Un immigré tunisien ruiné par l’exil, physiquement affaibli et mentalement diminué par son séjour en France, retourne au bercail pour s’éteindre, au terme d’une longue errance au cours de laquelle, il remonte le cours de sa mémoire, rend visite à des lieux et à des amis.
Le comédien tunisien, Mohamed Ben Smaïl, après s’être taillé un nom au théâtre et au cinéma, négocie son passage à la réalisation, avec son tout premier film, Demain, je brûle, construit comme un thriller, où il sublime le thème de la descente aux enfers en milieu urbain, inspiré du drame quotidien des immigrés. Il joue lui-même le rôle de Lofti, un immigré amaigri, au visage marqué par la maladie, dont la démarche incertaine traduit son mal de vivre. Le malaise se lit, dès la première image, où il apparaît, sous le pont aérien d’un métro parisien, flottant dans un ample manteau sombre, un sac marin à l’épaule, en train de quitter sa femme et ses deux enfants. Le drame de cet homme est inscrit dans une phrase de l’écrivain Borges qui défile sur un mur : » Le visage, le visage dans le miroir, le labyrinthe « . Une intense émotion traverse cette scène de la dislocation d’une famille que l’immigré Lofti sur le chemin du retour choisit d’exprimer par un silence inquiétant.
Les cheveux en bataille, emmuré dans son silence, Lofti abandonne femme et enfants à Paris, pour revenir auprès de ses parents vieillissants quérir la chaleur maternelle, sucer la sève de ses racines culturelles, afin de retrouver sa mémoire pour éviter un imminent naufrage. Il atterrit à l’aéroport de Tunis-Carthage, un sac marin en bandoulière, le regard hagard. Un chauffeur de taxi, son ami d’enfance, le hèle pour le conduire chez ses parents qui accueillent avec chaleur ce fils prodige de retour. Il reste de marbre sur le pas de la porte du domicile familial, le regard vide, sans mot dire. Il s’échappe, à nouveau, et tel un pauvre hère talonné par la mort, part retrouver ses anciens copains. Il sillonne les lieux de son enfance à la recherche d’une bouée de sauvetage. Il est accueilli par un de ses amis, un pêcheur, dont la servante (interprétée par Amel Hedhili, qui jouait dans Les Silences du palais de sa compatriote Moufida Tlatli), se fait violer. Le crissement métallique d’une porte souligne la violence de cette scène qui induit le comportement des personnages en situation. Et, c’est là, dans cette maison où une femme est blessée dans sa chair, que le héros Lofti rend son dernier souffle, sans briser l’étau de son silence…
Sans proférer aucune parole, le héros Lofti, personnage consumé par un drame intérieur incandescent, réussit par sa composition toute en nuances, à communiquer par son lourd silence l’étendue de sa souffrance. Il meurt, victime de la solitude, de son incapacité à partager avec l’autre ses doutes, ses illusions, ses espoirs. Solitaire dans une foule qui ne sait plus ce que partage et tolérance veulent dire, Lofti est anéanti par l’insupportable vision du vide. Autour de lui gravitent pourtant des personnages sensibles à son mal de vivre. Le cinéaste les met en situation conflictuelle pour dépeindre les difficultés de communication, l’intolérance, l’égoïsme, dans une société jadis bâtie sur le partage. La mort de l’immigré Lofti se veut être une interpellation à renouer avec les valeurs essentielles qui fondent l’équilibre de la vie communautaire.
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