Étrangers en France : ils racontent leur citoyenneté (1/2)

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Dans la continuité du numéro d’Afriscope (1) sur le droit de vote des étrangers aux élections locales, des résidents étrangers en France extra et intracommunautaires présentent leur rapport au vote et à la citoyenneté.

Ettore et Perla Malanca sont originaires de Ravenne, au Nord de l’Italie. Ils sont arrivés à Paris en 1985, il y a près de trente ans. Depuis 1992, en vertu du traité de Maastricht, ils ont, en tant que citoyens européens, le droit de voter et de se présenter aux élections locales françaises. Rencontre chez eux, avec vue sur le Sacré-Cœur et les toits du 18e arrondissement.
Ettore, quand et pourquoi êtes-vous arrivé à Paris ?
Je suis arrivé en France en 1985, et voilà vingt-sept ans que je vis à Paris. J’ai 62 ans. À l’époque, j’étais venu pour mon métier : je suis photographe et Paris, grande ville du monde, cosmopolite, était pour moi le meilleur endroit pour exercer ma passion. Aujourd’hui, Paris c’est chez moi. C’est pour cela que je vote aux élections municipales. Je suis allé chercher ma carte d’électeur car j’avais envie de donner mon opinion en ce qui concerne la personne qui va diriger, contrôler, décider de ma vie quotidienne. J’aimerais aussi pouvoir voter pour le président de la République, mais pour l’instant ce n’est pas possible.
Quelle est votre définition de la citoyenneté ?
La citoyenneté, ça dépend de pas mal de choses. Paris est ma maison, je devrais donc dire que je suis citoyen de Paris. Mais dire « je suis français » ne signifie pas grand-chose. Dans ma démarche intellectuelle, je me considère comme un citoyen du monde. Quand on quitte son pays, on quitte aussi son identité. Et ça fait du bien à tout le monde. Comprendre que le monde entier nous appartient, et pas seulement un pays. Ce qui est important, c’est de communiquer et de vivre bien avec les autres, quelles que soient leur origine, leur nationalité. Paris est une ville qui correspond à cela. Elle appartient au monde, pas seulement à la France. C’est peut-être pour ça que je m’y sens chez moi.
Quel est votre rapport à la politique française ?
Je suis avec attention la politique française, je suis très informé. Beaucoup plus que la politique italienne d’ailleurs. Mon intérêt de cœur, de vie quotidienne, de travail, est ici. En Italie, il n’y a pas d’opposition. Ce concept, je l’ai compris en France. Ici, on peut voter pour quelqu’un, et lui donner le pouvoir pour changer les choses. Je suis de gauche, j’ai toujours voté à gauche, mais en Italie, ma voix était inutile. Ici, c’est différent. Ma voix peut changer quelque chose.
Avez-vous pensé à demander la nationalité française ?
Oui, j’y ai pensé. Mais je n’ai pas encore entamé la démarche. Depuis quelques années, la situation en Italie s’est beaucoup dégradée, et peu de chose me relie encore à ce pays. 99 % de ma vie est ici, à Paris. Mais le droit de vote devrait être défini au-delà de la nationalité. Dans un pays comme la France, les étrangers qui habitent, travaillent, respectent les lois depuis longtemps, doivent pouvoir décider de qui va les gouverner. Qu’ils soient Italiens, comme moi, ou Marocains ou Maliens. On parle de vote « communautariste », mais cela n’a aucun sens. On vote tous pour celui qui représente le mieux nos idéaux, et nul ne peut dire si c’est bien ou mal. Le vote est libre, non justifiable. Pour revenir sur la question de la nationalité française, mon fils l’a demandée et obtenue l’année dernière. Mattia est arrivé avec nous en France à l’âge de 10 ans, a fait toutes ses études ici, et s’est marié avec une Française. Il a 37 ans aujourd’hui. Les démarches ont été très rapides et faciles, j’en ai été assez étonné. En six mois, c’était fait. Une belle preuve de l’ouverture démocratique française. Il travaille au Maroc, mais sa vie est à Paris, et il se sent Français. Les Français qui vivent ici depuis des générations ont peut-être du mal à le comprendre, mais lorsqu’on vit depuis longtemps dans un pays, on en devient partie intégrante. Avec ou sans passeport. Je suis citoyen du monde, mon fils et sa femme aussi. Tous ces mariages mixtes, ça permet de se mélanger, de comprendre le monde, d’avoir un esprit ouvert. Aujourd’hui, ce qui se passe dans un pays, même à 10 000 km d’ici, nous concerne. Alors peut-être que dans cent ans, on sera tous des citoyens du Monde…
Perla, qu’avez-vous ressenti quand votre fils a obtenu la nationalité française ?
Ça m’a fait un coup ! La cérémonie était assez émouvante. On a chanté la Marseillaise, et il a reçu sa carte. Et il a gardé sa nationalité italienne, ce qui était important pour moi. Contrairement à Ettore, je suis plutôt attachée à mes racines, et abandonner la nationalité italienne, ça aurait été trahir un peu ses origines. Il a pu garder les deux, alors c’est très bien.
Vous êtes encore très attachée à l’Italie. Vous vous sentez plus Italienne que Française ?
Oui et non. J’ai passé plus d’un tiers de ma vie en France et je connais mieux la politique française qu’italienne. Ici je connais les politiciens, je regarde la télé, je lis les journaux. La politique italienne me parvient juste en écho de mes amis. Mais je n’ai jamais voté ici. Je veux faire les démarches, mais il faut que je me renseigne bien, car j’ai cru comprendre que pour voter en France, il fallait renoncer à voter en Italie. J’ai toujours voté en Italie, et je veux pouvoir continuer à le faire. Ils ont besoin de mon vote, même si Berlusconi est parti ! Mais je suis fascinée par la politique française. Surtout les élections présidentielles. L’Italie est très différente, c’est une république parlementaire et on vote seulement pour les députés. C’est moins palpitant.

1. Le magazine interculturel d’Africultures, n° 27 de septembre-octobre 2012///Article N° : 10973