entretien d’Olivier Barlet avec Azzedine Meddour

Paris, décembre 1997
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Entre Djendel et Baya, n’est-ce pas l’opposition du réalisme et de l’instinct ?
Djendel est un samouraï qui fait partie de la caste des Djouad, la caste guerrière. A force de faire la guerre, il est fatigué des hommes et reviens à cette matrice qu’est la caverne. Il voit Baya agir et c’est finalement elle qui le ramène à l’amour et au combat. Baya n’est pas instinctive mais pure : fille d’un saint populaire, élevée dans le respect des valeurs. Plongée dans le chaos, elle cherche à retrouver ces valeurs. Ce sont ces êtres qui maintiennent l’équilibre du monde. Ils rappellent qu’on ne peut éternellement bafouer le respect de l’homme.
C’est là que vous placez l’actualité du film ?
Oui, le vrai conflit est entre les Algériens eux-mêmes. L’envahisseur français n’est que la répétition d’une histoire ancienne. La catalyseur est extérieur comme aujourd’hui l’Iran, le Soudan ou l’Arabie Saoudite mais on se tape dessus entre nous…
Pourquoi le recours au mythe ?
Baya n’est pas encore un mythe. Peut-être le deviendra-t-elle pour les Algériens. Notre société a profondément besoin de repères. 30 années de parti unique les ont laminé, mettant de côté les modèles fournis par le conte oral et la poésie. 1963 était un coup d’Etat : il proclamait un seul héros, le peuple. Et non ceux qui avaient fait sept ans de guerre. Le peuple servait de paravent pour prendre le pouvoir, et ceux qui ont fait la guerre de libération ont été mis de côté. Boudief en est un bon exemple, qui ne resurgit que 30 ans plus tard. Où une génération sans héros peut-elle trouver des modèles ? Elle va les chercher en Afghanistan et cela donne la situation actuelle !
Quand Baya dit à son fils Meziane  » ton père savait faire tout cela « , en appelez-vous à la généalogie pour dénouer la situation présente ?
Nous voudrions raconter des histoires avec des signes et des codes qui soient profondément de chez nous. Dans la culture nord-africaine, on éduque les enfants avec le conte. Baya indique les étapes initiatiques à son fils ; elle lui rappelle son père et la fidélité qu’elle conserve envers lui.
Cherchez-vous à affirmer une identité berbère ?
Aucunement : c’est un film algérien. Ce n’est pas parce qu’on prend une religion qu’on change d’ethnie : Arabophones et Berbérophones se côtoient. Ce n’est pas le film d’une région. Les rites que décrit le film se retrouvent dans toute l’Algérie et la Méditerranée.
Quel sens de l’honneur Baya revendique-t-elle ?
Baya a été humiliée et cherche à se laver de cette humiliation. Quand l’injustice règne, on cherche à se rendre justice soi-même. C’est moins une question d’honneur que de dignité. Aujourd’hui, les Algériens, sans être des Tarzans ou des Zorros, résistent en tentant d’affirmer leur dignité. Ce film, nous le vivons tous les jours en Algérie.
Ce qui nous ramène à cette explosion qui a emporté treize membres de l’équipe…
Oui, il y eut une telle identification pour l’équipe de tournage entre ce film et ce qui se passe en Algérie… Une telle coïncidence…
Les lumières du film sont crépusculaires ou de contre-jour : pourquoi ce choix ?
Le film est très violent et la lumière amène un contrepoint. Je voulais aussi retrouver la lumière douce de l’Algérie, et rompre avec le misérabilisme érigé en canon esthétique : retrouver avec des comédiens non-professionnels le charisme des visages et réagir à la réalité par le beau.
Le film sera-t-il diffusé à la télévision algérienne qui participe à la production ?
Bien sûr, après son exploitation en salles. Il est même question d’en faire une série, mais les moyens de la télévision restent limités. On le doublera aussi en arabe quand nous en aurons trouvé l’argent, mais le parc de cinémas s’est terriblement réduit.
Quelles sont les perspectives du cinéma en Algérie ?
La dévaluation du dinar rend les choses très difficiles : la dotation appréciable du ministère ne couvrait que l’achat de la pellicule… En dehors du système d’Etat, nous ne pouvons pas rentabiliser nos films sur le marché intérieur. Le risque est de flatter tous les clichés créés par le cinéma colonial et la société occidentale. Notre démarche est bien sûr inverse : parler de nous comme on nous a jamais regardés pour reprendre possession de notre propre image. Nous espérons que l’Autre sera surpris et s’y intéressera.

///Article N° : 263

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