Editorial

Les mots des autres

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« Demain nous serons sages
Tu me crois, dis ? Demain
Nous aurons un destin
neuf au fond d’un voyage »
Tchicaya U Tam’si
Le mauvais sang, 1955, réed. L’Harmattan 1998.

Le poème est esthétique et rythme, peinture et musique. Sans dire, il suggère, et révèle mieux une émotion que ne le ferait de pleines pages de prose. Il capte la vie et l’inscrit dans celle de la planète entière. Il ramène à l’humanité. Sa force de mémoire réveille l’intime, la douleur, les amours perdus, le pays natal et l’exil. Mais s’il est dédié au deuil, c’est pour la renaissance. Il croit que le destin sera neuf et que le voyage vaut la peine. Alliant rêve, sagesse et critique, il est un professeur avisé qui enseigne sans ennuyer. Il est une arme chargée de futur. (1)
Amis poètes africains
Vous surmontez
par le cri des révoltés,
l’éternel cri d’indignation
qui libère de la mélancolie, (2)
le déni
l’agenouillement
le larbinisme
et j’apprends
à vous lire
la dignité
Vous saisissez
le désenchantement de la réalité
et je comprends
à vous lire
les tréfonds de l’homme
ni bon ni mauvais
simplement homme
Vos ruptures formelles
se font résistance
subversion
appropriation de la langue
pour un chant autonome
A vous lire
je suis à bonne école
Car ce monde appelle autre chose
qui tienne compte de l’Afrique
A vous lire
j’apprends l’humain
l’incertitude et l’espoir
d’un monde où
Après l’homme rouge,
après l’homme jaune,
après l’homme noir,
après l’homme blanc,
il y a déjà l’homme de bronze
le seul alliage au feu doux
praticable déjà mais à gué (3)
A vous lire
je peux me dire
Nous reviendrons
Demain
Nous joindre à l’homme
Anonyme (4)
Grâce à vous
L’Afrique coule entre mes cils
Comme dans son lit quotidien. (5)
Et je perçois
La mer, langue bleue sous le palais du ciel. (5)
Car la poésie est toujours vaste
quelle que soit la langue dans laquelle elle s’exprime (6)
Je peux ainsi revenir
De cette longue chevauchée
De cet exil sans fin
Au plus profond de moi (7)
Vous êtes le rempart
d’un nouvel humanisme
ni fondamentaliste
ni essentialiste
Vous écouter
C’est accepter la prééminence de la parole
cette Parole féconde (8)
donc choisir l’espérance
Qu’on me pardonne ces mots chancelants
J’ai voulu
un instant partager vos élans
et redire pour ultime prière
La poésie ne doit pas périr.
Car alors, où serait l’espoir du monde ? (9)

(1) Gabriel Celaya : La poesia es un arma cargada de futuro – un poème qui dit notamment : Nous touchons au fond de l’ombre/ la poésie est nécessaire / un oui qui nous fasse hommes.
(2) Romuald Fonkoua, « Roman et poésie d’Afrique francophone : de l’exil et des mots pour le dire « , Revue de Littérature Comparée nº1, 1993, p. 29.
(3) Tchicaya U Tam’si, Arc musical, Oswald 1970, p. 109.
(4) Paul Dakeyo, Chant d’accusation, Ed. Saint-Germain-des-Prés 1976.
(5) Jean-Baptiste Tati Loutard, La tradition du songe, Présence africaine 1985, p. 59.
(6) Citation du poète mauricien Édouard Maunick.
(7) Véronique Tadjo. Latérite, Hatier, 1984, p. 48.
(8) Théophile Obenga, Stèles pour l’avenir, Présence Africaine 1978.
(9) Léopold Sédar Senghor, Pour une ultime prière. Poèmes, Seuil, 1984.
///Article N° : 1153

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