Découvrir, accompagner et promouvoir ici et ailleurs des dramaturges contemporains de Caracas à Cuba

Entretien de Stéphanie Bérard avec Danielle Vendé, directrice artistique de ETC_Caraïbe

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Danielle Vendé est la directrice artistique de l’association ETC_Caraïbe (Ecritures Théâtrales Contemporaines en Caraïbe) fondée en 2003 par José Pliya et dirigée par le dramaturge martiniquais Bernard Lagier depuis 2005. ETC a pour but de faire découvrir des auteurs dramatiques de la Caraïbe francophone, créolophone, anglophone, hispanophone et néerlandophone, et de promouvoir ces écritures contemporaines auprès des compagnies professionnelles par des lectures et des mises en espace ainsi que par des créations au sein des réseaux de théâtre nationaux et internationaux. Danielle Vendé nous parle de la formation des auteurs de la Caraïbe à travers des stages et des ateliers itinérants tout comme de l’importance que revêtent la publication des pièces (ETC travaille en partenariat avec les éditions belges Lansman) et leur traduction. Elle souligne aussi la vocation de l’association à organiser des lectures, rencontres et débats autour des dramaturgies caribéennes contemporaines et sa volonté de multiplier les collaborations avec le monde extérieur, notamment avec l’Amérique du nord (Etats-Unis et Canada).

