Editorial

L'énergie africaine

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 » Un jour, la fille du Prophète était triste. Rien ne pouvait la distraire. Bilal est alors venu vers elle avec ses crotales : il a chanté, il a dansé, et la fille du Prophète a commencé à rire. Elle avait retrouvé sa gaieté. Bilal était le premier Gnawa. Et déjà thérapeute. « 
Georges Lapassade, Derdeba, la nuit des Gnoua, éd. Traces du présent, Maroc, p.28

Africain le Maghreb ? Son espace n’est-il pas plutôt la Méditerranée ? Pourquoi au fond s’obstiner à ce que notre revue soit l’expression des cultures de toute l’Afrique, noire et blanche ? Quelle unité transcende donc les immenses dunes du Sahara ? Surtout, quels apports réciproques dans le présent et l’avenir ?
Une intime ambiguïté traverse la question de l’africanité du Maghreb : ambivalence des mots, du rapport au Noir, au continent africain. Bien sûr, c’est cette ambivalence qui nous intéresse. Bien sûr, c’est encore à l’Histoire qu’il faut se référer. Les Noirs descendants d’esclaves perpétuent en Afrique du Nord des rites syncrétiques : stambali en Tunisie, diwan en Algérie et derdeba au Maroc. Rires, danses, chants, transes et possessions s’y font thérapeutiques. Ici encore, les cultures noires puisent dans leur vécu l’énergie de se faire passeurs, vecteurs de valeurs, de sens, de sacré. Non pour proposer une nouvelle religion par je ne sais quelle croisade : ni sangles ni clergé. Par le simple fait que l’on s’y reconnaît : ceux (et notamment celles) qui se sentent en déphasage avec l’ordre établi, et développent de ce fait des révoltes ou des troubles, trouvent dans ces rituels, à défaut de pouvoir le faire dans le jeu social, la possibilité de le crier. Apport essentiel : il ne s’agit pas d’éliminer le trouble comme dans les thérapies occidentales mais, en le maîtrisant, de vivre avec, de s’en servir, de le gérer.
Voilà qui s’oppose aux dogmes de toutes sortes. On sent combien l’africanité s’inscrit dès lors dans une subversion du rapport social, voire dans le rejet du mimétisme envers l’Occident. L’énergie à puiser au Sud est une force créatrice, forcément dérangeante. Peut-être est-ce là que naît l’ambivalence : la fascination pour cette énergie se double d’une crainte d’y perdre son intégrité. En somme une quête d’identité bien insécurisante puisqu’elle risque de mettre en cause les fixations de sa propre identité. Mais comme le suggèrent les divers intervenants de ce dossier, le jeu en vaut la chandelle.

///Article N° : 566

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