Fahavalo, de Marie-Clémence Andriamonta-Paes

Il n'y a pas de combat perdu

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À Madagascar en 1947, les rebelles insurgés contre le système colonial sont appelés fahavalo, «ennemis» de la France. Les derniers témoins évoquent leurs longs mois de résistance dans la forêt, armés seulement de sagaies et de talismans. Les images d’archives inédites filmées dans les années 40 dialoguent avec les scènes de la vie quotidienne dans les villages aujourd’hui. Les récits des anciens et la musique hypnotique de Régis Gizavo nous transportent dans le passé pour découvrir cette histoire refoulée. Sortie France : 30 janvier 2019

Ils sont revenus en août 1946, après avoir combattu dans l’armée française, convaincus qu’ils auraient l’Indépendance. Sur les 40 000 soldats malgaches enrôlés, pour une population de 3 millions d’habitants, seuls 10 000 sont revenus, un an après la fin de la guerre. Il n’y avait pas de bateau pour les transporter. Ils avaient combattu en 1940, puis avait été prisonniers, déportés ou ont erré, certains étaient entrés dans la Résistance. Renvoyés dans les plantations coloniales, certains ont pris les armes. La répression fut terrible. Les survivants ? Ils ne sont plus qu’une poignée de témoins. Il était donc temps de leur donner la parole.

Mais le film de Marie-Clémence Andriamonta-Paes n’est pas seulement un recueil de témoignages du passé.Il est en continuité avec le travail des historiens mais aussi par exemple avec Tabataba de Raymond Rajaonarivelo (1988), magnifique fiction sur la dure répression d’un groupe de villageois qui avait décidé de rejoindre le maquis contre la domination et l’exploitation française. Il est également en continuité avec le travail de l’écrivain Raharimanana, dont « la mémoire demande des comptes à la « mère » patrie »[1] et qui dans une écriture visionnaire, hallucinée, revisite les mythes et la violence qui jalonnent l’Histoire malgache dans Nour, 1947[2].

Cette continuité est dans la volonté d’inscrire le questionnement de l’Histoire dans le présent. C’est ainsi le Madagascar des villages d’aujourd’hui que l’on voit à l’écran, imbriqué dans les documents d’époque et les témoignages entretenant cette mémoire. Il s’agit alors de conjurer le silence et l’oubli, mais aussi d’inverser le regard des livres scolaires révisionnistes concoctés par les Français, en adoptant le point de vue des rebelles Fahavalo. Nous suivons le chemin de fer qui permit la propagation de la révolte. Les archives restaurent le passé tandis que la caméra révèle le présent et les deux se répondent par la magie du montage documentaire lorsqu’il fait sens : tout ici est pensé pour résonner d’un plan à l’autre.

Les « ennemis » de la France ont tenu 18 mois avec des sagaies et des talismans face aux fusils. Il n’y a pas de combat perdu car, même échouées, les luttes sont des lucioles dans l’obscurité. Elles serviront à d’autres.

Pourtant, on ne se vante pas de ses échecs. Les Malgaches portent la honte d’avoir perdu. Les Français d’avoir commis des exactions. Alors on se tait et les nouvelles générations ne savent rien de cette Histoire refoulée.

La répression laisse cependant des traces. Elle inscrit la délation et la peur dans l’âme. Elle engrange le silence. D’où l’importance de connaître le passé pour éviter les bégaiements de l’Histoire. La répression enterre la résistance sur la durée. Pourtant, celle-ci est bien là, dans les mots, dans les attitudes, dans les regards. L’émouvante musique du regretté Régis Gizavo renforce cette détermination encore palpable. L’accordéon et la guitare participent de la vitalité de ce film magnifique, à voir absolument.

[1] http://africultures.com/livres/?no=2401

[2] http://africultures.com/livres/?no=638

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