Quand l’association ETC a-t-elle été créée et quels sont ses principaux objectifs ?
ETC a été créée en juillet 2003 parce qu’à la réponse « quoi de neuf au théâtre dans la Caraïbe ? » on s’entendait dire invariablement, non pas Molière, mais « Césaire ! ». Or, si l’influence du grand poète est indéniable dans les Antilles françaises, indéniable et il est vrai, parfois inhibante, la réalité et la vitalité du théâtre de la Caraïbe existent bien mais étaient méconnues et donc fortement absentes des scènes du monde. Nous avons eu envie de montrer qu’en anglais, en espagnol, en français, en créole et même en néerlandais, des auteurs écrivent un théâtre actuel, en prise avec son temps. Dès lors, les objectifs ont suivi naturellement : découvrir, accompagner, promouvoir ici et ailleurs ces dramaturges contemporains de Caracas à Cuba.
Pourquoi avez-vous décidé d’ouvrir votre projet à toute la Caraïbe ?
La Caraïbe est ce sixième continent, ce « nouveau monde », dont parle Walcott ou encore ce « Tout-Monde » que Glissant théorise. Politiquement ou d’un point de vue économique, c’est encore loin d’être une réalité. Nous travaillons avec des auteurs, des poètes dont on ne peut pas limiter l’imaginaire. Nous ne nous sommes même pas posé la question : cette association se doit d’être ouverte et à son humble niveau de participer à la concrétisation d’une Caraïbe ou les DOM dans leur spécificité font partie d’un monde géographique plus grand et d’une richesse créative plus grande encore. Cette politique est fondamentale pour ETC. Bien sûr, le travail se fait ensuite en fonction des îles et s’il est vrai que les plus gros efforts de formation et d’accompagnement dramaturgique se sont faits dans les DOM, nous effectuons la promotion de tous les auteurs caribéens de la même façon (lecture, traduction, édition…). Cet investissement commence à payer et les DOM, Guyane comprise, nous offrent ces derniers temps de belles promesses d’écriture.
D’où viennent majoritairement les auteurs dont vous recevez les pièces ?
La majorité des auteurs vient des pays hispanophones : Venezuela, Cuba, Porto Rico, Saint-Domingue. Sans doute parce que ce sont les pays ou les îles où les textes écrits trouvent presque tous les chemins de leur « verticalisation », de leur création. Un auteur, aussi talentueux soit-il dont les pièces ne sont pas jouées, montées, créées n’existe pas et finit par cesser d’écrire. Suivent ensuite les auteurs francophones d’outre-mer et d’Haïti.
Quels sont les critères de sélection des pièces primées ?
Le concours d’écriture théâtrale dont la vocation première était d’identifier les auteurs a d’abord été annuel. Aujourd’hui il fonctionne en biennale mais le principe est le même : les auteurs envoient une note d’intention et 15 pages dialoguées. Le comité de lecture de l’association lit toutes les pièces sur des critères précis relevant des mécanismes du récit dramatique. Huit à dix textes sont alors retenus par prix (prix du texte francophone, prix du texte non francophone, prix spécial outre-mer) puis un jury de lecteurs avisés, professionnels du théâtre et / ou de l’écriture, s’appuyant sur les critères d’originalité de la fable, sur la présence des rouages dramaturgiques et sur la qualité de la langue, sélectionne les lauréats.
Pouvez-vous nous parler de votre démarche d’accompagnement des auteurs (dans des stages ou en résidence d’écriture) ?
Le comité de lecture du concours réalise pour chaque auteur participant une fiche de lecture détaillée. C’est la base du travail. Elle est envoyée à l’auteur à l’issue du concours. S’il le souhaite, il lui est proposé un accompagnement, une aide personnalisée à la réécriture. Elle se fait généralement par courriel par un dramaturge au choix de l’auteur parmi la liste des dramaturges d’ETC_Caraïbe. De même, un grand nombre d’auteurs nous font parvenir leurs textes en dehors du concours, ils bénéficient alors du même type d’accompagnement. D’autre part, ETC_Caraïbe invite chaque saison des spécialistes de l’écriture dramatique (enseignants en conservatoire, metteurs en scène, éditeurs), des auteurs dramatiques de la Caraïbe mais aussi du Québec, de France ou prochainement des Etats-Unis, pour animer dans les trois départements de Martinique, Guadeloupe et Guyane, des stages, des ateliers ou des résidences d’écriture. Les contenus dépendent vraiment de la pédagogie des formateurs. Il est important pour nous que les auteurs aient des regards différents et complémentaires, un peu à l’image de la Caraïbe, sur cet art particulier qu’est l’écriture de théâtre.
Cet accompagnement porte-t-il ses fruits ?
Bien sûr et je le disais plus haut, le travail mis en place sur les territoires comme la Guyane, la Guadeloupe et la Martinique porte ses fruits et nous a déjà offert de très beaux textes dont certains ont déjà été créés, notamment au Québec et en Belgique. En effet, pour la plupart de nos auteurs, passée la première pièce aboutie et convaincante, le véritable enjeu, parallèlement à son éventuelle création, c’est l’écriture de la deuxième, de la troisième pièce… Il s’agit pour nous d’installer de manière durable la voix, la langue, d’un auteur habité par un projet de longue haleine. Nos auteurs commencent de manière significative à s’inscrire dans cette logique-là et c’est notre fierté. Pour les accompagner dans cette démarche, nous leur proposons des résidences d’écriture de un à trois mois.
Vous œuvrez également à la publication des pièces et travaillez avec les éditions Lansman en Belgique. La publication du théâtre est-elle selon vous une étape importante ?
C’est une étape capitale de reconnaissance pour l’auteur et pour l’association, étape essentielle pour la diffusion dans le « tout-monde » et au-delà de ces écritures de la Caraïbe (théâtre, compagnies, écoles, universités…), mais étape insuffisante si la pièce n’est pas créée. La publication y aide cependant beaucoup.
Et l’étape de la traduction ? Quels sont les objectifs visés ?
Pour une meilleure circulation de la parole des poètes dramatiques et pour rester conforme à notre philosophie et nos principes. Il y a « des » Caraïbes, diverses, multiples et variées. Il ne faudrait pas oublier que nous avons traduit aussi de nombreux textes français et créoles en anglais et en espagnol afin de permettre leur circulation sur le continent américain et dans la Caraïbe.
Pensez-vous que les pièces primées puissent contribuer à la constitution d’un répertoire théâtral caribéen ?
Sans doute mais ce n’est pas intentionnel. La notion même de répertoire nous gêne. Elle sent, d’une certaine façon, le communautarisme que nous dénonçons. Nous participons à l’émergence d’auteurs vivants, originaires de ou vivant dans la Caraïbe dont les pièces sont en mouvement, montées par des Africains, des Nord Américains, des Européens. Ces pièces, pour nous font partie d’un répertoire-monde.
Existe-t-il des traits spécifiques aux écritures théâtrales caribéennes contemporaines ?
Dans les thématiques, une prééminence de ce que Garcia Marquez appelle le « réalisme magique ». Les pièces sont urbaines, puis résolument et sans prévenir, comme une évidence, l’invisible, le monde des esprits, les morts sont au coin de la rue. Dans la dramaturgie, quelque chose qui serait proche du « spiralisme » cher à Frankétienne. L’histoire ne se déroule pas de manière dialectique, mais par circularité, en répétition, avec des retours en arrière qui se télescopent avec le futur dans un présent instable, incertain. Dans la langue enfin et c’est sans doute l’influence d’un Césaire ou d’un Walcott, des images, des sons, une musicalité, bref une langue poétique. Cependant, on pourrait sans doute apporter des nuances en fonction de la langue d’écriture.
Vous avez très récemment lancé un concours des lycéens. Etes-vous en quête de jeunes talents ?
Depuis trois ans et parallèlement au travail que nous mettons en œuvre auprès des auteurs, nous permettons aux jeunes étudiants, lycéens et collégiens de rencontrer des auteurs dramatiques de toute la Caraïbe qui leur lisent des extraits de leurs textes, leur parlent de leurs oeuvres, et ce, dans la langue d’origine de l’auteur. Ce sont des moments d’échange souvent très intenses et passionnants. Depuis l’an dernier nous avons complété ce dispositif par des ateliers d’écriture dans les lycées. Le concours d’écriture est donc pour nous à la fois une évaluation de notre travail auprès des jeunes et un nouveau moteur qui devrait les inciter à écrire pour le théâtre. Disons que nous essayons de contribuer modestement à l’émergence des auteurs de demain.

Juillet 2008///Article N° : 9359


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