l’avion pour revenir au pays et rejoindre une salle de cinéma ; c’est comme s’il se réhabilitait lui-même. J’aurai pu titrer le film “Drissa le passionné” ; le cinéma l’a toujours suivi, même aujourd’hui à 71 ans. Il a toujours la même énergie qu’il y a 30 ans.

Annick Kandolo : Dans accès aux guichets de financements, est ce que vous ne pensez pas que vous pourriez avoir un rôle à jouer ?

Est ce qu’il à forcément envie de travailler avec nous ? C’est un peu ça la question. On lui a fait comprendre qu’après avoir fait le film nous allons le produire, mais nous avons aussi la responsabilité de savoir si nous allons arriver au bout. Je pense qu’on va lui laisser le choix de trouver un producteur mais nous l’accompagnerons toujours. Il veut laisser un patrimoine à ses enfants mais c’est vrai qu’il est déjà âgé.

Salle : Manoel de Oliveira avait plus de 100 ans et faisait encore des films. Il y a toujours de l’espoir ! Il semblerait que le noeud de sa vie est ce qui s’est passé aux États-Unis.

Je n’ai pas monté tout ce qu’il m’a dit sur l’histoire de sa femme. Cela l’avait tellement déstabilisé qu’il n’a plus réussi à écrire et à lui faire confiance, mais jusqu’à aujourd’hui, il n’a jamais dit qu’il en voulait à sa femme. Il est parti : il avait besoin d’une reconstruction qui s’est faite au pays.

Merci à Sara Adriana ALBINO pour sa transcription

 

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